vendredi 11 juin 2010

Une diligente mission accomplie

A la lecture de la lettre qu'il a fait adresser au Collectif des Démocrates Handicapés, on sent bien que monsieur Bernard Niquet, préfet de Lorraine, se flatte d'accomplir sa mission en prenant grand soin d'observer toutes les formes réglementaires, ainsi qu'il le doit, mais aussi d'y ajouter comme un "supplément d'âme" en prenant des initiatives visant à "lever les inquiétudes" de certains de ses administrés.

Après avoir souligné à quel point l'expulsion de la famille d'Ardy Vrenezi avait été menée de manière irréprochable, il ajoute, comme pour en finir avec tout ça:

Enfin, pour lever tout doute sur les conditions de son suivi au Kosovo, j'ai demandé au Directeur Général de l'Agence Régionale de Santé de Lorraine de diligenter une mission sanitaire à portée médicale.

Celle-ci s'est rendue sur place le 2 juin 2010. Elle a été conduite par deux membres du corps médical et un pharmacien qui ont rendu leurs conclusions dans le rapport transmis en pièce jointe.

Les constats effectués par les médecins sont de nature à lever les inquiétudes concernant la santé d'Ardi Vrenezi et sa prise en charge.

Ils valident la procédure mise en œuvre par mes services, ainsi que les avis médicaux qui avaient été donnés en leur temps.

Après tout, si la procédure est valide,
peu importe qu'Ardy ne le soit pas...


Sur cette mission et ses résultats, nous n'avions, jusqu'à aujourd'hui, que le compte-rendu d'une conversation téléphonique entre le docteur Kieffer, pédiatre d'Ardy en Moselle, et les trois membres de la mission, le Dr Grall, Directeur de l’Agence Régionale de Santé, le Dr Bourrier (médecin réanimateur) et le Dr Chopart (pharmacien). Ces notes, probablement rédigées à la hâte par Isabelle Kieffer - qui n'a pas que cela à faire -, apportent des informations essentielles sur la façon dont la délégation du préfet a travaillé.

(Et j'avoue que j'aime bien entendre frémir, sous les propos du Dr Kieffer, cette indignation que je partage, même si cela tranche un peu avec la belle prose empesée de monsieur le préfet...)

Dans Le Monde d'aujourd'hui, Élise Vincent, qui affirme avoir "pu consulter" le rapport de la mission, signe un article qui se trouve intitulé de manière plutôt accusatrice : Les autorités françaises suspectent une privation de soins du polyhandicapé expulsé au Kosovo. Accusation reprise encore plus précisément dans l'introduction:

Alors que le collectif associatif qui soutient Ardy Vrenezi appelle à manifester, le 14 juin, devant le Parlement européen, à Bruxelles, le rapport édité sous la tutelle de l'Agence régionale de santé (ARS) de Lorraine, le 7 juin, suspecte les parents d'Ardy de le priver de soins dans l'espoir d'obtenir un retour en France.

Je ne sais si Élise Vincent a pour mission de faire passer ce message, mais on dirait bien qu'elle s'y consacre* : pas moins de cinq paragraphes sont consacrés aux manquements des parents d'Ardy. La préfecture de Moselle, qui suggère ce thème depuis un bout de temps, aurait peut-être souhaité qu'elle en fasse un peu plus.

Histoire de bien enfoncer le clou.

Si l'on veut bien se mettre à la place des Vrenezi, ou encore, pour parler à la mode, si l'on veut bien les considérer avec un minimum d'empathie, leurs réticences et négligences sont assez compréhensibles, après avoir été expulsés sans trop de douceur dans ce pays qu'ils avaient quitté, et où, en trois ans de soins et consultations, on n'avait pas été capable de poser un diagnostic correct dans le cas de leur fils. (Je devrais souligner, ou grasseyer, mais vous savez lire.)

On peut comprendre aussi que cela agace certains médecins kosovars, mais savoir (re)gagner la confiance des patients, et/ou de leurs parents, cela fait aussi partie de l'art de soigner.

Cet art était peut-être le cadet des soucis de cette mission de trois experts, qui a enquêté et inspecté pendant une quinzaine d'heures, vu une quarantaine de personnes, "fait une tournée 'aléatoire' des pharmacies" (j'espère que la procédure stochastique a été validée par un expert statisticien de l'ARS), mais n'a pas procédé à un véritable examen médical d'Ardy.

Ils l'ont vu : il était là, et vivant.

Ah ! Tant mieux...

Dirent-ils, probablement, avant de reprendre leur importante "tournée 'aléatoire' des pharmacies".

Ou l'avion.

Mission accomplie...


* Elle nous gratifie également d'un encadré, que l'on croirait rédigé par le service de la communication de la préfecture, intitulé L'expulsion d'Ardy est-elle légale ?

4 commentaires:

Chomp' a dit…

"L'expulsion d'Ardy est-elle légale?"
Ben c'est ça qui compte,
et sa légitimité on s'en fout, faut être clair, la loi est la loi, et tout ça ...

Le vichysme de préfecture n'est pas un humanisme,
(on le savait),
mais c'est bien une langue vivante.

Guy M. a dit…

Un langue vivante, oui, mais de plus en plus chargée...

Anonyme a dit…

Cette histoire est un véritable cauchemar pour moi! Et, ici, en vous lisant, mon angoisse et ma colère font une pose à travers une réflexion nécessaire et constructive qui passe par l'humour... Merci, seriez vous magicien?

Guy M. a dit…

J'aimerais bien être un tout petit peu magicien... Certaines choses iraient mieux.