mercredi 27 février 2008

Faire parler les morts

C'est un lieu commun: il est indécent de faire parler les morts, fût ce d'une petite voix chantonnant avec de merveilleuses inflexions yiddish à l'oreille d'un enfant de dix ans...

Mais il y a des morts qui parlent encore, qui n'ont cessé de parler, même si les bruits divers engendrés par la modernité, la postmodernité, l'hypermodernité et la connerie spectaculaire marchande nous ont rendus durs d'oreille. Il suffirait de monter le volume pour les entendre mieux.

J'aimerais bien qu'on monte "un petit peu" (il le disait souvent) le son d'une voix que je n'ai jamais entendue en vrai, mais que, pourtant, en lisant les transcriptions de ses cours au Collège de France, il me semble entendre clairement.


C'est la voix de Michel Foucault.

Si vous vous attendez à ce que je fasse tourner les tables pour vous faire entendre cette voix, pour, par exemple, reconstituer une "entrevue" (comme disent les anglo-saxons) de Foucault sur, mettons, au hasard, la Très Grande Loi sur La Rétention de Très Haute Sûreté, vous vous trompez lourdement.

Il faudra faire sans lui. Mais peut-être en utilisant ce qu'il disait sur ce grave sujet. Car cette loi régressive (où l'on revient à des procédures d'enfermement arbitraire), présentée avec les arguments les plus démagogiques qui soient (où la catégorie de "monstre" fait apparition en droit), interroge à vif l'évolution de notre droit pénal: Où en sommes-nous ? Quelle logique y a-t-il derrière cet acharnement à vouloir contourner les principes constitutionnels pour cette loi ? Quelle avancée présente cette mise en avant de la victime ?

Alors, bien sûr, pour faire le point, il faudrait lire ou relire ce fameux "Surveiller et Punir", paru en 1975, pensé et écrit en parallèle avec un engagement militant au sein du Groupe d'Information sur les Prisons.

A la sortie du livre, Foucault accorda une interview (comme disent les français) pour Le Monde, où il disait:

"Tous mes livres, que ce soit l'Histoire de la folie ou celui-là, sont, si vous voulez, des petites boîtes à outils. Si les gens veulent bien les ouvrir, se servir de telle phrase, de telle idée, telle analyse comme d'un tournevis ou d'un desserre-boulon, pour court-circuiter, disqualifier les systèmes de pouvoir, y compris éventuellement ceux-là mêmes dont mes livres sont issus…eh bien, c'est tant mieux."

Je vous souhaite d'avoir le temps d'ouvrir le livre, d'y entendre la voix de Michel Foucault et d'en tirer tous les outils qu'il vous faudra.



P.S. Il y a des gens qui ont rencontré Michel Foucault avec des cheveux , alors, fatalement, il n'ont pas pu le reconnaître. Pour ceux-là, et les autres:



Michel Foucault à Uppsala vers 1956

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Un bon bibliothécaire sait faire revivre les auteurs et les livres oubliés.

Je savais bien que cet escalier serait à grimper souvent.

Anonyme a dit…

Tout pareil. Et Foucault fait un Voltaire 100 000 fois plus convaincant que l'autre buse de BHL.
(Même si, il faut que je le confesse, sa lecture m'a semblé quelquefois un brin austère…)

Guy M. a dit…

@Françoise
Oublier Foucault? Surtout pas.

@Charançon
Certes, mais buse? Je reconnais votre goût de l'allégorie animalière.

Anonyme a dit…

Foucault fait partie de ces auteurs qui m'intimident et auquels je n'ai pas encore osé m'"attaquer".
Mais du coup, vous me donnez drôlement envie de sauter le pas.

Bises !

PS 1 : j'adore "buse", comme nom d'oiseau. Alors si en plus, il est appliqué à BHL... :-D

PS 2 : peut-être êtes-vous tous déjà au courant ; je viens d'apprendre que le Syndicat de la Magistrature appelle à une Nuit de Défense des Libertés, le 20 mars, place de la Bastille.

http://www.syndicat-magistrature.org/spip.php?article628

Bonne journée à tous !

Guy M. a dit…

Flo Py
Faut pas faire de complexe.
C'est une lecture fascinante (et "Surveiller et punir" est d'une écriture moins sophistiquée que les premiers livres.
PS: le mot "buse" est utilisé aussi en Travaux Publics, où elles sont souvent bouchées...