mardi 19 octobre 2010

Démocratie essentielle

Un grand cri d'espoir a salué, dans la journée d'hier, l'annonce de "l'activation du centre interministériel de crise", chargé, sous la houlette du ministre de l'Intérieur, "de coordonner l'action des différents services de l'État visant à assurer la pérennité du ravitaillement en carburant".

Moi aussi, j'ai été rassuré.

Surtout en constatant que le CIC a reçu une mission ambitieuse. Son rôle aurait pu être d'assurer la "continuité" de l'approvisionnement en carburant. Mais non, il doit faire beaucoup plus, et instaurer la "pérennité" de cet approvisionnement. Vue à la modeste échelle d'une vie humaine, "pérennité" sonne un peu comme "éternité", je trouve.

Et ça me rassure beaucoup, car l'éternité, c'est rassurant.

(Et puis, je me demande si monsieur Sarkozy va employer à nouveau, dans sa prochaine déclaration à la nation, ce bel adjectif de "pérain" qu'il avait inventé comme masculin de "pérenne" au cours de sa campagne électorale...)

Hier soir, le CIC prouvait son sérieux en communiquant :

"Sous l'effet d'achats de précaution et de difficultés d'acheminement liés aux mouvements sociaux, des tensions d'approvisionnement sont constatées dans plusieurs départements."

Il annonçait également:

"Parallèlement aux déblocages des dépôts pétroliers, un plan d'acheminement des carburants sera mis en œuvre, dès la journée de demain, en étroite liaison avec les professionnels de la distribution, afin d'approvisionner les départements les plus concernés."

J'espère que le sous-fifre qui a trouvé l'expression "tension d'approvisionnement" peut espérer une promotion...

Image véritablement poignante
d'un automobiliste qui a oublié de faire le plein.


De Deauville, où il s'est exilé pour une rencontre France-Russie-Allemagne, monsieur Nicolas Sarkozy a fait part de sa détermination à mener à bien la réforme des retraites, et il en a profité pour compléter le tableau mirobolant des caractéristiques essentielles de la "démocratie parlementaire", œuvre qu'il peaufine depuis son entrée en candidature:

"Il est parfaitement normal et naturel que ça crée des inquiétudes et des oppositions", a-t-il poursuivi. "Mais c'est normal aussi et naturel qu'un gouvernement démocratique, dans une démocratie parlementaire, s'assure que les automobilistes trouveront de l'essence et qu'il n'y aura pas d'affrontements, parce que dans une démocratie, l'affrontement n'est jamais quelque chose de positif".

L'essence pérenne de la démocratie, c'est le super.

Un gréviste de Grandpuits en train de prendre la France en otage.

Je ne suis pas assuré, dubitatif que je suis par nature, du caractère démocratique de la réquisition qui a été faite, ce dimanche, par le préfet de Seine-et-Marne, de salariés grévistes afin de "servir" des clients (privés) de la raffinerie Total de Grandpuits.

L'arrêté a été pris en vertu du Code général des Collectivités territoriales (CGCT) qui dispose que "lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige", le préfet peut "réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service (...)". (AFP)

Il ne me semble pas si aisé de s'entendre démocratiquement sur les contours de ces notions très vagues de "bon ordre", "salubrité", "tranquillité" et "sécurité" publiques. Je n'en débattrais pas, à l'occasion, avec monsieur le préfet - car j'ai assez à faire avec mon beau-frère -, mais les barrages qui se tiennent, ici ou là, et de manière intermittente, devant les dépôts de carburant ne me paraissent pas vraiment contrevenir à ces quatre exigences... Les syndicalistes qui organisent ces blocages sont des gens raisonnables, et même, cela pourrait rassurer nos politiques, "responsables", et se conduisent en dignes héritiers de la grande tradition ouvrière de respect de l'outil de travail. Quant à réquisitionner du personnel en grève pour faire face aux livraisons des services d'urgence, comme cela a été fait à Grandpuits aujourd'hui, il s'agit d'une mesure quasiment inutile: tant que les cuves peuvent débiter, ces services sont approvisionnés.

Devant les dépôts, on s'installe, puis on s'en va, et on revient... Le terminal Rubis, au Grand-Quevilly, près de Rouen, est un bon exemple de ce petit jeu stérile mené par les autorités - stérile parce les raffineries sont à l'arrêt. Dégagé samedi matin, il a été à rebloqué hier, et débloqué ce matin à l'aube. A 14h 16, Paris-Normandie annonçait brièvement qu'il était "à nouveau bloqué par une trentaine de manifestants", et à 17h 30, que "le boulevard maritime [était] bloqué depuis 16h30 à la hauteur du terminal Rubis à Grand-Quevilly par 200 grévistes qui bloqu[aient] l'accès aux réserves de carburant".

Peut-être y sont-ils encore, peut-être ont-ils été délogés...

S'ils y passent la nuit, il y aura encore, autour des feux de palettes, de larges discussions, de bonnes rigolades et de grandes engueulades, essentiels carburants de la démocratie réelle.

4 commentaires:

Chomp' a dit…

Pérenne est le poteau rose (fable) ...
*mouarf*

Guy M. a dit…

Peut-être est-ce là la racine de la confusion du candidat Sarkozy, ancien excellent élève qui doit connaître ses fables...

Marianne a dit…

Une éternité pérenne même au paradis non merci !
Billet plein d'humour comme d'habitude , pérennité souhaitée .

Guy M. a dit…

Ce blogue est, par essence, d'une pérennité très relative, mais peut continuer à débloquer encore un certain temps.