mercredi 30 juin 2010

Un retour plein de dynamisme

Sur le point de sortir d'un accès de dépression saisonnière, si fréquente en début d'été chez les personnes qui débordent d'activités, et avant mon retour au clavier, je me permets de vous offrir ce parfait moment musical d'antan:

PS:

Le quatuor vocal des frères Jacques était constitué d'André Bellec (1914-2008), en maillot verdâtre, de Georges Bellec (né en 1918), en maillot jaune, de François Soubeyran (1919-2002), en maillot rouge, et de Paul Tourenne (né en 1923), en maillot bleu. Ils étaient ici accompagnés du pianiste Hubert Degex.

Ils ont été habillés une fois pour toutes par le décorateur de théâtre Jean-Denis Malclès.

La Chanson sans calcium a été écrite par J.C. Massoulier et Maurice Blanchot, et elle a également été interprétée par le grand Raoul De Godewarsvelde.

vendredi 25 juin 2010

Le coup de la panne

Réparations en cours.

mardi 22 juin 2010

Enfermement ou enfermement ?

Il semble bien que la France soit l'une des rares nations à disposer, dans son gouvernement, d'un ministre dédié à la Relance (pour être précis, d'un "ministre auprès du Premier ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance"). Cette fonction est occupée, rappelons-le à ceux qui l'auraient oublié, par monsieur Patrick Devedjian, membre éminent de l'UMP et président du conseil général des Hauts-de-Seine. On peut supposer que ses attributions embrassent, et sur un large spectre, tout, absolument tout, ce qui peut être l'objet d'une relance dans le pays : au moindre fléchissement devrait apparaître le ministre relanceur, afin de redonner l'impulsion survitaminée qui convient au secteur défaillant.

Hélas ! Il est probable que la volonté du ministre de la Relance a dû fléchir devant l'ampleur de la tâche, puisqu'on ne le voit pas là où il devrait être...

Je n'en retiendrai pour preuve que son absence en Afrique du Sud, aux côtés de notre équipe de foute complètement déballonnée par les consignes loufoques de son sélectionneur-entraineur.

Au lieu de cela, et alors que l'on voit madame Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, tenter de porter remède à cette défaillance collective des Bleus, monsieur Patrick Devedjian s'est rendu aujourd'hui à Saint-Etienne-du-Rouvray, dans l'agglomération rouennaise, truelle à la main, pour y poser la première pierre d'une Unité pour malades difficiles (UMD) qui doit être construite au sein du centre hospitalier spécialisé du Rouvray (CHSR).

Précisons que le CHSR est un hôpital spécialisé en psychiatrie, et que l'expression "unité pour malades difficiles" est un euphémisme désignant un lieu d'enfermement destiné à retrancher du monde les malades mentaux que l'on considère comme dangereux.

Il est possible que la présence de monsieur Devedjian marque tout de même une relance, celle de la politique psychiatrique sécuritaire de monsieur Sarkozy.

Qui n'en avait pas franchement besoin, car c'est un domaine où l'on n'a guère noté de fléchissement.

Mais cela occupe monsieur Devedjian.
En novembre, il relancera le chrysanthème.

C'est en 1860 que fut posée la première pierre de la prison Bonne Nouvelle, qui est, à Rouen, le lieu d'enfermement réservé aux personnes reconnues saines d'esprit et responsables de leurs actes. Elle fut "ouverte" en 1864, et devrait être désaffectée aux environs de 2015.

C'est dans cette prison que le mathématicien André Weil fut incarcéré en 1940. Il se trouvait à Helsinki lorsque la guerre a éclaté, et soupçonné d'être un espion, il fut arrêté par la police finlandaise. Finalement reconduit en France, il y fut condamné à 5 ans de prison pour insoumission. Il a été libéré en mai 1940, et a pu rejoindre les États-Unis en janvier 1941.

Constatant "personnellement les avantages considérables qu’offre pour la Recherche pure et désintéressée le séjour dans les établissements de l’Administration pénitentiaire", il rédigea, à l'intention des membres du groupe Bourbaki, qu'il avait contribué à fonder, un manuscrit sur la théorie de l'intégration, alors en discussion.

Il est probable qu'André Weil, malgré son humour, aurait du mal à trouver, de nos jours, les mêmes "avantages considérables" à la maison d'arrêt Bonne Nouvelle, qui, avec une capacité théorique de 650 places accueille régulièrement jusqu'à 800 prisonniers.

Récemment, le tribunal administratif de Rouen a condamné l'administration pénitentiaire à indemniser 38 détenus ou anciens détenus de la maison d'arrêt de Rouen, pour des conditions de détention jugées contraires au principe de la dignité humaine, les indemnités accordées allant de 350 à 17 500 euros, selon la durée de la peine.

Dans ses attendus, [le tribunal administratif de Rouen] a souligné que les cellules de 10 à 13 m2, où sont incarcérés jusqu'à trois détenus, ne comportaient pas, "pour la plupart d'entre elles, de ventilation spécifique du cabinet d'aisance" ni de "cloisonnement véritable avec la pièce principale". Il a jugé que ces conditions constituaient "un manquement aux règles d'hygiène et de salubrité".

Considérant que le tribunal "n'avait pas tenu compte des efforts faits", madame Michèle Alliot-Marie a fait appel de cette décision devant la Cour administrative de Douai, en espérant qu'elle saura rendre justice des bonnes intentions affichées de la chancellerie.

Si, demain, on la rase gratis,
le premier coup de pioche
sera-t-il donné par monsieur Devedjian ?


C'est dans cette prison-là que se sont produits les faits pour lesquels est jugé, depuis hier, celui que la presse nomme "le cannibale de Rouen", avec, parfois, des guillemets autour de "cannibale".

Selon le récit du Monde-AFP:

Le drame s'était déroulé le 2 janvier 2007 à la suite d'une querelle sur l'hygiène dans la cellule. Obéissant "à une pulsion d'agressivité", Nicolas Cocaign, alors âgé de 35 ans, avait frappé à coups de poing et de pied ainsi qu'avec une lame de ciseaux Thierry Baudry, 41 ans, avant de l'achever en l'étouffant avec des sacs-poubelles. Puis, Nicolas Cocaign avait préparé son repas du soir avec l'intention de manger le cœur de sa victime. Avec une lame de rasoir, il avait découpé le thorax de Thierry Baudry, enlevé une côte et prélevé un organe qui s'est avéré être par la suite un morceau de poumon et non le cœur. Il avait mangé une partie crue et avait cuisiné le reste avec des oignons sur un réchaud de fortune. "Je voulais prendre son âme", expliquera-t-il au juge d'instruction, qui le mettra en examen pour homicide volontaire accompagné d'actes de torture et de barbarie.

(Il faut ajouter que ces actes ont été commis en présence d'un troisième détenu, qui a été suspecté de complicité, et s'est suicidé à la prison d'Evreux.)

Le moins qu'on puisse dire - mais pourquoi ne pas dire ce "moins" ? -, c'est qu'il faut avoir l'entendement singulièrement disloqué pour en arriver à un tel passage à l'acte...

Mais les experts en discuteront, et le verdict dépendra de leurs conclusions.

Sans surprise : prison ou UMD, ce sera toujours l'enfermement.



PS (anecdotique) : André Weil n'est pas le seul personnage éminent jadis accueilli dans les locaux de la maison d'arrêt de Rouen...

Du moins si l'on en croit ces extraits du livre de Frédéric Charpier, Génération Occident (Le Seuil, 2005), cités par Ras L'Front - Rouen:

"...une vingtaine d'individus, blousons ou manteaux de cuir noir, a traversé le brouillard. Ils brandissent des barres de fer, l'un d' eux un trident. Le raid est ponctué de cris et de hurlements, quelques-uns, stridents, de douleur... Occident a importé sa violence sur le campus de la fac de Rouen. Un militant de la JCR, Serge Bolloch(1) a la boîte crânienne enfoncée... François Duprat (NDLR : militant néo-nazi) va fournir à la police la liste de ceux qui ont participé au raid... Le 8 février 1967 une vingtaine de militants d' Occident sont interpellés, gardés à vue, transférés à Rouen et écroués à la prison Bonne-Nouvelle... Patrick Devedjian, Patrice Gelinet ou Gérard Longuet en seront rapidement extraits. Alain Madelin, Patrick Souillard et Alain Robert n'en sortiront que plus tard... Les accusés comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Rouen le10 juillet 1967..."

(1) Note de RLF : Seront également blessés lors de cette agression : Jean-marie Canu, Laurent Marx, Claude Déron et Anne-marie Gourvennec.


Sur le même sujet, on peut aussi lire ce billet du blogue Droite(s) Extrême(s), qui se termine sur une anecdote drolatique.

dimanche 20 juin 2010

L'avenir d'une histoire commune

C'est à la fin de l'été 1969 que fut inauguré, sur les hauteurs de la rive droite, le troisième foyer africain de Rouen, le Foyer des Travailleurs Mauritaniens et Sénégalais, situé 14 rue Moïse, qui est devenu simplement, avec le temps, "le Foyer Moïse".

(Rouen comptait deux foyers, ouverts quelques années auparavant, le Foyer El Hadj Oumar, rue du Renard et le Foyer de la rue Stanislas Girardin.)

Williams et Dominique Cordier, les photographes installés "depuis toujours", comme on dit à Rouen, rue de la Pie, étaient présents à cette "fête joyeuse et grave" présidée par Mokhtar Ould Dadah, le premier Président de l'indépendance mauritanienne, une fête où s'exprimait "l'espoir de rapports nouveaux entre la France et l'Afrique, récemment libérée du colonialisme, à travers la reconnaissance de ces travailleurs africains qui particip[ai]ent à la reconstruction du pays après avoir, pour les plus anciens d'entre eux, payé leur tribut à la libération de la France".

(Je reprends là un texte de présentation signé par les Résidents des Foyers et leurs amis.)

On trouve quelques uns des clichés qui furent pris ce jour-là dans le livre Cordier Rouen que les éditions du Perroquet Bleu ont publié fin 2009. Si vous avez négligé de vous procurer ce bel ouvrage consacré à la belle ouvrage des Cordier, vous pourrez le feuilleter virtuellement sur le ouaibe du Perroquet, où vous trouverez par la même occasion les références qui vous permettront de réparer votre erreur.

(Les photos du Foyer Moïse et de son inauguration se trouvent de la page 122 à la page 125.)


Ces photographies ont dû être accrochées, avec d'autres, samedi dernier, à la Librairie Polis, 21 rue Percière, à Rouen, qui accueille jusqu'au 16 juillet une exposition intitulée W. & D. Cordier, Les foyers africains de Rouen, une histoire commune, quel avenir commun?

A cette occasion, trois soirées vont être organisées à la librairie avec le concours des résidents des foyers et leurs amis. En voici le programme, tel que je l'ai reçu:

Vernissage :

Histoire des foyers de Rouen
par Diamio Coulibaly & Haimouth Ba
Les menaces actuelles qui pèsent sur les foyers

jeudi 24 juin / 18h

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Rencontres & Lectures :

Conte-réalité par Véronique Nzié
Poèmes d'Afrique lus par Thomas Schetting

mardi 29 juin / 18h

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Récits de vie par Véronique Nzié

samedi 10 juillet / 18h

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Je suis bien content de voir que pour le vernissage, où sera discutée la question de l'avenir de ces foyers, menacé par des projets* qui semblent pour le moins mal réfléchis, on servira du thé et des gâteaux "confectionnés par les résidents des foyers et le restaurant associatif Plein Sud".

J'aime bien le thé et les gâteaux, et surtout ce qui va avec, qui tient de la joie et de la gravité...



* Voici la seconde partie du texte de présentation, déjà cité:

Foyers menacés?

Quarante ans ont passé depuis ce jour de fête où l'on a ri et dansé.
Contre vents et marées, malgré l'abandon des sociétés gestionnaires et des autorités qui ont laissé les bâtiments se dégrader faute d'entretien, les résidents ont préservé l'esprit du lieu: courage, hospitalité et ouverture au cœur de la ville.

Le respect de ces qualités n'a pas de prix! Quiconque y porterait atteinte donnerait un signal désastreux à notre ville.

Et pourtant, la mairie parle aujourd'hui de déménagement c'est à dire de destruction des bâtiments actuels et des conditions de vie que les résidents y ont inventées

Pourquoi au lieu de démolir ne pas réhabiliter l'existant?
Pourquoi ne pas permettre aux résidents de donner leur avis sur ce qu'ils jugent bon pour eux?
Pourquoi ne pas respecter leur souci de conserver les symboles de leur espoir d'hier?

Rouen n'a-t-il rien de mieux à faire que de concevoir la destruction des trois Foyers de la ville dans leur existence historique en cette année de célébration du cinquantième anniversaire de l'indépendance des états africains?

Les foyers sont une expérience qu'il faut respecter et dont nous avons bien des leçons à tirer.

vendredi 18 juin 2010

Un projet de loi bien discret

Quand on lit, extrait d'un communiqué de la CFTC à propos du projet de réforme de monsieur Eric Woerth, que "la brutalité du dispositif en l'état ne peut engendrer que l'incompréhension et le rapport de force", on se dit qu'il faut s'attendre au pire dans le domaine des mobilisations qui déchantent, et les plus optimistes ajoutent, pour faire les malins, que le pire n'est jamais sûr...

Tiens donc !

Un futur retraité à l'optimisme très convaincant.

On a l'impression qu'il y a actuellement tant et tant de projets de lois, portant sur des réformes nécessaires, forcément nécessaires, et urgentes, forcément urgentes, qu'il faudrait songer à dédoubler assemblée nationale et sénat pour tout examiner avec un minimum de respect des règles du débat démocratique. Mais ce respect n'est sans doute pas un objectif raisonnable; ce n'est pas ce qui entre en jeu dans notre notation, si j'ai un peu compris.

Parmi les ministres de l'actuel gouvernement qui peuvent espérer donner leur nom à l'une de ces lois de l'ère Sarkozy, monsieur Eric Besson est plutôt bien placé. Et puisqu'on le sait grand amateur de dispositifs à la "brutalité" affirmée, et assumée, on se doute bien qu'avec lui, le pire est toujours sûr.

Le "projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité", déposé par monsieur Besson, a été enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mars 2010, et devrait être discuté (et adopté, évidemment...) à la prochaine rentrée. Les esprits sagaces et curieux peuvent en consulter le texte sur le site de l'Assemblée Nationale.

Le ouiquende qui commence n'y suffira peut-être pas : ce document, avec ses annexes et tout et tout, annonce, dans sa version pdf, 546 pages...

Au lieu de se lancer dans cette jungle bessonnienne, il me semble plus judicieux de se pencher sur les 84 pages de l'analyse collective qu'ont fait de ce projet un certain nombre d'associations travaillant dans le domaine d'action coutumier du ministre de notre prétendue identité nationale.

Le texte suivant, qui accompagne l'annonce de cette publication, définit le point de vue adopté:

2003, 2006, 2007 et maintenant 2010… Le train des réformes législatives en matière de droit des étrangers fonctionne à plein régime : quatrième texte en 7 ans à venir modifier la condition des étrangers en France, le projet de loi marque un nouveau tournant dans la politique d’hostilité aux populations étrangères et attaque insidieusement le droit d’asile.

Officiellement, il s’agit de transposer en droit français trois directives communautaires. Pour le gouvernement, qui fait dire à ces textes européens ce qu’ils ne contiennent pas toujours, c’est surtout l’occasion d’affûter contre les migrants les outils juridiques existants et d’en forger de nouveaux.

Bien plus qu’une énième réforme, ce texte vise à priver d’espoir les migrants qui projettent de venir en France comme ceux qui sont déjà là. Au mépris des libertés fondamentales les plus élémentaires, beaucoup plus d’arrivants devraient être refoulés, beaucoup plus de sans-papiers pourraient être expulsés. À ceux qui, ayant été reconduits dans leur pays, souhaiteront revenir, l’Europe tout entière fera barrage pendant plusieurs années. La France renforce sa politique de dissuasion migratoire de manière brutale et probablement sans plus d’efficacité qu’avec les précédentes réformes.

C’est ce que se propose de démontrer cette analyse du projet de loi réalisée par les organisations suivantes : ADDE, Acat France, Anafé, Cimade, Fasti, Gisti, InfoMIE, Migreurop, MOM, Association Primo Levi, SAF, Syndicat de la magistrature (Sont en outre associées à ce travail les organisations membres de la CFDA, Coordination française pour le droit d’asile).

C'est un point de vue que je suis loin de désapprouver.

Ça tombe plutôt bien !

mercredi 16 juin 2010

Mafieux des Carpates : le retour

Depuis qu'il m'a saoulé avec cette histoire, je le surnomme Bébel.

Comme Belzébuth, alias Baal Sebud, le maître des mouches.

Portrait de Belzébuth par le dessinateur M. L. Breton,
pour le Dictionnaire infernal
de Jacques Auguste Simon Collin de Plancy, 1863.


Bébel est un de mes voisins de Trifouillis-en-Normandie. Il s'agit d'un voisin assez éloigné, une sorte de voisin issu d'issu de germain, si l'on veut se faire une idée du degré de voisinage que j'entretiens avec lui. Il habite vers le terrain de foute.

L'autre jour, il voulait entrer à la poste quand je voulais en sortir. Sur le perron, nous en vînmes rapidement, après quelques salutations campagnardes, à échanger de profondes considérations météorologiques à base de saints de glace. Il en profita pour m'annoncer que le redoux, qui, on s'en souvient, avait précédé le redur des ci-devant saints de glaces, s'était traduit par une véritable invasion de mouches dites "à viande" qui avaient conchié ses murs, plafonds et, surtout, toiles cirées et rideaux.

Pendant ce récit, son dernier rejeton, sweat à capuche et falzar taille ras-l'pubis, avec un fond de braguette aux genoux, se fendait l'âme en de grands soupirs désespérés.

Il m'expliqua que, "comme par hasard", avant que cette calamité ne s'abatte sur lui et sa famille, un groupe de "manouches" avait eu l'autorisation de s'installer sur un terrain situé au-delà du terrain de foute. La mairie y permet parfois de courts séjours aux "gens du voyage" qui ne peuvent stationner ailleurs dans notre "communauté de communes", sous-équipée en "aires d'accueil". Ce n'est pas tout près, mais pas si loin que cela de chez lui, puisqu'il pouvait "les" voir de sa fenêtre, m'assura-t-il. Preuve que les rideaux n'étaient pas à ce point maculés de déshonorantes chiures de grosses mouches bleues.

Alors son fils, en levant les yeux vers le peu de ciel que sa frange lui permettait de contempler:

- En mêm'temps, "elles" sont parties quand t'as viré l'pigeon crevé qu'était au garage... Et "eux", sont partis deux jours après.

- Et alors ? Justement !

Répliqua Bébel, sur un ton qui n'attendait pas de réplique.

Et il n'y en eut pas: le guichet s'étant libéré, Bébel s'y présenta, et je pus m'esquiver, adressant un geste de condoléances impuissantes au jeune colombophile, qui savait mieux que moi quelle épaisseur de couenne il aurait fallu traverser pour espérer toucher la raison paternelle.

Une gâterie pour cartésiens gourmands.

Je me demande s'il y a, sur notre territoire, un autre groupe que celui des Rroms pour susciter, chez les "braves gens", des sentiments de rejet xénophobe exprimés d'une manière aussi naïve et résolue. Et pour me rappeler avoir entendu, dans mon enfance vieille d'un demi-siècle, que le passage des "romanos" pouvait avoir provoqué des avortements dans les troupeaux de bovins, j'en arrive à m'interroger sur la profondeur pathologique de cette puissance maléfique attribuée par la stupide "sagesse populaire" aux gens de passage.

Du côté des têtes pensantes qui croient posséder la maîtrise de nos vies, et où l'on possède un sens minimal du ridicule, on préfère ne pas reprendre des allégations de ce type, bien entendu.

Elles sont simplement remplacées par l'utilisation, guère plus subtile, des mécanismes habituels de la xénophobie institutionnelle qui vise, avec toute l'apparente scientificité que permet l'usage de "chiffres" choisis, à constituer une partie de la population comme un "groupe posant problème".

Quelques chiffres bien présentés, mais sans commentaires...
(Source: article du Figaro du 11 juin 2010)

Avec son titre lumineux : Mobilisation contre la délinquance rom, et ses "mots clés" éclairants : Délinquance, Groupes Mafieux, Cambrioleurs, FRANCE, Roumanie, ROM , l'article de monsieur Christophe Cornevin, paru le 11 juin 2010, est un bel exemple de cette stratégie bien rodée.

Monsieur Cornevin, qui est "grand reporter" au Figaro, et spécialiste des questions de sécurité, tenait, ce jour-là, à informer ses lecteurs de l'importante décision, dont "l'impulsion, très ferme, est venue du plus haut sommet de l'État", visant à mettre en place "un plan d'action spécifique" pour faire face à "l'épineuse question des délinquants itinérants originaires d'Europe de l'Est, et de Roumanie en particulier".

Avec un art consommé de la formule qui marque, notre expert présente ainsi "l'épineuse question" posée par ces "délinquants itinérants":

Placés sous la férule de groupes mafieux les obligeant à vivre dans des conditions de vie délétères, nombre de ressortissants notamment issus de la communauté des Roms sont contraints de mendier, voler et cambrioler pour le compte de donneurs d'ordre retranchés dans les Carpates.

Pour bien nous faire comprendre "l'ampleur du problème", notre "grand reporter" détaille un fait divers survenu dans la région de Montbéliard, qui a été "porté à la connaissance du Figaro", c'est-à-dire, comme par hasard, à la sienne :

Dès 6 heures, 150 policiers et gendarmes ont investi un campement abritant un gang de cambrioleurs écumant le Doubs et la Franche-Comté. «Déposées par des complices en voitures, des adolescentes s'introduisaient dans des pavillons, forçant portes et fenêtres, afin de s'emparer des bijoux et du numéraire», explique un enquêteur. Au total, 18 suspects, 9 majeurs et 9 mineurs dont 3 âgés de moins de 13 ans, ont été interpellés. Près d'une cinquantaine de faits sont d'ores et déjà imputés à la bande vivant en caravane, reléguant les plus jeunes dans des tentes situées en périphérie. Outre plusieurs milliers d'euros en espèces, les enquêteurs ont découvert une «cache» recelant près de 75 bijoux en passe d'être écoulés clandestinement. Deux voitures, dont une Jaguar utilisée pendant les vols, ont été confisquées.

Cet éloquent exemple n'étant peut-être pas suffisant pour le lecteur moyen du Figaro qui se moque pas mal de ce qui se passe vers les confins jurassiens, monsieur Christophe Cornevin prend bien soin de donner des chiffres alarmants concernant l'Ile de France, également durement touchée par ce "type de fléau".

Il peut alors rassurer son lecteur:

Le plan de bataille du gouvernement prévoit de faciliter la reconduite à la frontière de toute personne impliquée dans des troubles à l'ordre public ou n'étant pas en mesure de justifier de ressources depuis plus de trois mois.

Par ailleurs, à l'initiative de Brice Hortefeux, un fichier d'empreintes digitales recensant toutes les personnes bénéficiant de l'aide au retour sera mis en œuvre à la rentrée afin d'éviter que certains individus ne reviennent clandestinement en France pour percevoir une seconde fois une aide financière. Enfin, une circulaire sera adressée dans les prochains jours par le ministre de l'Intérieur aux préfets afin de leur expliquer la possibilité qu'ils auront, dès l'automne prochain, d'évacuer les occupations illicites de terrains, qu'ils soient publics ou privés. Ces mesures inédites pourront être prises par une simple décision administrative, sans passer par l'actuelle phase judiciaire, plus longue et fastidieuse.


Quand Bébel découvrira cela, il sera content...

Plus de mouches !


Post-Scriptum:

Puisque monsieur Cornevin réactive la mythologie des "mafieux des Carpates", profitons-en pour indiquer que l'on peut (re)voir l'émission d'Yves Calvi, "C dans l'air", diffusée le 11 février 2010, sur France 5, qui portait le titre sans ambiguïté de Délinquance : la route des Roms, à l'adresse suivante : http://www.leracismealecran.info/

Les associations « La voix des Rroms », « Rromani Baxt », « Centre de recherche et d’action sur toutes les formes de racisme », « Ternikano Berno », « Femmes rroms, sinté et kalé », ainsi que l’Union rromani internationale, ont saisi le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel qui a adressé, le 11 juillet 2005, une mise en garde à la chaîne.

Plainte a été déposée, et, le 7 mai 2009, un premier jugement a condamné France Télévisions et Yves-Marie Laulan, invité de l'émission, pour provocation à la haine raciale envers les Rroms.

Une audience d'appel s'est tenue à la mi avril, et l'affaire a été mise en délibéré au 1er juillet 2010.

(Inutile d'attendre que les médias en parlent. Il faut plutôt consulter La Voix des Rroms, agence de presse ou blogue.)

mardi 15 juin 2010

Paroles de deux filles de rien

COMME UN SEUL HOMME

Certains refrains ne s’usent jamais et s’entonnent à plusieurs d’une voix forte et assurée, bras dessus-bras dessous, comme un seul homme.

Et depuis des mois, une chanson inaltérable répète encore et encore l’histoire d’un Tout (puissant), « au-dessus de ça », « grand artiste », un « bienfaiteur de l'humanité », assigné à résidence dans cette « prison » qu'est son chalet suisse de 1800 m². Face à Rien, quelques tristes gueuses à la recherche de leurs « trente deniers ».

Évidemment, tout ça n’a rien d’un conte, ce brouhaha incessant, ce bruit de fond, ce grésillement permanent renouvelé sans arrêt au gré des relais médiatiques. C’est une histoire « idiote », « sans importance », une accusation qui « n’a pas de sens », « absurde » et « infâme », à peine un « délit », cette affaire vieille de « trente-trois ans », « ridicule » !

Avec d’un côté, ceux qui comme un seul homme s'insurgent, font signer des pétitions et se soulèvent, prennent la plume et l’audience à témoin : c’est intolérable, ça leur « soulève le cœur » qu'on puisse ainsi s'attaquer à un des leurs, déjà traqué, diminué, diffamé. De cocktail en interview, à la une de partout, comme un seul homme, la mine offusquée et le verbe vibrant, les voilà qui se font juges, parce que c’est ainsi, ils SAVENT : cette « pure et simple opération de chantage » est « vraisemblablement » un mensonge...

Alors nous l'écoutons attentivement, cette caste des hommes entre eux, bien serrés, bien rangés, avec l’aplomb de leur rang, cette auto-proclamée élite intellectuelle au verbe haut, abasourdie d’être mise en cause contre des pas grand choses, bien dispensables. Une élite mâle qui s’arroge le droit du corps de quelques interchangeables et désobéissantes victimes qui ouvrent enfin la bouche.

Ceux pour qui elle était toujours habillée trop court, trop moulant, trop transparent, pour qui elle le voulait bien, faisait déjà femme, était une pute, ce n'était pas le premier, et ça l'arrangeait bien, qu'il prenne les devants. Trop provocatrice, trop inconsciente, trop lolita, trop menteuse, trop folle – et si ce n'est pas elle, c'est donc sa mère qui l’a laissée aller au rendez-vous. Et qui dit non consent, bien entendu... Et qui sont-elles, celles dont on parle, extirpées du silence où elles étaient rangées soigneusement après utilisation ? A cette question, comme un seul homme, il nous est répondu qu’il n’y a rien à voir, allez, les plaignantes ne sont : Rien.

Rien, à peine quelques tas de culs et de vagins anonymes et utilitaires devenus viande avariée de « mère de famille » pour l’une et « prostituée peut-être » « en mal de publicité » pour l’autre, petite chose oubliée, fille de rien, une petite voix sortie du passé et une photo trimballée sur le net, l’histoire d’une nuit dégueulasse commentée à l’infini.

Nous, nous passons des nuits blanches à nous retourner dans les échos de leurs précisions sordides « ce n'était pas un viol, c'était une relation illégale avec une mineure ». A nous demander, nous aussi, ce qui se passe là, ce qui se déroule sous nos yeux pour qu'ils puissent affirmer, sans rougir, sans transpirer, que le viol d'une adolescente de 13 ans, droguée, sodomisée, ayant dit non à dix-sept reprises, ayant porté plainte le soir même puisse être défini en ces termes légers. Cette histoire nous la connaissons depuis longtemps, et tous ces propos, ces adjectifs, nous les avons déjà entendus ou nous les entendrons. Propos banals, courants et vulgaires. Consternants. Les mêmes mots pour les mêmes histoires, encore, toujours, encore.

Nous sommes toutes des filles de rien. Ou nous l’avons été.

Nous filles de rien ne savons plus avec combien d’hommes nous avons couché.

Nous avons dit non mais pas assez fort sans doute pour être entendues.

Nous n’avons réussi à mettre des mots sur cette nuit-là qu’un an, dix ans, vingt ans plus tard mais nous n’avons jamais oublié ce que nous n’avons pas encore dit.

Nous filles de rien avons été ou serons un jour traitées de « menteuse », de « mythomane », de « prostituée », par des tribunaux d’hommes.

Nous avons été ou serons accusées de « détruire des vies de famille » quand nous mettrons en cause un homme insoupçonnable.

Nous filles de rien avons été fouillées de mains médicales, de mots et de questions, expertisées interrogées tout ça pour en conclure que nous n’étions peut-être pas des « innocentes victimes ». (Il existe donc des victimes coupables…)

Nous ne sommes rien. Mais nous sommes beaucoup à l'être ou à l’avoir été. Certaines encore emmurées vivantes dans des silences polis.

Et nous les détectons ces droits de cuissage revenus à la mode, ces amalgames défendant la révolution sexuelle, hurlant au retour du puritanisme, inventant commodément un « moralisme » « sectaire » et « haineux », faisant les gros yeux parce qu'une de ces innombrables, anonymes, utilitaires, sort de son « rang », oublie de se taire et parle de justice. Relents de féodalité drapée dans « l'honneur » des « citoyens » « de gauche », éclaireurs de la nation, artistes, intellectuels, tous d'accord, riant à gorge déployée à la bonne blague des « moi aussi Polanski m'a violé quand j'avais 16 ans » - en être, entre soi, cette connivence des puissants. A la suivante.

Nous la voyons cette frousse qu'on vienne, à eux aussi, leur demander des comptes, y regarder de plus près dans leur vie et au lit, y voir comment des viols, ces stratégies de pouvoir criminels, se font passer, sans l'ombre d'un doute, pour de la sexualité normale, joyeuse et libre, une sexualité avec sa « complexité » et ses « contradictions ». Nous l'avons vue, cette peur de l'effet « boule de neige » : et si toutes les autres, toutes ces filles de rien et de passage, toutes celles à qui il arrive, aujourd'hui, tous les jours, de se retrouver dans la situation de Samantha Greismer en 1977, si toutes ces quantités négligeables se mettaient à avoir un visage, une voix, une identité, une valeur ? Et si elle se mettaient à parler, à l'ouvrir bien grand cette bouche traditionnellement en cœur, faisant valdinguer tous leurs accords tacites, leurs secrets d'alcôve ? Que feraient-ils, ces hommes de gloire, d'exception, ces au-dessus de la mêlée, du peuple, de la masse, ces gardiens de tours d'ivoire, ces êtres si sensationnels et précieux ?

Ils se rendraient compte que tout cela n'a rien à voir avec cette « affaire politique » ou encore ce « choc des cultures » qu'ils essayent de nous vendre. Que tout cela ressemble à tous les viols de toujours où la victime n’est jamais assez victime : où on n’est jamais assez sûr qu’elle ait bien dit non.

Car ce qui se joue là c’est bien Ceux-là contre Rien, comme ils disent, tant il est entendu qu’il faut être Quelqu’Un(e) pour être entendue d’Eux.


Lola Lafon & Peggy Sastre
8 juin 2010


P.S les mots placés entre guillemets sont tous extraits de tristes discours existants.

dimanche 13 juin 2010

La toute petite dame du cinquième

Les jeunes gens bien nés de ma génération de bébiboumeurs ont presque tous découvert, vers la fin des années soixante, le livre prétendument "culte" de Salinger (Jerome David), The Catcher in the Rye, dans la traduction française de Jean-Baptiste Rossi, parue initialement chez Robert Laffont en 1953, et passée au Livre de Poche en 1967.

La version poche pour soixante-huitards.

Si vous avez réellement envie d'entendre cette histoire, la première chose que vous voudrez sans doute savoir c'est où je suis né, ce que fut mon enfance pourrie et ce que faisaient mes parents et tout avant de m'avoir, enfin toute cette salade à la David Copperfield, mais à vous parler franchement je ne me sens guère disposé à entrer dans tout ça. En premier lieu, ce genre de truc m'ennuie et puis mes parents pique­raient une crise de nerfs si je racontais quelque chose de gentiment personnel à leur sujet. Ils sont très susceptibles là-dessus, surtout mon père. Ils sont gentils et tout - je ne dis pas - mais ils sont quand même bougrement sus­ceptibles. D'ailleurs je ne vais pas vous faire entièrement ma saleté d'autobiographie ni rien. Je vais seulement vous parler de ce truc idiot qui m'est arrivé au dernier Noël, juste avant que je tombe malade et qu'on m'envoie ici pour me retaper.

Le principal avantage de cette traduction, qui me semble aujourd'hui encore plus affectée et artificielle qu'alors - et ce n'est pas peu dire -, était de nous donner l'envie de lire l'original.

Ce que je tentai de faire, y découvrant une langue que mes bons maîtres ne m'avaient guère préparé à manier...

If you really want to hear about it, the first thing you'll probably want to know is where I was born, and what my lousy childhood was like, and how my parents were occupied and all before they had me, and all that David Copperfield kind of crap, but I don't feel like going into it, if you want to know the truth. In the first place, that stuff bores me, and in the second place, my parents would have two hemorrhages apiece if I told anything pretty personnal about them. They're quite touchy about anything like that, especially my father. They're nice and all - I'm not saying that - but they're touchy as hell. Besides, I'm not going to tell you my whole goddam autobiography or anything. I'll just telle you about the madman stuff that happened to me around last Christmas just before I got pretty run-down and had to come out here and take it easy.

Cependant ma religion était faite, et jamais je ne pus vraiment communier dans le culte de J. D. Salinger.

Portrait de l'auteur en écrivain à succès.

Ce n'est qu'à la mort de Salinger que j'ai découvert la traduction qu'Annie Saumont avait faite de son roman mythique, parue en 1986, aux éditions Robert Laffont, que l'on trouve maintenant en Pocket.

Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j'ai pas envie de raconter ça et tout. Primo, ce genre de trucs ça me rase et secundo mes parents ils auraient chacun une attaque, ou même deux chacun, si je me mettais à baratiner sur leur compte quelque chose d'un peu personnel. Pour ça ils sont susceptibles, spécialement mon père. Autrement ils seraient plutôt sympa et tout ­- d'accord - mais ils sont aussi fichument susceptibles. Et puis je ne vais pas vous défiler ma complète autobiographie. Je veux juste vous raconter ce truc dingue qui m'est arrivé l'année dernière vers la Noël avant que je sois pas mal esquinté et obligé de venir ici pour me retaper.

Si l'on veut découvrir Salinger en français, c'est évidemment par cette traduction qu'il faut commencer.

Alors que Jean-Baptiste Rossi tentait de rendre le texte anglais en créant un idiome "à la Salinger", quitte à utiliser des anglicismes comme "Vieille Trucmuche" pour rendre "old Trucmuche", ce qui devient rapidement lassant, Annie Saumont s'ingénie à trouver des équivalents dans le français réellement parlé, et si elle invente des tournures originales, elle les fait toujours sonner juste.

Annie Saumont, une fine oreille.

Il parait* qu'Annie Saumont est maintenant "une toute petite dame de 83 ans" qui habite au cinquième sans ascenseur dans le quartier du Marais, à Paris, où depuis une trentaine d'années, elle vit et écrit ses livres.

Car, si elle est une traductrice reconnue - elle est notamment "devenue la traductrice attitrée de [John] Fowles" -, elle est d'abord, et avant tout, auteure de nouvelles; et maintenant qu'elle a renié les six romans que ses éditeurs ont tenu à lui faire écrire, elle n'écrit plus que des fictions courtes, et chacun de ses livres regroupe, pas tout à fait au hasard, une quinzaine de textes-bijoux ciselés avec le plus grand soin.

L'art de la nouvelle est un art d'orfèvre, mais mal apprécié dans notre beau pays:

«La nouvelle est un genre qui passe mal en France. Pour les éditeurs comme pour les lecteurs, il s’agit d’une chose mineure. Si un écrivain donne un livre d’histoires courtes, il le glisse entre deux gros romans en le présentant comme une récréation.»

Que chacune des "histoires courtes" d'Annie Saumont ait plus de force que bien des pavés insipides qui occupent les têtes de gondoles des libraires à grande surface, les enseignant(e)s l'ont bien compris. Ses nouvelles sont lues et étudiées dans les écoles et les collèges, pour une belle leçon de style et de composition, sur des thèmes que la "toute petite dame" va chercher à hauteur de la vie des "petites gens", des "gens de peu" ou des gens, tout court.

Souvent, notre octogénaire passe dans des classes afin de discuter avec les jeunes. «Je termine en leur lisant un texte inédit. Un excellent test.»

Il ne faut pas croire pour autant qu'Annie Saumont soit à classer dans cette section bâtarde de la "littérature jeunesse", destinée aux prézados, aux zados et aux parents lecteurs de Télérama, oh ! que non ! Prenez n'importe quel livre de nouvelles d'Annie Saumont**, et si vous ne ressentez pas au moins l'une d'entre elles comme un coup de poing à l'épigastre, je vous conseille d'aller au plus vite consulter un service de réanimation : vous êtes peut-être déjà mort...


* Article de la Tribune de Genève, signé d'Etienne Dumont, du 10 avril 2010.

** Le dernier livre d'Annie Saumont, Encore une belle journée, est paru en avril aux Éditions Juillard.

vendredi 11 juin 2010

Une diligente mission accomplie

A la lecture de la lettre qu'il a fait adresser au Collectif des Démocrates Handicapés, on sent bien que monsieur Bernard Niquet, préfet de Lorraine, se flatte d'accomplir sa mission en prenant grand soin d'observer toutes les formes réglementaires, ainsi qu'il le doit, mais aussi d'y ajouter comme un "supplément d'âme" en prenant des initiatives visant à "lever les inquiétudes" de certains de ses administrés.

Après avoir souligné à quel point l'expulsion de la famille d'Ardy Vrenezi avait été menée de manière irréprochable, il ajoute, comme pour en finir avec tout ça:

Enfin, pour lever tout doute sur les conditions de son suivi au Kosovo, j'ai demandé au Directeur Général de l'Agence Régionale de Santé de Lorraine de diligenter une mission sanitaire à portée médicale.

Celle-ci s'est rendue sur place le 2 juin 2010. Elle a été conduite par deux membres du corps médical et un pharmacien qui ont rendu leurs conclusions dans le rapport transmis en pièce jointe.

Les constats effectués par les médecins sont de nature à lever les inquiétudes concernant la santé d'Ardi Vrenezi et sa prise en charge.

Ils valident la procédure mise en œuvre par mes services, ainsi que les avis médicaux qui avaient été donnés en leur temps.

Après tout, si la procédure est valide,
peu importe qu'Ardy ne le soit pas...


Sur cette mission et ses résultats, nous n'avions, jusqu'à aujourd'hui, que le compte-rendu d'une conversation téléphonique entre le docteur Kieffer, pédiatre d'Ardy en Moselle, et les trois membres de la mission, le Dr Grall, Directeur de l’Agence Régionale de Santé, le Dr Bourrier (médecin réanimateur) et le Dr Chopart (pharmacien). Ces notes, probablement rédigées à la hâte par Isabelle Kieffer - qui n'a pas que cela à faire -, apportent des informations essentielles sur la façon dont la délégation du préfet a travaillé.

(Et j'avoue que j'aime bien entendre frémir, sous les propos du Dr Kieffer, cette indignation que je partage, même si cela tranche un peu avec la belle prose empesée de monsieur le préfet...)

Dans Le Monde d'aujourd'hui, Élise Vincent, qui affirme avoir "pu consulter" le rapport de la mission, signe un article qui se trouve intitulé de manière plutôt accusatrice : Les autorités françaises suspectent une privation de soins du polyhandicapé expulsé au Kosovo. Accusation reprise encore plus précisément dans l'introduction:

Alors que le collectif associatif qui soutient Ardy Vrenezi appelle à manifester, le 14 juin, devant le Parlement européen, à Bruxelles, le rapport édité sous la tutelle de l'Agence régionale de santé (ARS) de Lorraine, le 7 juin, suspecte les parents d'Ardy de le priver de soins dans l'espoir d'obtenir un retour en France.

Je ne sais si Élise Vincent a pour mission de faire passer ce message, mais on dirait bien qu'elle s'y consacre* : pas moins de cinq paragraphes sont consacrés aux manquements des parents d'Ardy. La préfecture de Moselle, qui suggère ce thème depuis un bout de temps, aurait peut-être souhaité qu'elle en fasse un peu plus.

Histoire de bien enfoncer le clou.

Si l'on veut bien se mettre à la place des Vrenezi, ou encore, pour parler à la mode, si l'on veut bien les considérer avec un minimum d'empathie, leurs réticences et négligences sont assez compréhensibles, après avoir été expulsés sans trop de douceur dans ce pays qu'ils avaient quitté, et où, en trois ans de soins et consultations, on n'avait pas été capable de poser un diagnostic correct dans le cas de leur fils. (Je devrais souligner, ou grasseyer, mais vous savez lire.)

On peut comprendre aussi que cela agace certains médecins kosovars, mais savoir (re)gagner la confiance des patients, et/ou de leurs parents, cela fait aussi partie de l'art de soigner.

Cet art était peut-être le cadet des soucis de cette mission de trois experts, qui a enquêté et inspecté pendant une quinzaine d'heures, vu une quarantaine de personnes, "fait une tournée 'aléatoire' des pharmacies" (j'espère que la procédure stochastique a été validée par un expert statisticien de l'ARS), mais n'a pas procédé à un véritable examen médical d'Ardy.

Ils l'ont vu : il était là, et vivant.

Ah ! Tant mieux...

Dirent-ils, probablement, avant de reprendre leur importante "tournée 'aléatoire' des pharmacies".

Ou l'avion.

Mission accomplie...


* Elle nous gratifie également d'un encadré, que l'on croirait rédigé par le service de la communication de la préfecture, intitulé L'expulsion d'Ardy est-elle légale ?

jeudi 10 juin 2010

Des poids et des mesures

Monsieur Éric Besson, ministre des Expulsions et de la Pureté Nationale, pataugerait-il, lui aussi, dans l'émotionnel comme n'importe quel(le) "extrémiste" du Réseau Éducation Sans Frontières ?

La question se pose quand on découvre, en page d'accueil de 20minutes.fr, ceci:

C'est bien lui, là, sur la photo ? Je ne rêve pas ?
(Copie d'écran, mise en page au hasard du défilement.)

On apprend, à la lecture de l'article ainsi annoncé, que monsieur Besson, en déplacement officiel au Canada, aurait insisté auprès de son homologue, monsieur Jason Kenney, afin que celui-ci revienne, de manière discrète et discrétionnaire, sur le cas d'une famille française dont les demandes de "résidence permanente" ont été plusieurs fois repoussées par les services canadiens de l'immigration, alors que leur permis de travail temporaire arrive à son terme à la fin de cette année.

David et Sophie Barlagne sont installés depuis cinq ans au Canada, avec Rachel, leur fille qui a maintenant sept ans, et, selon un article du Figaro du 19 mai, "les Barlagne présentent (...) le profil des immigrés modèles". Le père est un ingénieur informaticien qui "a monté avec succès son entreprise spécialisée dans les sites internet et les logiciels culturels". L'article ne précise pas ce que fait la mère, mais insiste sur le fait que la petite fille est "scolarisée et pratique l'équitation et le piano".

Rachel est atteinte de "paralysie cérébrale" et on nous assure qu'elle n'est pas lourdement handicapée, mais, à l'issue d'une visite médicale, "l'administration a estimé que Rachel représentait un «fardeau excessif» pour les services sociaux canadiens". Au cas où monsieur Combien-ça-coûte et madame, née Qui-c'est-qui-paye, me liraient, ce dont je doute, voici l'estimation du "fardeau":

«Un Canadien moyen coûte 4.806 dollars canadiens par an aux services sociaux, c'est l'estimation officielle. Rachel coûterait 5.259 dollars de plus», résume de son côté l'avocat de la famille, Me Stéphane Minson.

David et Sophie Barlagne sont prêts à prendre en charge le montant des soins de rééducation (orthophonie, physiothérapie, ergothérapie) et les frais de scolarité de leur fille.

Mais «au Québec, contrairement à ce qui se passe dans d'autres provinces comme l'Ontario, les services d'éducation spécialisée sont offerts sans frais, peu importe les conditions financières des parents ou leur désir de payer, jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge de 21 ans», a rappelé la juge Johanne Gauthier de la Cour fédérale (...). La magistrate a toutefois reconnu qu'il s'agissait d'un dossier difficile : «Des cas comme celui-ci sont toujours difficiles à traiter, particulièrement lorsqu'ils impliquent une jeune fille qui est intelligente et attachante».

(Madame la juge a, bien sûr, le droit de porter ses états d'âme en sautoir, mais j'aimerais bien savoir ce que cela changerait si la "jeune fille" était moche comme un pou, méchante comme une teigne et bête comme les pieds de madame la juge...)

En bref, au Québec comme partout, et notamment en France, "la Loi, c'est la Loi"...

Il est piquant, dans ces conditions, de voir notre grand expulseur en chef faire "du lobbying" auprès de monsieur Jason Kenney en faveur d'une famille qui, selon la loi canadienne, a "vocation à" ne pas s'installer au Québec; et de lire ce communiqué où il "espère un dénouement favorable conforme aux vertus d'accueil et d'humanité du Canada, dans le respect de l'indépendance de sa justice".

Les parents de la petite Rachel pourraient probablement trouver en France les soins et l'accompagnement adaptés à son cas... Mais je souhaite, évidemment, que la démarche de monsieur Besson aboutisse.

Néanmoins, j'aimerais que, le jour où il se félicitera de sa réussite, il nous explique le pourquoi de ce "deux poids, deux mesures" dans son action...

Monsieur Besson aurait-il mis sa belle cohérence dans sa poche ?

Car enfin, que je sache, monsieur Besson n'a pas commencé à remuer le moindre cil de la moindre paupière au sujet de l'expulsion, en urgence, par les autorités françaises, de la famille Vrenezi, vers le Kosovo, malgré l'état de santé préoccupant d'Ardy, garçon de 15 ans polyhandicapé.

Les nouveaux lecteurs pourront lire quelques informations sur cette affaire ignoble dans un, deux, trois, quatre billets de ce blogue.

Mais il faut surtout recommander la lecture du "Blog de Ardy", tenu régulièrement par des membre du comité de soutien.

La dernière mise à jour reproduit la lettre-réponse du Préfet de la Moselle au Collectif des Démocrates Handicapés: elle mérite qu'on s'y arrête - ce que je ferai peut-être un jour...

En attendant, je relaye cet appel:

Les associations en appellent à l’Europe des droits de l’homme, de la solidarité et des libertés !

Appel à manifester le lundi 14 juin devant le Parlement européen à Strasbourg pour le retour d’Ardi, jeune Kosovar polyhandicapé !

Alors que l’état de santé d’Ardi Vrenezi, jeune Kosovar polyhandicapé expulsé de France le 4 mai, s’est dramatiquement aggravé, l’Association des Paralysés de France (APF), Handas, le Réseau Education sans Frontières (RESF), la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Handicap International France, la Cimade et l’Observatoire du Droit à la Santé des Etrangers (ODSE) appellent à manifester le lundi 14 juin à 14h devant le Parlement européen de Strasbourg.

Une manifestation à l’initiative du comité de soutien local qui comprend les structures locales des associations nationales, mais aussi des proches, des voisins, des professionnels de santé qui ont suivi Ardi, des syndicats, des partis politiques… Un objectif : le retour en France d’Ardi et de sa famille pour lui garantir une continuité de soins dont le besoin est vital !

Et puisque les pouvoirs politiques français ne répondent pas – malgré les dernières démarches de la Préfecture de Moselle – aux nombreuses sollicitations, les associations en appellent à l’Europe des droits de l’homme, de la solidarité et des libertés !

L’état de santé d’Ardi s’est aggravé de façon dramatique

Les dernières nouvelles sur l’état de santé d’Ardi sont mauvaises : son épilepsie s’aggrave avec des crises qui se généralisent, conduisant à des pertes de connaissances. Il a des difficultés pour avaler qu’il n’avait pas avant ; et a reperdu une partie des capacités motrices qu’il avait retrouvées grâce à sa prise en charge en France. En absence d’un contrôle de son épilepsie, Ardi va se retrouver dans l’état dramatique dans lequel il était à son arrivée en France en 2008, nécessitant une alimentation par sonde, et risquant les complications graves d’une épilepsie sévère pouvant aller jusqu’à la mort. Même avec des médicaments adaptés, l’absence de prise en charge globale spécialisée laisse prévoir une dégradation rapide de toutes ses acquisitions. Un enfant polyhandicapé avec une pathologie aussi grave a des besoins spécifiques nécessitant une prise en charge complexe.

L’envoi de trois experts par la Préfecture au Kosovo la semaine dernière et le compte-rendu qui en a été fait confirme les inquiétudes des associations. Même si l’état de santé d’Ardi semble se stabiliser suite à son hospitalisation, sa situation générale s’est particulièrement dégradée depuis son départ de la France.

Pourtant, depuis 1998, la loi protège les malades atteints de pathologies graves contre les expulsions et leur permet d’avoir un titre de séjour.

Alertes et interpellations laissées sans réponse !

Depuis des semaines, tous les acteurs mobilisés pour le retour d’Ardi n’ont eu de cesse de solliciter et d’alerter les pouvoirs politiques français nationaux. En vain !

* Depuis le début de la mobilisation, les membres du comité de soutien local – le médecin français d’Ardi en tête – sont restés en contact avec la famille et, alarmés par l’état de santé du jeune, ont envoyé de nombreux courriers notamment au Préfet de Moselle et à Bernard Kouchner. La Préfecture de Moselle et l’Ambassade de France au Kosovo commencent seulement à apporter des réponses partielles à court terme, sans prendre en compte la situation globale de ce jeune adolescent.

* Une pétition demandant le retour de la famille a été signée par plus de 2200 personnes.

* En parallèle, le 6 mai, l’APF a envoyé un courrier au président de la République pour l’alerter sur cette situation. Et le 27 mai, l’APF a demandé la création d’une enquête parlementaire aux Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

* Malgré cette forte mobilisation, les politiques français restent sourds et n’ont répondu à aucun courrier, ni à aucune sollicitation !

Rendez-vous devant le Parlement européen à Strasbourg lundi 14 juin à 14h
pour demander le retour d’Ardi et de sa famille !


Et la pétition, elle est toujours sur le site du RESF.

mercredi 9 juin 2010

Je suis désinformé, mais je me soigne

Si "notre ami Bernard-Henri Lévy" n'existait pas, on pourrait fort bien s'en passer: il suffirait que Libération trouve un autre actionnaire, ce n'est pas ce qui manque.

Mais on peut se demander si la qualité et la précision de notre information n'en pâtirait point...

Aurait-on, sans lui, découvert cette expression de "blocus israélo-égyptien de Gaza", qui semble promise à un si bel avenir ?

Et surtout, qui d'autre aurait pu me montrer à quel point j'étais désinformé par des "désinformateurs" qui répandent à pleines colonnes la "désinformation" sur tout ce qui concerne de près ou de loin les agissements de l'Etat israélien ?

Les infos de BHL, en général, c'est du solide.

Enfin éclairé par notre quasi unique héritier des Lumières, et désireux de lutter contre cette fameuse "désinformation", je me suis risqué à explorer des sites fiables qui, comme monsieur Bernard-Henri Lévy, ont tant à nous apprendre sur la situation dans la bande de Gaza.

Sur l'un d'entre eux, dont je ne relaierai pas le lien et dont j'oublierai le nom, mais que vous pourrez trouver facilement, j'ai pu consulter un dossier, posté le 31 mai 2010, établissant qu'il n'y avait "pas de blocus à Gaza", et en donnant "les preuves". Ce dossier regroupe des articles publiés précédemment sur ce blogue d'informations et d'opinions.

J'ai pu ainsi apprendre que, loin d'être la "prison à ciel ouvert", voire le "camp de concentration", que me dépeignent les organes de "désinformation" qu'il m'arrive de lire, la bande de Gaza est devenue, depuis le début du blocus-non-blocus instauré conjointement par l'Egypte (surtout) et Israël (accessoirement), un véritable paradis sur terre. Dans cet Eden, si j'en crois les informations non vérifiables de mes nouveaux informateurs, des populations oisives, et heureuses de l'être, attendent chaque jour l'arrivée des nombreux camions envoyés par les israéliens leur apportant d'appétissantes denrées dont ils s'empiffrent ostensiblement dans des restaurants de luxe, non loin d'une piscine olympique.

Ce n'est pas Gaza, c'est Byzance.

Toutes les ménagères de Tel-Aviv
rêvent des marchés de Gaza-City.
(Photos illustrant un article intitulé:
A Gaza, on manque de tout... Et surtout de rien !)

Ce n'est certes pas dans ces articles que s'alimente l'humanisme délicat de monsieur Bernard-Henri Lévy, mais on y retrouve, exprimées de manière un peu plus libre peut-être, toutes ces prétendues informations sur lesquelles il fonde sa négation de l'existence même du blocus de Gaza.

Si l'on s'inflige la lecture des commentaires qui les accompagnent, ces pages donnent une image très instructive de ce qui peut naître de la pensée de notre barbare à visage de (vrai) humaniste, qui, dit-il en faisant allusion à l'action tentée par la flottille de la liberté, "s’honore d’avoir, avec d’autres, aidé à inventer le principe de ce type d’actions symboliques".

(On voit par là que notre "idiot" a su se rendre "utile"...)

Lors de l'action "Un Bateau pour le Viet-Nam".
On voit Sartre... Glucksmann... Aron...
Et c'est sans doute BHL qui prend la photo.

lundi 7 juin 2010

Le rasoir d'Henning Mankell

"Sur le bateau à bord duquel je me trouvais, ils ont découvert une seule arme: mon rasoir. Et ils l'ont effectivement arboré, mon rasoir."

Cette remarque d'un des premiers expulsés-rapatriés de la flottille de la liberté pour Gaza, citée dans une dépêche de l'AFP reproduite par Libération, montre bien "à quel niveau on était" lors de cette attaque menée par les troupes israélienne contre un convoi de matériel humanitaire.

Et considérant que, pour être assimilé à une "arme" par les brutes montées à bord, un "rasoir" ne saurait être qu'un authentique coupe-chou, j'ai ressenti comme un sentiment de fraternité pour cet homme qui envisageait peut-être, en bon idéaliste, de se raser avec un tel instrument sur un bateau.

Coupe-chou en tenue de combat.


Cet adepte du rasage à l'ancienne se nomme Henning Mankell.

Sa notoriété d'écrivain lui a permis de publier son témoignage en forme de "journal de bord" dans "divers journaux, dont The Guardian, El País, Dagbladet, La Repubblica ou The Toronto Star", selon Libération qui en a donné, samedi 5 juin, la traduction française (par Anna Gibson), sous le titre inepte de Henning Mankell : récit de l’écrivain embarqué.

On ne se demandera plus tellement dans quoi Libération est "embarqué", en remarquant que les titres des "tribunes" de monsieur "Bernard-Henri Lévy, philosophe", aka "notre ami Bernard-Henri Lévy", ne bénéficient pas de l'habillage distancié (et dans le cas d'Henning Mankell, dépréciatif) des intitulés, marque de style du quotidien joffrinesque...

Pas question de confondre un "philosophe", fut-il un témoin bel et bien "embarqué", avec un "romancier", fut-il un écrivain véritable, "lucide et révolté".

Henning Mankell, mal rasé, à son retour en Suède.

Pour l'essentiel, le texte d'Henning Mankell est constitué de notations de choses vues, observées, subies ou ressenties, et c'est ce qui fait sa force, un implacable témoignage subjectif, bien loin des guignolades "philosophiques":

"Tard le soir, nous arrivons en Suède. Je parle à des journalistes. Puis je reste un moment assis dans le noir devant la maison où j’habite. E. ne dit pas grand-chose.

Le lendemain, 2 juin, j’écoute le merle. Un chant pour ceux qui sont morts.

Maintenant, il y a tout ce qui reste à faire. Pour ne pas perdre de vue l’objectif, qui est de lever le blocus de Gaza. Ça va se faire. Derrière ce but, d’autres attendent. En finir avec un régime d’apartheid, cela prend du temps. Mais pas une éternité."



... un chant pour ceux qui sont morts.

vendredi 4 juin 2010

Mondanités impressionnistes

Si la Préfecture de Police avait eu à dénombrer l'assistance, elle aurait compté plusieurs centaines de personnes.

Je tiens à préciser que nous étions plus du double, et je vous laisse faire le calcul.

La longue attente des invités, sous un soleil de plomb
et la protection de la police.

Sans avoir à aliéner l'intégrité de ma petite sœur, dont la valeur marchande, il est vrai, s'est profondément dépréciée ces dernières années, j'ai pu me mêler au grand concours de populasse plus ou moins huppée qui se pressait dans les salles du Musée des Beaux-Arts de Rouen, où se vernissait l'exposition Une ville pour l'Impressionnisme. Une de mes jeunes collègue, solitaire en cette soirée, avait éprouvé le besoin d'une escorte solide pour se rendre en ces lieux, et ma carrure impressionnante lui avait semblé convenir, malgré mes dénégations faussement modestes.

Il fallut attendre l'arrivée de monsieur Laurent Fabius pour commencer les discours prévus.

Celui de madame Valérie Fourneyron, d'une bonne longueur, ne permit pas de rattraper le retard qui avait été pris. A peine fut-il émaillé d'un lapsus et d'une bourde qui n'ont ni rafraîchi l'air surchauffé sous la verrière, ni détendu l'assistance en surchauffe sous ladite verrière.

Aussitôt repris, le lapsus ("explosion" pour "exposition") a prestement mis en émoi les vigiles en faction sur chaque escalier, prétendument pour y prévenir les faux pas du troisième âge, en sur-représentation ce soir-là. Quant à la bourde ("Picasso" pour "Pissarro"), elle n'est que l'indice d'une culture assez étendue pour dépasser les frontières de l'Impressionnisme, et c'est ainsi qu'elle fut entendue.

Monsieur Pierre Bergé eut le mérite de faire court, bien qu'en citant d'emblée le mot d'Oscar Wilde selon lequel avant Turner, "il n'y avait pas de brouillard à Londres", il ait laissé craindre un développement historico-esthétique plus substantiel. Mais, grand seigneur fatigué, il nous en fit grâce.

Autre grand seigneur, et dans son fief, monsieur Laurent Fabius se lança dans un éloquent laïus, mais ne put empêcher un renvoi de gastro-politique de fleurir sur ses lèvres. Parlant de l'échec rencontré par Gauguin lors de son installation à Rouen, il le proposa comme sujet de réflexion à ceux qui penseraient venir à Rouen pour y rencontrer la réussite, histoire, à mon oreille, de bien marquer son territoire.

Mais je ne suis peut-être pas un bon entendeur dans le domaine de la politique locale à l'estomac...

Tout à fait à droite, sur la photo, si j'étais plus grand,
on pourrait voir monsieur Fabius prononcer son discours.

Ce fut un grand soulagement pour mon estomac affamé et ma gorge altérée d'entendre monsieur Laurent Salomé, directeur des musées de Rouen et maître d'œuvre de cette exposition, en proposer le parcours après quelques élégances protocolaires.

Ce que nous fîmes, ne nous accordant qu'un bref détour par le buffet classieusement garni et en nous promettant d'y revenir.

A l'exposition aussi, je me suis promis de revenir, car il me faudra réellement la voir pour pouvoir en parler.

Vous savez ce que c'est, un soir de vernissage, quand, comme moi, on soigne son carnet d'adresses, on ne regarde rien, on ne fait que serrer ou baiser des mains...

mercredi 2 juin 2010

Géopolitique matinale

En annonçant qu'il allait quitter la matinale de France Inter "du fait qu'[il a] une vie monacale", et sous-entendant par conséquent qu'il allait désormais mener une vie de patachon, Nicolas Demorand, journaliste tonitruant, a donné un bien mauvais exemple à la jeunesse.

Et plonge ma vieillesse dans l'angoisse, car il n'a pas révélé les noms de ceux qui vont le remplacer - il y en aura sûrement plusieurs.

Je n'ai jamais cru un seul instant à la rumeur proclamant que Stéphane Guillon était en tête de liste dans le bureau de monsieur Philippe Val. Les gens qui ont répandu ce bruit ont peut-être vu une liste, mais ce n'était sûrement pas celle des successeurs possibles de notre dynamique et monacal normalien.

Ce qui m'inquiète davantage, c'est cette information, que vient de me donner Ptilu, que l'on appelle aussi le "beurré nantais", car il est originaire de la Loire-Atlantique: selon ses sources, qui sont bien gouleyantes, on envisagerait, en haut lieu, de confier la matinale de France-Inter à un tandem de journalistes formé de Bernard Guetta et Patricia Martin.

Il a dû me dire cela pour me faire peur.

Une des sources de Ptilu,
grand buveur et peintre en lettres.


Bernard Guetta est un journaliste extrêmement sérieux.

Plus sérieux que lui, tu meurs !

D'ailleurs, en l'entendant lancer du studio son "bonjour", d'une voix crépusculaire au timbre de bronze, on se demande s'il est vraiment vivant.

On attend alors sa chronique, en se demandant quelle catastrophe géopolitique a bien pu encore arriver à notre pauvre planète.

Car la spécialité de Bernard Guetta, c'est la géopolitique; et la géopolitique, sur France Inter, c'est à 8h 17.

Salvador Dali, 1943.
Enfant géopolitique observant la naissance d'un homme nouveau
.


La chronique d'hier matin était intitulée: Les leçons d'un assaut. Titre sobre, mais tout à fait adapté: Bernard Guetta aime tirer des leçons des événements survenus sur la planète, et, à partir de ses analyses, en donner. Des leçons. A la planète tout entière, bien entendu.

C'est un donneur de leçons de type planétaire, en quelque sorte.

Et comme, apparemment, aucun des grands dirigeants auxquels il aimerait s'adresser ne sont à l'écoute de France Inter à 8h 17, il n'a pas fini d'avoir des leçons à donner.

Hier, son incipit a provoqué un certain effet de surprise:

Il y a, d’abord, les évidences, accablantes pour Israël. Organisé dans les eaux internationales, cet arraisonnement était totalement illégal et doit, donc, être considéré comme un acte de piraterie dont les conséquences relèvent de la seule responsabilité de son organisateur. En droit, les passagers de cette flottille étaient fondés à se défendre et, quand bien même auraient-ils initié les violences – ce qui est possible, voire probable, mais reste à prouver – la première de ces violences était l’arraisonnement.

L'auditeur un peu distrait peut penser que, pour une fois à court d'inspiration, son subtil chroniqueur de 8h 17 va lui faire le coup du "point-barre". A peine a-t-il remarqué l'incise, bercée d'un beau rythme ternaire, "ce qui est possible, voire probable, mais reste à prouver", qui laisse planer comme l'ombre d'un doute.

La relance du deuxième paragraphe crée, elle aussi, son effet de surprise:

Cela doit être dit mais, lorsqu’on a dit cela, on n’a dit qu’une partie de la vérité car cette flottille n’avait pas que des objectifs humanitaires.

Il y a des gens qui, lorsqu'ils ne coupent pas le rythme en trois, aiment bien partager la vérité en deux morceaux.

Il est probable, mais je ne m'acharnerai pas à le prouver, que Bernard Guetta estime que l'action humanitaire doit avoir pour objectif de poser des emplâtres sur des jambes de bois, et surtout pas de poser les problèmes en termes politiques ou géopolitiques. Car, selon son analyse, ce que visaient principalement ces fourbes humanitaires "était de placer Israël devant une alternative dont il ne pouvait que sortir perdant". En arrêtant la flottille de la paix, Israël risquait, faisant des victimes, "l'opprobre international", mais en laissant la flottille briser le blocus de Gaza, Israël se résignait à "une victoire politique des islamistes".

(Il fallait bien qu'ils soient évoqués, ceux-là...)

L'État d'Israël, "totalement piégé", serait donc "une victime politique" de cette opération ?

Oui mais, là encore, ce n’est qu’une partie de la vérité car rien n’obligeait Israël à organiser ce blocus de Gaza, lui-même illégal au regard du droit international et qu’il n’était pas illégitime de vouloir forcer.

Répond notre chroniqueur, qui enchaine avec cette forte parole:

Tout se plaide dans cette affaire.

Et, puisque, nous dit-il, "c’est au fond qu’il faut aller pour en juger", il nous révèle le fond du fond de son sac à malice rhétorique:

Gaza a été transformé en prison à ciel ouvert avec, pour objectif, parfaitement clair, d’amener les Gazaouis à se révolter contre le Hamas, à désavouer les islamistes et à renverser leur pouvoir.

Ça, c'est de la géopolitique fine...

Mais, aurait pu dire Bernard Guetta, ce n'est là qu'une partie de la vérité, et il faut élargir encore notre champ de vision pour conclure:

Depuis trois ans, le siège de Gaza n’est qu’un élément de la vaste partie régionale qui oppose Israël et les régimes arabes, d’un côté, à l’Iran, au Hamas et au Hezbollah libanais, de l’autre. En ce sens, ce blocus a sa logique mais, outre qu’il consiste à prendre une population en otage, il ne mène à rien d’autre qu’à l’impasse pour Israël qui ne trouvera sa sécurité que dans la justice et la raison – celles de la création d’un État palestinien.

(Oui, mais un État sans les "islamistes", si j'ai bien suivi...)

Arrivé à ce degré de généralité, Bernard Guetta dit cela et Bernard Guetta ne dit rien.

Mais il reviendra demain, muni d'évidences qui ne sont qu'une partie de cette vérité qu'il nous révélera, car, lui, il la connaît.