


J'ai découvert des tas de choses que j'ignorais encore, hier, en allant consulter l'impressionnante bibliothèque si bien rangée (quasiment "gérée") de mon amie X-(ine).
Je fus noyé dans un discours passablement incohérent, qui me laissa craindre un instant pour la santé mentale de cette très chère amie. Il y était question de Jacques Roubaud, d'alerte à la bombe, de Normale Sup. En fait, en véritable amie, qui sait bien qu'il faut régulièrement flatter mon ego fissuré, sous peine de me voir retomber en d'horribles cauchemars, X-(ine) a tendance à croire que rien de ce qui concerne Jacques Roubaud ne m'est étranger. Il est vrai que ce blog est placé sous le double patronage de Desnos et de Roubaud, mais il ne faut pas exagérer.
Je relaye, sans commentaire personnel autre que le titre que j'ai choisi, la lettre qui suit. Ivan et Bruno s'expliquent très bien sans moi.
Mon seul espoir est que cette lettre soit relayée par d'autres, plus sérieux et plus lus que moi.
Lettre d’Ivan et Bruno depuis les prisons de Fresnes et Villepinte.
Salut à tous les copains, à tous ceux qui ne sont pas résignés à la situation que nous vivons : occupation policière des rues, des villes, rafles, expulsions, arrestations, difficultés quotidiennes, dépossession de nos vies ; cette situation qui nous pousse à céder une part grandissante de nos vies aux chefs en tout genre, à ceux qui président à nos destinées, au pouvoir. Si nous prenons le parti de la révolte, c’est pour toutes ces raisons, pour retrouver le pouvoir sur nos vies, pour la liberté de vivre.
Nous avons été arrêtés le 19 janvier. Nous sommes deux en prison, le troisième est sous contrôle judiciaire (il passait par là et avait le tort de nous connaître). Nous avions en notre possession un fumigène que nous avions fait en mélangeant du chlorate de soude, du sucre et de la farine. Enflammé, ce mélange produit un fort dégagement de fumée. Nous projetions de l’utiliser à la fin de la manifestation qui allait ce jour-là devant le centre de rétention de Vincennes. Notre idée : se rendre visible auprès des sans-papiers enfermés, sachant que la police tenterait sûrement de nous empêcher d’approcher du centre. Nous avions aussi des pétards pour faire du bruit et des crèves-pneus (clous tordus) qui peuvent être disposés sur la route pour empêcher les voitures de passer.
Pour la police et la justice, le prétexte est tout trouvé, nous avions les éléments pour une bombe à clous. Voilà ce dont nous sommes accusés:
Transport et détention, en bande organisée, de substance ou produit incendiaire ou explosif d’éléments composant un engin incendiaire ou explosif pour préparer une destruction, dégradation ou atteinte aux personnes. Association de malfaiteurs en vue de commettre un crime de destruction volontaire par l’effet d’un incendie, d’une substance explosive ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes, commis en bande organisée.
Refus de se prêter aux prises d’empreintes digitales ou de photographies lors d’une vérification d’identité. Refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son empreinte génétique par personne soupçonnée de crime ou délit.
Ça fait froid dans le dos. Voilà pour les faits, nous allons tenter d’y apporter une réflexion.
Ce n’est évidemment pas au regard de ce que nous détenions ou de ce que nous projetions de faire que nous avons été traités de la sorte. L’État criminalise la révolte et tente d’étouffer toute dissidence «non-autorisée». Ce sont nos idées et notre façon de lutter qui sont visées, en dehors des partis, des syndicats ou autres organisations. Face à cette colère que l’État ne parvient ni à gérer ni à récupérer, il isole et désigne l’ennemi intérieur. Les fichiers de police et des renseignements généraux construisent des «profils-types». La figure utilisée dans notre cas est celle de «l’anarcho-autonome». Le pouvoir assimile cette figure à des terroristes, construisant une menace pour créer un consensus auprès de sa population, renforcer son contrôle et justifier la répression.
C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui en prison. C’est la solution choisie par l’État pour la gestion des illégalismes, des «populations à risque». Aujourd’hui il faut enfermer plus pour plus longtemps. Les contrôles, toujours plus efficaces, et les sanctions qui font peur assurent à ceux qui détiennent ou profitent du pouvoir une société où chaque individu reste à sa place, sait qu’il ne peut pas franchir les lignes qu’on a tracé pour lui, qui l’entourent et le compriment, sans en payer le prix. Si nous luttons aux côtés de sans-papiers, c’est que nous savons que c’est la même police qui contrôle, le même patron qui exploite, les mêmes murs qui enferment. En allant à la manifestation, nous voulions crier en écho «Liberté» avec les prisonniers, montrer qu’on était nombreux à entendre la révolte qu’ils ont menée pendant plusieurs mois. Allumer un fumigène, tenter de s’approcher le plus possible des grilles de la prison, crier «fermeture des centres de rétention», avec la détermination de vouloir vivre libre. Cette lutte, dans laquelle on peut se reconnaître, est un terrain de complicités à construire, un lieu possible de l’expression de notre propre révolte.
Nous ne nous considérons pas comme des «victimes de la répression». Il n’y a pas de juste répression, de juste enfermement. Il y a la répression et sa fonction de gestion, son rôle de maintien de l’ordre des choses: le pouvoir des possédants face aux dépossédés.
Quand tout le monde marche en ligne, il est plus facile de frapper ceux qui sortent du rang.
Nous espérons que nous sommes nombreux et nombreuses à vouloir posséder pleinement nos vies, à avoir cette rage au cœur pour construire et tisser les solidarités qui feront les révoltes.
Bruno et Ivan, avril 2008
PS: Cette lettre a été publiée sur le site Rap Conscient, et relayée par l'En Dehors.
Si cette chère Lulu, du Cantal, était encore là, elle m'aurait harcelé par courriel pour savoir à quoi donc j'avais pu perdre cette belle journée d'hier, au lieu de réaliser le second objectif que je m'étais fixé.
Je lui aurais répondu que j'avais entrepris de rechercher un livre dans ma bibliothèque. Et que je ne l'avais point retrouvé.
Il faut dire que chez moi, par bibliothèque, il faut entendre toutes les pièces, à la seule exception des toilettes. Je n'y lis que le journal, car si le poète a dit (à peu près): "L'acte d'amour, comme l'acte de poésie, est incompatible avec la lecture du journal à haute voix"*, j'estime que l'incompatibilité n'a pas à être étendue à d'autres actes vitaux.
Cela indique l'ampleur de la tâche.
Cette tâche me paraissait indispensable, car la matinale contemplation de mon pommier en fleur m'avait encore propulsé dans des nuages poétiques (c'est compulsif).
Au lieu de songer à quelque haïku d'Issa, il m'était revenu le début de ce fragment de Senancour que Philippe Jaccottet aime à citer et commente dans Paysages avec figures absentes (Gallimard 1970,1976):
«Si les fleurs n'étaient que belles sous nos yeux, elles séduiraient encore; mais quelquefois leur parfum entraîne, comme une heureuse condition de l'existence, comme un appel subit, un retour à la vie plus intime. Soit que j'aie cherché ces émanations invisibles, soit surtout qu'elles s'offrent, qu'elles surprennent, je les reçois comme une expression forte, mais précaire, d'une pensée dont le monde matériel renferme et voile le secret» Senancour, Oberman, fragment sans date tiré du supplément de 1833.
Au réveil, je me suis dit: "Guy M. va se secouer!"
Au réveil, mon côté "Alain Delon" reprend souvent le dessus: je m'interpelle par mon nom (mon pseudo depuis que je blogue) et parle de moi à la troisième personne. Ma ressemblance avec Alain Delon m'a pourrit la vie dès la naissance; l'âge venant, notre commune et simultanée décrépitude n'a fait que l'accentuer, cette ressemblance. Et être obligé de perpétuellement répondre "Alain Delon va vous signer un autographe" à chaque demande qu'on me faisait dans la rue, m'a lentement conduit à laisser pousser cette célèbre barbiche qui me donne un faux air de Laurent Joffrin, qui lui a l'air faux, ce qui évite les malentendus. Et puis on demande beaucoup moins d'autographes à Laurent Joffrin qu'à Alain Delon.
Mais comment savoir si Laurent Joffrin, au réveil, ne se prend pas pour Alain Delon, d'où cette persistance matinale de la troisième personne chez moi, qui disparaît avec le premier café.
Alors, comme tout le monde, je me tutoie et nous (moi-je et moi-tu) établissons de manière constructive le programme de la journée.
Aujourd'hui, deux projets à mener à bien.
Premier projet: adresser un signe amical aux tenanciers du blog La Fleur au Fusil, qui ont eu la gentillesse de me placer dans leurs références (m'a-t-on récemment appris).
La Fleur au Fusil est un très beau blog de photos où interviennent Claude Rayon, Fleurose, Michel Boisnard, Pedro Rodriguez, Tilu et Vanessa Caradant. Cela faisait un certain temps que je n'avais pas été batifoler dans leurs pages, j'y suis retourné et c'est toujours aussi bien.
Impossible de leur adresser une bonne photo. Un(e) photographe est quelqu'un(e) qui VOIT, moi je ne fais que regarder et je ne vois rien: ni les caresses de la lumière, ni les alliances ou oppositions des couleurs, ni les contrastes du moment, ni les angles révélateurs, ni les cadrages possibles… Alors, me suis-je dit, je vais leur faire un truc second degré, genre souvenir de Normandie de très bon goût, carte postale avec pommiers en fleurs.
Je me suis approché, à peine caféiné, les pieds dans la rosée, du pommier qui commence sa floraison dans le fond du jardin. Pour le prendre en entier avec une vache devant, il me manquait une vache. Pour le prendre en entier sans vache, c'était possible, mais l'arrière plan ne me convenait pas, et il était trop tôt pour demander à mes calamiteux voisins de détruire leurs horreurs de maison ou de couper à ras leurs affreuses haies de thuyas. J'en fus réduit à une pauvre petite fleur, mais de pommier normand bien de chez moi. J'ai bien mis le truc anti-yeux-rouges (il paraît que ça se fait), alors le rose, il est, comme qui dirait, naturel.
Les quelques ancienNEs élèves qui suivent ce blog avec autant d'attention qu'autrefois mes cours (ce qui leur laisse des loisirs) se souviennent sans doute qu'il m'arrivait à l'occasion de broder brillamment sur quelques aphorismes bien frappés au coin du non sens, tout en me déplaçant en crabe vers le bureau où je pensais trouver, dans mes papiers étalés ou (horresco referens) au fond de ma pouque*, la solution du fichu exercice que j'avais eu la témérité de leur donner.
"Vous ne trouvez pas? Tant pis. Je vous pardonne… Il faut toujours pardonner à la triste humanité…Parce que l'humanité a quand même à son actif trois inventions incontestables... Par ordre d'importance croissante: les mathématiques, la poésie et la sauce au beurre blanc."
Disais-je.
Par exemple.
Et seul le redoublant comprenait que sous le nappage de la sauce au beurre blanc, il fallait identifier métonymiquement la gastronomie.
Je pense que monsieur Sarkozy nous fera la grâce de ne parler ni de mathématiques, ni de poésie… Mais il se trouve que ce sportif buveur d'eau, qui par ailleurs doit exiger un dosage de "ses" plats au pèse-lettre, a imaginé de faire inscrire la gastronomie française au patrimoine mondial immatériel de l'Humanité.
Y en a, j'vous jure, qui me feraient tomber dans la vulgarité la plus totale.
Mais heureusement, je m'écoute écrire… Cela fait un petit rythme syncopé, avec de profonds silences où l'ange de l'écriture passe et m'abandonne. J'aimerais beaucoup trouver un petit logiciel qui accompagnerait la frappe du bruit de la machine à écrire qu'utilisait l'un des grands auteurs américains de roman noir, tchik keu tchik dong dong tchitchik keu tchik ding. Le plus difficile est bien sûr de bien programmer le "ding" qui prévient de la toute proche fin de ligne et prépare psychologiquement au retour (manuel) du chariot (accompagné d'une lampée de bourbon).
Un qui me gonfle, qui me GONFLE, qui me GONFLE (je ne trouve pas d'autre mot) sérieusement, depuis longtemps, mais surtout en ce moment, c'est Dany-le-claoune. Vous savez bien, le baratineur surdimensionné pour assemblées générales, devenu démocrate respectable, mais qui ne porte pas le costard-cravate (attention: contestation!) et qui dédicace maintenant son bouquin au Sarko au lieu de lui envoyer par le travers dans la tronche…
Comme cet œdème me semble assez partagé, quoique en une langue dominée, par Denis Perais et Nadine Floury, auteurs d'un très bon article paru sur le site d'Acrimed, je vous y envoie: et hop, c'est là!
Et pour l'anniversaire lui-même, puisqu'il semble impossible d'y échapper, autant aller dans les lieux où quelque chose continue à vivre, bordéliquement, en mélangeant des utopies d'hier, d'avant, de maintenant et d'après (s'il y en a un), en mélangeant la déconnade pure et le dur militantisme, les discussions sérieuses à se flinguer et les bals populaires animés par Riton la Manivelle, Arnaud le facteur & Mana la Manouche, the Fabulous Turtle Brothers, l'orchestre Melodica de la place des Fêtes…
Les trois fidèles de ce blog connaissent déjà LA quatrième, ma groupie du Cantal qui, ayant trouvé mon adresse, sature ma boîte virtuelle de courriels hystériques et libidineux, d'un volcanisme, un peu ancien certes, mais qui ne laisse point de m'inquiéter. On a vu souvent, n'est-ce pas, rejaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux. Ne me reprochez pas mon absence de courtoisie, j'ai connu Lulu à l'école primaire de Trifouillis-la-campagne, elle ne cachait rien, et surtout pas son âge, qui était double du mien. Il n'y a pas de raison que ce dernier point ait changé.
Or donc voici: Lulu insiste pour que je révèle publiquement les véritables raisons de ma présence à La Rochelle; elle craint, que dis-je, elle redoute que ce ne fût pour de sombres motifs gaudriollesques. Ses menaces étant détaillées, précises et chirurgicalement réalisables avec ses moyens rudimentaires, je me vois contraint de lui donner satisfaction.
En vrai, je me suis rendu à La Rochelle pour me rapprocher de l'île de Ré.
Et pourquoi l'île de Ré ? diras-tu, Lulu.
D'abord, dire Merde à Vauban.*
Et surtout perpétrer un attentat pâtissier suicide sur la personne de monsieur Yonel Jospin, résident intermittent de l'île de Ré (et pas au bagne).
On connaît, car j'en ai déjà parlé ici, mes pulsions gloupières; je comptais innover en utilisant un baba au rhum bien coulant - le sirop parfumé du baba me semble plus pégueux que la crème et mon identité normande se refuse à jeter de la "bonne marchandise".
Mais pourquoi donc Yonel ? dis-tu Lulu.
Parce que.
Parce que Yonel Jospin est pour moi l'icône de l'impuissance du prétendu Parti Socialiste, et plus même que l'icône, il est, fait homme, le Verbe terne, médiocre, décoloré, de ce parti. Il incarne le manque absolu d'imagination d'un second de la classe, qui s'applique à garder sa place sans surtout briller, ni choquer qui que ce soit. Et quand il veut se hausser d'un cran, en y allant comme à reculons, il la perd, cette place, face à deux roublards en goguette. Drapé dans une dignité blessée, il se retire pour mieux revenir, de temps à autre, regarder par dessus l'épaule des autres emplâtres qui lui ont succédé à la tête du parti, et jouer les grands sages qui n'ont rien dit, mais qui n'en pensent pas moins (et qui l'écrivent). Son empreinte demeure sur cette direction du parti, qui se chamaille, avec ce discours atone, sans vie, de recalés du conservatoire d'Art Dramatique**.
A La Rochelle, mon contact, rencontré discrètement au café de la Paix, rue ou place de Verdun, m'informa que Yonel s'était absenté pour "communiquer" de toute sa lumière éteinte dans une émission de radio ou de télé…
Le projet tombait à l'eau et le dieu de la météorologie sait qu'il en tombait aussi, de l'eau. La Rochelle ruisselait de toutes ses gouttières et plus trempé qu'un baba au rhum, je rentrai à l'Hôtel où la petite dame*** m'assura que "ça arrivait même en saison". En plus, j'étais hors-saison!
En cherchant à me perdre dans la vieille ville (entreprise ardue, comme dans toutes les villes à remparts), je finis par arriver dans le quartier Saint-Nicolas, ancien quartier de marins. Pas de rues à arcades, mais pas non plus de ces boutiques de "luxe" qui accompagnent leur vulgarité naturelle et assumée de bouffées de ces parfums entêtants à vous faire regretter les lacrymos de la maréchaussée.
Et puis, sur une petite place (de la Fourche, si ma mémoire est fidèle), j'ai vu une petite galerie, qui s'appelle La Petite Galerie, où un peu de soleil s'était réfugié.
Il y avait là des céramiques de Laurent Dufour****, d'abord des plats et des coupes portant des graphismes sur fond blanc-gris-blanc avec variations, et surtout des plaques de poteries, plus colorées que j'ai bien aimé regarder et que j'ai tenté de photographier*****.
Après vous avoir abandonné si longtemps, il me faut vous rendre compte de ce si long temps passé sans vous. Et je me dois de vous relater dans toute sa crudité cette plongée dans la France profonde qui m'a privé pendant six longs jours de l'accès aux Journaux.fr. Pour en supporter le sevrage, j'avais décidé de me rabattre sur la version papier disponible de l'indispensable Libération (d'Edouard de Rothschild).
Lundi 14 avril.
Nous montâmes dans la ouature à l'aube et prîmes dès que possible l'autoroute A quelque chose. Au premier arrêt sur une aire aménagée, après avoir visité l'espace* café, l'espace* détente, l'espace* ouifi, l'espace* table à langer (une erreur), l'espace* toilettes, l'espace* produits régionaux, j'achetai mon Libé à l'espace* journaux. Il fallait y penser, je n'y manquai point.
En première page: "Emeutes de la faim: les raisons de la colère". Avec, en page 2, cette belle déclaration responsable de monsieur Dominique Strauss-Kahn, patron du FMI: "Si les prix de l'alimentation continuent à augmenter, (…) des centaines de milliers de personnes vont mourir de faim. Ce qui entraînera des cassures dans l'environnement économique et parfois la guerre."
J'ai repris le volant avec une rage froide, genre "tais-toi et roule"; à mon approche, aucun camion n'a osé amorcer un dépassement d'un autre camion, on peut dire que je me suis fait de la place avec ma cédeux à décollage vertical.
Tout à ma hargne j'ai composé un billet incendiaire sur ces crétins criminels qui prétendent piloter l'économie mondiale, armés de leur prétendue science née il y a trois siècles en raisonnant sur les famines nationales et incapables de prévoir et surtout d'enrayer la famine mondiale qu'ils ont provoquée.
Mais je n'ai pas noté et j'ai oublié… Peut-être qu'en fixant intensément la photo de DSK, posant en dandy désabusé, cela me reviendrait. Je vous dirai**.
Mardi 15 avril.
Nous voici chez nos hôtes, dans ce recoin du Sud-Ouest où se juxtaposent le terroir de Buzet (ancien "petit vin" qui a maintenant des prétentions), le territoire de l'Armagnac et quelques prémisses de la forêt landaise. Non loin coule une rivière au nom enchanteur, malgré son tréma, la Baïse. A chaque fois, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée amicale pour Bobby Lapointe:
"Et tout en étant Française,
L'était tout de même Antibaise :
Et bien qu'elle soit Française,
Et, malgré ses yeux de braise,
Ça ne me mettait pas à l'aise
De la savoir Antibaise,
Moi qui serais plutôt pour..."
La flore journalistique est assez réduite en cette région, on y trouve du Figaro à foison, ainsi que des espèces endémiques locales (genre Dépêche ou Sud-Ouest) et des espèces d'importation (les britanniques lisent beaucoup les journaux, me confia le professionnel de la profession). J'ai bien cru ne pas trouver ma fleur de Libé. Le pro alla m'en récupérer un, "par derrière". En fait, pour tout vous dire, je le soupçonne d'en cultiver quelques uns pour sa consommation personnelle, en placard, comme on le fait pour certaines herbes aromatiques***.
Le titre du jour était: "Au secours, Berlusconi revient!"
Je jetai un coup d'œil à l'intérieur du journal, inquiet de voir si Laurent Joffrin n'allait pas se mettre tout soudain à critiquer les résultats de l'exercice démocratique. Rassurez-vous, le comité de rédaction a su contenir son gauchisme rampant.
Mercredi 16 avril.
Le même dealer de Libé me fournit en première page: "Y a-t-il vraiment trop de profs?"
Banal.
Ce qui n'est pas banal, c'est de trouver, en page 29, dans la rubrique Culture, sous-rubrique Variétés: "Pas d'évolution pour Aimé Césaire". Je ne suis pas sûr qu'Aimé Césaire aurait apprécié de se trouver dans le même panier éditorial qu'une quelconque artiste de variétés sans voix…
Jeudi 17 avril.
Départ pour La Rochelle, "belle et rebelle" (qu'ils disent) où Libé est en vente libre. Mais où il pleut, il pleut. Sur la une délavée, je distingue à peine une Rachida Dati en train de faire la tronche, mâchoires serrées et bouche en accent circonflexe, aimable comme une porte de prison, et je devine le titre: "Prisons pour les mineurs. La reine du barreau".
Je m'y connais pas mal en nanisme intellectuel, et je comprends bien la fascination que peuvent exercer sur nous, si petits, les "grands". Et puisqu'ils sont toujours plus grands morts que vivants, quand un cadavre nous dépasse d'une bonne tête, nous ne savons où donner de la nôtre pour nous hausser quelque peu dans l'exercice d'une admiration de convenance.
Il doit y avoir un rédacteur spécial, à l'Elysée, pour mettre au point les lamentables communiqués nécrologiques qui suivent les disparitions de ces "grands". Et ces jours, il (ou elle) a dû faire face, faute à pas de chance, à deux décès sur lesquels "communiquer".
Le décès d'Aimé Césaire, "poète français, homme politique et co-fondateur du mouvement littéraire la négritude" (dixit le plumitif élyséen) donne lieu à un premier hommage .
Nous n'y apprenons pas seulement que la "négritude" est un "mouvement littéraire" (sic, sic et resic). Nous y apprenons qu'Aimé Césaire était "un grand poète qui a acquis sa notoriété par la qualité de son écriture." Comme si ce n'était pas la moindre des choses quand on écrit de la poésie… Quant à ce que cette poésie disait, proclamait, criait, il n'en sera pas dit un seul mot qui en soit digne. Seulement une précision lagardémichardienne* sur la Négritude: "On retiendra de lui qu’il est l’initiateur, avec Léopold Senghor, du concept de la Négritude." Il vaut mieux sans doute en parler comme d'un concept, et non comme d'un "mouvement littéraire"…
Et pour en finir sur l'écrivain, rangeons-le définitivement au rayon littéraire poussiéreux de l'humanisme: "Ce fut un grand humaniste dans lequel se sont reconnus tous ceux qui ont lutté pour l’émancipation des peuples au XXème siècle."
Il faut imaginer le plumitif heureux.
Heureux d'en avoir fini sans avoir lu une seule ligne du poète Aimé Césaire. Car je suis persuadé que cette poésie serait un alcool trop fort pour son estomac de petit blanc, ainsi que pour l'estomac de son patron.
Est-ce pour cela qu'on a songé reléguer Césaire dans les caveaux du Panthéon? Pour qu'il y blanchisse, enfin, et y perde de sa force comme un vieux rhum qui s'évente?
Ou parce que les nains ont tendance à glorifier post mortem les géants qui les ont dominés?
Comme tous les blogueurs, je suis extrêmement attentif à l'évolution de "mes" statistiques de fréquentation. Aussi me suis-je inscrit pour bénéficier des services éclairants de gougueule analytixe. Je dois dire que je ne suis pas déçu, mais que je n'y comprends rien. La seule chose qui m'amuse est de consulter la répartition géographique des connections et d'imaginer l'ahurissement d'un internaute exotique tombant dans l'escalier.
Cependant, malgré les difficultés de lecture des résultats, j'ai pu constater qu'hier, le nombre de fidèles était tombé à deux, suite à la défection (momentanée, j'espère…) de ma groupie du Cantal.
Ce fait coïncidant avec les vacances scolaires dans ma région, j'ai décidé de suspendre mon activité débordante pendant une dizaine de jours, et de partir à la plage.
Hier matin, on pensait très fort, dans nos journaux, en hochant une tête méditative (en général, on ne voit effectivement qu'une seule tête dans les rédactions), que la "mobilisation lycéenne" allait "s'essouffler". Et on donnait largement la parole à l'inévitable monsieur Darcos.
«Je respecte les lycéens. J'ai eu 16 ou 18 ans aussi et je comprends qu'ils s'inquiètent de leur avenir, qu'ils soient vigilants, qu'ils soient militants. Je n'ai pas d'hostilité, j'ai même plutôt de la sympathie pour ces jeunes», a déclaré le ministre sur LCI.
«Mais je trouve que tout cela prend des proportions absolument hystériques tout de même: (...) que l'on ait des élèves qui arrivent dans un établissement pour tout casser, qu'ils molestent nos professeurs ou qu'ils volent les portables de leurs camarades ou qu'ils cassent la figure à des proviseurs, tout ça parce qu'à la rentrée prochaine il va y avoir une classe où ils étaient 32 - ils vont être 33 - ou parce qu'il y avait 100 professeurs - ils vont être 98 - je trouve que tout ceci prend des proportions qui ne sont pas raisonnables». «Ce pays n'est pas raisonnable», a-t-il ajouté.
Contrairement à son confrère monsieur Hortefeux, monsieur Darcos, par cette ultime déclaration me rendrait presque fier de mon pays.
La rue Ramponeau est une très ancienne voie qui prolonge, au delà du boulevard de Belleville, la rue de l'Oreillon. C'est rue de l'Oreillon qu'un certain Ramponeau, marchand de piquette à moins cher, avait établi son cabaret au XVIIIème siècle. Là, les plus aisés prirent l'habitude de venir s'encanailler et firent la réputation du quartier et de l'établissement.
Mais je suivrai un autre jour le fil de ces "fraternisations entre classes".
D'après Prosper-Olivier Lissagaray, témoin actif et historien de la Commune de Paris, la barricade de la rue Ramponeau aurait été la dernière à tomber aux mains des Versaillais, le dimanche 28 mai 1871. "Pendant un quart d'heure, un seul fédéré la défend. Trois fois il casse la hampe du drapeau versaillais arboré sur la barricade de la rue de Paris [actuellement rue de Belleville]. Pour prix de son courage, le dernier soldat de la Commune réussit à s'échapper."(P.-O. Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871) La légende dit que ce "dernier soldat" était Lissagaray lui-même.
Louise Michel, autre témoin et non des moindres, parle bien de la barricade de la rue Ramponeau, mais donne celle de la rue de la Fontaine-au-Roi pour dernière à être prise.
Peu importe, on n'est pas aux jeux olympiques…
Je pensais à ces événements, vendredi soir, en descendant la rue de Belleville [anciennement rue de Paris], et en mastiquant un sandwich hallal, poulet, œuf dur, salade, mayonnaise, pour rejoindre le centre social Elisabeth, sur le boulevard, où l'association Canal Marche présentait ses productions.
Canal Marches, qui est une association créée par des professionnels de l'audiovisuel, des chômeurs, des précaires et des militants de mouvements sociaux, se donne pour but de contribuer à l'expression des "Sans voix". Parmi ses projets figure celui des "Paroles et Mémoires populaires" qui a abouti, entre autres choses, à la réalisation d'entretiens filmés avec des "anciens".
Parmi les films présentés, j'ai vu celui de Patrice Spadoni "Les Garçons Ramponneau" qui tresse par le montage trois entretiens avec des "anciens" qui se sont connus à l'école Ramponeau.
Sur ceux qui profanent les tombes des morts pour se sentir vivants, je ne dirai rien.
Je suppose que seuls des déjà-morts ont besoin de cela pour que les pics de haine réveillent leurs électroencéphalogrammes déjà plats.
Ce n'est pas que cela soit bien réjouissant, mais les presque-morts ou presque-vivants qui profanent des vies à coups de textes réglementaires, cela m'attriste plus encore.
Voici un simple exemple.
Il s'est trouvé un préfet, le préfet d'Indre-et-Loire, Monsieur Patrick Subrémon (il a bien droit à la notoriété) pour considérer que l'administration de l'état, dont il est un fidèle commis, ne pouvait pas, absolument pas, renouveler le titre de séjour en France de l'épouse Guérin (on doit dire comme ça, je suppose, dans l'administration), au motif de la rupture de la communauté de vie avec monsieur Guérin.
Madame Guérin est Béninoise. Elle connaissait Claude Guérin depuis des années. Elle raconte: "Il venait très souvent au Bénin, et puis un jour il m'a demandée en mariage. Amoureuse, j'ai abandonné les deux salons de coiffure que j'avais, pour faire ma vie avec lui ici". Elle est arrivée en France, légalement, le 16 octobre 2005 pour se marier. Elle a bénéficié d'un titre de séjour temporaire, dont elle a demandé le renouvellement en septembre 2007.
Claude Guérin était déjà très malade, atteint d'un cancer, et il devait décéder le 3 octobre 2007. Honnête, madame Guérin est allée prévenir la préfecture du décès de son mari.
Trois semaines plus tard, elle reçoit un refus de titre de séjour accompagné d'une mesure d'éloignement.
Pour que vous suiviez bien, je me contente de citer l'article du Monde.
«Depuis la loi de 2006, les conjoints de Français doivent attendre trois ans pour faire la demande d'une carte de résident. Avant cela, un titre de séjour temporaire leur est délivré de plein droit, mais "à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé".
Le préfet d'Indre-et-Loire a considéré que l'administration ne pouvait renouveler le titre de séjour de Mme Guérin, "même si cette rupture de communauté de vie résulte malheureusement du décès du conjoint français" comme il l'indique dans son courrier.»
Le 6 mars, le tribunal administratif a rejeté le recours déposé contre la décision du préfet. Madame Guérin a saisi la cour d'appel.
Mais le mardi 1er avril (elle est bien bonne, n'est-ce pas?), elle est interpellée à son domicile et conduite en centre de rétention à Tours. Le 3 avril, le juge des libertés et de la détention (JLD) prononce sa libération, tout en l'assignant à résidence, avec contrôle quotidien à la gendarmerie de sa commune.
Madame Guérin a été soutenue par une association locale et l'association Amoureux au Ban Public a lancé une pétition nationale qui a recueilli 8500 signatures en 72 heures.
Le Canard Enchaîné en son n°4511 du mercredi 11 avril 2007, révélait, en page 4, que le Quai d'Orsay avait réglé à une société de communication une note de 122 000 euros pour financer la formation accélérée de monsieur Xavier Darcos, alors ministre délégué à la Coopération et au développement. Cette information est reprise par un article du site politique.net.
Monsieur Darcos a donc appris à gérer son image avec toute l'efficacité requise. Il ne devrait donc plus renvoyer l'image vieillote (que je lui attribuais) de l'inspecteur en visite détaillant avec componction, et en regardant sa montre, les passionnants articles de la dernière circulaire de l'Inspection Générale, devant un parterre d'enseignants somnolents, et qui regardent leurs montres. En général, on pouvait me trouver au pénultième rang échangeant quelques remarques laconiques mais pertinentes avec ma voisine (comme me l'a fait remarquer un collègue mathématicien, compte tenu de l'irrémédiable féminisation du métier, dans ces réunions, la probabilité est beaucoup plus forte, pour un monsieur, d'avoir une voisine pour voisin que d'avoir un voisin pour voisine).
Cela n'empêche que la bonne vieille technique, qui consiste à faire suivre une (non) réponse à une question gênante d'une attaque biaisée sur un autre sujet, semble toujours utilisée par notre spécialiste en communication.
Sur les suppressions de postes, elles ont été "largement discutées depuis août" et votées par le Parlement en novembre. Pas question de revenir là-dessus, on ne critique pas la démocratie parlementaire (surtout quand elle aboutit à n'importe quoi). Monsieur Darcos recommande aux lycéens de "ne pas poser tout ça en termes mathématiques". Effectivement, ce n'est pas de la mathématique, c'est de la cuisine (et pas gastronomique): les rectorats moulinent en "temps réel" toutes les données récoltées à l'aide de coefficients, de seuils d'ouverture, de seuils de fermeture, taux de ceci et taux de cela, et j'en passe, pour "ajuster" les suppressions de la manière la plus "scientifique" possible. (voir quelques aperçus ici*)
Sur l'ampleur du mouvement, il faut minimiser. Dire haut et fort que moins de 2% des lycées du territoire sont touchés, mais laisser Liberation.fr préciser que 20% des lycées d'Ile-de-France le sont.
Pour communiquer, il faut savoir poser "un geste fort". Rencontrer les lycéens? La semaine prochaine. Ce qui est beaucoup plus efficace, c'est de se déplacer. Par exemple au rectorat de Créteil, où ont eu lieu des incidents. On en profitera pour condamner fermement les agissements de 150 ou 200 personnes, que l'on distinguera (avec assez peu de conviction) des milliers de lycéens qui expriment leur inquiétude (il fallait que ça vienne, l'inquiétude des jeunes…)
Et pendant que nous y sommes, fronçons les sourcils en direction des enseignants. Après tout, c'est auprès des enseignants que monsieur le ministre a le plus d'autorité, non? Monsieur Darcos a donc profité de son déplacement à Créteil, bien en situation, devant les fenêtres brisées, je suppose, pour s'adresser "à certains professeurs extrémistes" et leur faire la leçon: Réfléchissez "au risque qu’il y a à jeter des élèves dans la rue", réfléchissez bien!
Des professeurs extrémistes, je n'en ai jamais rencontré beaucoup, pas assez pour "jeter" 6.700 lycéens dans la rue (à la manifestation parisienne selon la police, de 17.000 à 20.000 d'après les organisateurs).
Monsieur Darcos veut peut-être parler des syndicats enseignants (on ne sait jamais, le langage évolue, on redira sans doute bientôt "les rouges"). En ce cas, il devrait se renseigner auprès de ses services sur le taux de syndicalisation dans l'éducation nationale, sur l'influence des syndicats présents et sur leur "extrémisme"…
A moins que monsieur Darcos ne dise cela comme ça, parce laisser entendre à ses futurs interlocuteurs que l'on considère qu'ils sont manipulés, ça détend l'atmosphère…
* Merci à Françoise de m'avoir signalé ce lien.
PS1: Avec un à-propos étonnant, le ministère a publié il y quelques jours le palmarès des lycées qui a permis au Figaro.fr de placer à sa une: "Résultats au bac: les lycées privés devancent le public."
Ça n'a aucun rapport.
PS2: Puisque j'ai décidé d'aller promener mon marsupilami brodé à la machine (meunon, Flo Py, pas à la main…) sur le boulevard de l'Hôpital, derrière un drapeau noir (ou mieux noir et mauve, si je le trouve), il n'y aura aucun bruit dans l'escalier ce ouiquennede.