A ma connaissance, qui est relativement restreinte, aucun ténor de l'exécutif en place, ou en attente d'y être, n'a proféré de commentaire audible sur le verdict du tribunal correctionnel de Grasse dans l'affaire Ajimi.
(Trois policiers - deux agents de la Brigade anticriminalité et un policier municipal - ont été reconnus coupables d'homicide involontaire et/ou de non-assistance à personne en danger et condamnés à des peines de prison avec sursis. Les quatre autres ont été relaxés.)
Normal.
En régime républicain de séparation des pouvoirs, l'exécutif se tait quand passe la justice...
Mais cette règle ne semble pas s'appliquer aux exécutants.
Que les membres de la BAC de Grasse présentent à leur hiérarchie un "rapport de démission", cela pourrait être un réjouissant signe de sagesse, au demeurant assez tardive, mais il ne faut pas surinterpréter ce geste. Il faut simplement y voir "un geste symbolique fort, signe d'un soutien entier et franc à nos collègues Jean-Michel Moinier et Walter Lebeaupin" - les deux policiers de la BAC, condamnés respectivement à 18 et 24 mois de prison avec sursis -, ainsi que l'explique monsieur Laurent Martin de Frémont, délégué départemental adjoint du syndicat Unité SGP-Police, dans un articulet de Nice matin. (*)
Selon C.C., de 20 Minutes, monsieur Patrick Chaudet, Directeur départemental de la sécurité publique (DDPS), devait recevoir les sept présumés démissionnaires hier après-midi. On ne sait pas trop ce qu'a donné cette entrevue...
Elle a probablement eu lieu après la manifestation qui a réuni, selon les sources, 100, 150 ou 200 fonctionnaires de police devant le commissariat de Grasse "pour protester contre les condamnations à des peines de prison avec sursis de deux de leurs collègues".
(Étrangement, on insiste surtout sur les condamnations prononcées pour "homicide involontaire" à l'encontre des deux bacqueux, en passant sous silence, la plupart du temps, celle prononcée pour "non assistance à personne en danger" à l'encontre du policier municipal.)
Vous trouverez dans Libération, par exemple, la dépêche de l'AFP décrivant ce rassemblement :
Quelque 200 policiers de Grasse, mais aussi de Cannes, Antibes, Cagnes-sur-Mer et Nice étaient présents devant le commissariat de Grasse, à l'appel de plusieurs syndicats de gardiens de la paix, selon les autorités. Une banderole «Soutien à la BAC de Grasse» a été déposée sur les marches du commissariat, puis sur le rond-point en face de l'édifice.
Un autre rassemblement a eu lieu, nous dit-on, "brièvement", "sans slogan ni banderole, devant le commissariat des Moulins, dans l'ouest de la ville".
(et une vidéo).
(La photo est de Xavier Giraud.)
Afin d’atténuer l’inconvenance - ce n'est qu'un euphémisme - de ce mouvement, qui semble bien être une pure et simple contestation publique d'une décision de justice, les responsables syndicaux jouent avec talent la carte du désarroi policier.
"Nous venons faire part de notre solidarité et de notre colère, après cette condamnation, car ça peut arriver à chacun d'entre nous. Aujourd'hui, les policiers sont paumés : qu'on nous dise ce qu'on doit faire face à un individu violent !"
A déclaré monsieur Laurent Martin de Frémont, déjà nommé, secrétaire départemental adjoint du syndicat Unité SGP Police.
Monsieur Laurent Laubry, secrétaire départemental du syndicat Alliance, a, pour sa part soutenu que les deux agents de la BAC ont été condamnés "alors qu'ils n'ont fait qu'appliquer des règles d'intervention enseignées à l'école de police". "Comment les fonctionnaires peuvent-ils continuer à travailler ?", s'est-il demandé, avant d'offrir à son auditoire un bel exemple de logique policière sous forme de syllogisme conditionnel tordu :
"Quand un policier enfreint une règle, il est normal qu'il soit condamné, mais là, ce n'est pas le cas. On sait parfaitement que la règle comporte des risques mais elle est légale. Et si elle est dangereuse, c'est à l'administration de la retirer pour qu'elle ne soit plus appliquée."
Des arguties ejusdem farinæ ont été avancées au cours de l'audience du tribunal correctionnel de Grasse. Elles ont dû être entendues puisque seules des peines avec sursis ont été prononcées. Les répéter à satiété en réunion publique ne semble pas être indispensable, à moins que nos policiers ne réclament un définitif statut d'irresponsabilité réglementaire pour atténuer leur profond désarroi...
(*) On trouve ailleurs une explication plus complète et moins symbolique des motifs de cette remise d'un "rapport de démission" par les membres de la Brigade anticriminalité de Grasse :
"Ils estiment que leur sécurité n'est plus assurée, puisqu'ils ne sont plus couverts par l'administration dans le cas d'interpellations violentes", a précisé le commandant Bruno Patizel, leur supérieur, estimant qu'il y avait désormais "un gros doute chez les policiers, notamment à la BAC".
(Que les policiers aient un "gros doute" sur leur impunité en "cas d'interpellations violentes" me rassurerait plutôt, à dire vrai.)