jeudi 31 mars 2011

Berlusconiade à Lampedusa

Les "voyagistes" et autres professionnels du dépaysement tarifé peuvent se réjouir. On vient d'annoncer que Lampedusa allait bénéficier "d'un plan de relance touristique ainsi que d'un moratoire fiscal et bancaire, pour que l'île devienne une zone franche". Cette nouvelle destination ne suffira peut-être pas à relancer leurs affaires, bien affectées par les mouvements divers qui agitent certains pays, mais c'est toujours ça...

Le "plan de relance touristique" devra être de grande ampleur, car il faut bien admettre que, pour l'instant, les capacités d'accueil de l'île paraissent extrêmement réduites. Si j'en crois les chiffres glanés ici ou là, les 20 km² de ce bout de territoire italien peinent à contenir 6000 visiteurs alors que le peuplement local serait de 5000 habitants. J'ai connu des cailloux baignés par la mer Égée où la population faisait bien plus que doubler durant la saison touristique.


Bientôt à Lampedusa.

Cette annonce a été faite, hier, par monsieur Silvio Berlusconi au cours d'une visite dans l'île, où, selon toute apparence, il était venu conclure une affaire immobilière :

"J'ai cherché depuis mardi une maison sur Internet. J'en ai trouvé une très belle et l'ai achetée ce matin, je deviendrai moi aussi Lampedusain."

Il a, en outre, profité de son passage pour lancer une opération "surnommée par les médias italiens «Lampedusa propre»". Il a ainsi "annoncé que le gouvernement a préparé un plan «pour évacuer, pour libérer l'île, dans un délai de deux jours à deux jours et demi. (...) D'ici 48 à 60 heures, Lampedusa sera habitée uniquement par des Lampedusains»".

L'article d'Aurélia Vertaldi, dans le Figaro, donne quelques détails sur le mode opératoire envisagé, avec participation de l'armée. Elle ne manque pas de rappeler que "le recours au génie militaire n'est pas une première pour le Cavaliere qui a pour habitude de les appeler à la rescousse face à des situations extrêmes".

On se rappelle l'affaire des ordures de Naples (...).

Écrit-elle...

Avec une charmante innocence.


Début de la collecte des sacs poubelles.
(Photo REUTERS/Tony Gentile)


On sait que, lors de ses chevauchées verbales, le Cavaliere ne se prive pas d'enfiler, les unes après les autres, les perles rhétoriques - comme en d'autres chevauchées, les femmes.

N'oublions pas de citer celle-ci :

"L'île a dû supporter des désagréments. C'est pour cette raison que le gouvernement présentera, lors du prochain Conseil des ministres, la candidature de Lampedusa au prix Nobel de la paix."

Comment s'étonner de l’amertume d'Erri de Luca qui, dans une chronique donnée au Monde, Nous ne sommes plus fiers d'être italiens, écrivait :

Aujourd'hui, l'Italie à l'étranger est un pays ridicule. On ébauche un sourire, chacun remerciant intérieurement à sa façon les responsables de cette notoriété due à la démence sénile.

Il faut s'habituer à porter le masque de la farce publique, tenter d'exploiter d'une manière ou d'une autre la célébrité internationale de notre nouvelle image de pays de vieillards en rut, retapés, à traction avant.

(Traduit de l'italien par Danièle Valin.)

mardi 29 mars 2011

Un parti comme les autres

Afin d'alimenter le débat politique, en état de sous-nutrition très inquiétant, de judicieux politologues, émargeant chez BVA, ont jugé bon de publier les résultats d'un sondage, dit "baromètre de la politique économique", aux lendemains du second tour des élections cantonales.

Le principal résultat de cette "étude de marché et d'opinion" - spécialité de la maison BVA -, réalisée du 23 mars 2011 au 24 mars 2011, en partenariat avec Absoluce, Les Échos et France Info, a été largement repris par la presse :

Le FN, «un parti comme les autres» pour 52% des Français.

La question posée aux sondés, "recrutés par téléphone et interrogés par Internet", était très précisément la suivante :

Vous personnellement, estimez-vous que le Front National devrait être à présent considéré comme un parti comme les autres ?

Et les résultats sont ainsi présentés :


Mais, cherchant des précisions sur la répartition de cette opinion, je n'ai pu trouver, sur un document téléchargé à l'aube, que cet éloquent résumé :


On s'en contentera, en notant que, dans un tel examen de l'opinion, c'est la question elle-même qui serait à questionner, et sérieusement, pour sa pertinence.

Mais, vous le savez bien, le sérieux n'est pas mon fort...

(Cependant, "[moi] personnellement", je trouve que ce "à présent" est une grande trouvaille.)

Même battu, on chante victoire "comme les autres".
(Steeve Briois, candidat à Hénin-Beaumont. Photo Maxppp)

On peut prévoir - mais je n'ai encore rien vu là-dessus - que les instances dirigeantes du Front National sont actuellement au travail, avec leurs avocats, pour envisager de contrer, par un dépôt de plainte, ces insinuations des fabricants d'opinion. Car, au fond, il est plutôt injurieux, pour un frontiste cohérent, d'imaginer que l'on puisse voir dans son parti "un parti comme les autres", dont on pourrait penser tout ce qu'il pense, "[lui] personnellement", des autres partis.

Cette réaction tardera peut-être un peu. Il semble que les conseillers juridiques du Front soient actuellement en surchauffe.

Ils doivent déjà suivre de près les développements de la "polémique" soulevée par Sophia Aram, qui lors de sa chronique du 23 mars sur France Inter, se posait la question de savoir comment faire la distinction entre "gros cons" et électeurs du Front National. Un communiqué du FN laissait entendre que le parti envisageait de saisir le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel.

Il n’en a rien fait pour l’instant, nous a assuré une source interne au conseil. Celui-ci ne s’est pas moins saisi de l’affaire, ému par "plus de 150 mails de protestation, mais aucun courrier du FN"). Moralité: le CSA examinera donc, dès demain, mercredi 30 mars, la chronique en question.

Sophia Aram est assez intelligente pour reconnaître que sa chronique aurait pu être bien meilleure, et bien plus mordante.

N'oublions pas l'adieu qu'elle adressa à Jean-Marie Le Pen, le 12 janvier 2011, au "au nom de tous ceux qui ont eu à souffrir de vos invectives, vos insultes" :


Assez mécontent, paraît-il, monsieur Le Pen n'a même pas pu placer correctement sa pathétique citation cornélienne, mais il n'a pas jugé bon de donner suite.

Les temps changent, et le "parti comme les autres" est devenu très chatouilleux.

Madame Marine Le Pen, fille du précédent, n'a pas apprécié la sortie de monsieur Claude Goasguen, député UMP, qui aurait déclaré, le 22 mars, au cours d'une réunion à huis-clos :

"On ne va pas s'allier avec le FN, c'est un parti de primates. Il est hors de question de discuter avec des primates."

Dénoncé par l'un ou l'une de ses petit(e)s camarades, le pauvre député prétend ne plus savoir s'il a dit "primate" ou "primaire", et assure qu'il a voulu dire "primaire"...

On dit que le FN a "lancé une procédure pour "injure" contre le député de Paris, estimant que l'UMP devait l'exclure".

Dimanche soir, à l'annonce des résultats de son parti "comme les autres", qui fait tout de même un score un peu inférieur aux autres, madame Le Pen a déclaré :

"Les primates se sont grandement mobilisés ce soir."

On a dû l'applaudir.

Monsieur Le Pen, lui, a lancé :

"L'Afrique doit se réjouir ce soir, c'est la victoire des primates."

Je ne sais s'il a été applaudi, mais il semble que personne n'ait demandé son exclusion.

dimanche 27 mars 2011

La question d'un oiseau

De la calligraphie on pourrait presque dire, en affinant un peu les diverses analogies, ce que Georges Perec, dans La vie mode d’emploi, disait de "l'art du puzzle" :

Au départ, l’art du puzzle semble un art bref, un art mince, tout entier contenu dans un maigre enseignement de la Gestalttheorie : l’objet visé (…) n’est pas une somme d’éléments qu’il faudrait d’abord isoler et analyser, mais un ensemble, c’est à dire une forme, une structure : l’élément ne préexiste pas à l’ensemble, il n’est ni plus immédiat ni plus ancien, ce ne sont pas les éléments qui déterminent l’ensemble, mais l’ensemble qui détermine les éléments : la connaissance du tout et de ses lois, de l’ensemble et de sa structure, ne saurait être déduite de la connaissance séparée des parties qui le composent (…).

Ce qui m'a longtemps tenu écarté des réalisations des calligraphes, c'est peut-être, chez beaucoup d'entre eux, un choix malencontreux du "tout", trop souvent emprunté à une sorte de dictionnaire de grandes citations, qui est aussi celui des idées reçues de la sagesse universelle. La beauté du geste dans le tracé des "éléments" se trouve écrasée par la pesanteur sentencieuse de la maxime...

Mais je n'ai senti se lever aucune de ces réticences en découvrant le travail de Christian Zimmermann, actuellement exposé à la Maison des Arts et à la Médiathèque d’Évreux. L'artiste, calligraphe, plasticien et poète, s'y affranchit très naturellement de toute fausse gravité. A la moralité sonore, il préfère, semble-t-il, la légèreté du jeu avec les mots, et la subtile vibration de la poésie ainsi suggérée.

Sur un mur, il note :

la question d'un oiseau
sur le rebord d'une fenêtre
se pose


Et il encadre cette notation cursive de deux autres, plus majuscules :

on va finir par croire
qu'on a d'abord commencé
par y croire


et

c'est cela la question :
le tissu de la vie

est-il sans apprêt ?



Impondérables, les écritures de Christian Zimmermann se posent dans les arbres...


Et quand elles se développent dans l'espace, quel que soit le matériau mis en œuvre, papier, plexiglas, métal, elles s'y déploient avec la même élégance aérienne.

Entre les lettres, de l'ombre à la lumière, circule toujours l'esprit.





PS : L'exposition Lisières, dont ce petit billet ne présente qu'une infime partie, est installée, à la Maison des Arts et la Médiathèque de notre bonne ville d’Évreux, jusqu'au samedi 16 avril 2011. Voir les détails, lieux et heures d'ouverture, sur le site de la ville.

samedi 26 mars 2011

Intellos sans tête de veau

Pour ceux qui s'amusent, comme moi, des dérives assez peu intellectualistes du débat national, voici une bonne nouvelle, glanée dans le Monde :

Nicolas Sarkozy a repris ses déjeuners réguliers avec des intellectuels
L'articulet de Raphaëlle Bacqué nous apprend, en son chapeau :

Mercredi 23 mars, le président avait à son menu un journaliste et deux écrivains Eric Zemmour, Denis Tillinac et Yann Moix. Tous trois de droite, céliniens, amateurs d'histoire, de littérature et agents d'influence dans les médias.

La suite ne présente guère d'intérêt, puisque le vrai "menu" n'est pas précisé et qu'il me faut supposer, énorme "prise de risque", qu'il n'y avait pas de tête de veau comme au bon vieux temps.

Il est probable qu'au dessert est apparue l'indispensable faisselle de fromage frais, tandis que les invités avaient à se débrouiller avec des aumônières de fruits rouges à la chanoine de Latran.

Selon l'une de mes sources préférées - un compatriote à moi affecté au service du trou normand à l’Élysée -, c'est après avoir dégusté son lait caillé que le président a surpris ses hôtes en leur apprenant que sa voiture personnelle, celle qu'il conduit lui-même quand il en a la rare occasion, était équipée de balais d'essuie-glace intérieurs.

Très fier de lui, il leur en a donné la raison.

Quand il prend le volant, et surtout dans les côtes, il ne peut s'empêcher de faire

Vroum, brrrrrroum, brrrrrrrrrr....



Merci à Philippe Wojazer / Reuters poour la photo,
et au sens de l'humour de nos amis belges pour le reste...

vendredi 25 mars 2011

Les hôpitaux publics, futurs sanctuaires de la laïcité

On éprouve d'abord un certain scrupule à penser que monsieur Claude Guéant a reçu mission d'entretenir en solo une casserolade médiatique permettant, en cette période électorale, de couvrir la voix de madame Marine Le Pen. On se dit ensuite que depuis quelques années tout est devenu possible, et qu'il se pourrait même qu'il se soit porté volontaire pour accomplir cette noble mission, dont, par ailleurs, il aurait eu la géniale idée.

Enfin, on admet qu'on s'en moque, après tout. Son numéro semble réussi, et sa dernière "saillie" fut assez féconde.

(Si j'ose dire.)

"Les agents des services publics évidemment ne doivent pas porter de signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse, mais les usagers du service public ne [le] doivent pas non plus."
(...)

"Par exemple, on sait qu'à l'hôpital il y a un certain nombre de personnes qui refusent, pour des femmes, des soins prodigués par des hommes. Et bien, ce n'est pas admissible."

Claude Guéant cherchant l'inspiration pour la suivante...

Entendue strictement, la première phrase de notre amateur de tintamarre ne peut que soulever quelques questions...

Que le très sérieux Figaro s'est empressé de poser à "l'entourage du ministre" :

Interrogé par lefigaro.fr, l'entourage du ministre a précisé la pensée de celui-ci. S'agit-il en effet d'interdire à une femme voilée, un homme portant une kippa, une croix chrétienne, de pénétrer dans un lieu public ? «Non», répond-on place Beauvau. C'est pourtant ce que la phrase du ministre pouvait laisser entendre.

Si le Figaro dit que nous avions bien entendu...

Cependant :

L'explication serait à chercher du côté de la construction de la phrase, expliquent les services du ministre. La dernière partie des propos de Claude Guéant - «les usagers du service public ne doivent pas non plus» - s'applique à la «manifestation d'une préférence religieuse». «Il ne s'agit pas d'interdire à un usager des transports en commun de porter un voile, une croix», explique l'entourage de Guéant. «Il entendait bien dire que l'organisation du service public s'impose à l'usager et, comme le service public est neutre, un usager ne peut pas récuser un médecin ou quelqu'un d'autre pour un motif religieux», poursuit un membre de l'entourage du ministre interrogé par l'Agence France-Presse. Autrement dit, pas question pour le patient d'un hôpital de refuser d'être traité par un médecin du fait du sexe de ce dernier. «Ce n'est pas admissible», a relevé le ministre.

On voit que monsieur Guéant a le talent de dire beaucoup de choses subtiles tout en construisant ses phrases aussi mal que n'importe quel patachon parachuté candidat FN aux cantonales de Trifouillis...

Un second article du Figaro, signé de Cécilia Gabizon, nous apprend que le ministre de l'Intérieur "prépare un Code de la laïcité", pour "notamment clarifier les règles concernant les préférences et les signes religieux dans les hôpitaux". Apparemment la circulaire de 2005, issue de la commission Stasi sur la laïcité, ne lui suffit pas.

L'article figaresque tente de faire le point :

À l'hôpital, les pressions religieuses ne sont pas massives mais récurrentes, depuis une dizaine d'années, dans les services d'obstétrique ou aux ­urgences. Des responsables avaient déjà alerté la commission Stasi en 2004 et, depuis, une charte de la laïcité rappelle que les patients sont libres de choisir leur médecin lorsqu'ils prennent rendez-vous mais doivent accepter le médecin de garde autrement. En région parisienne, les femmes enceintes sont prévenues, dès l'inscription à la maternité, qu'elles devront accepter le praticien présent le jour de l'accouchement. Le nombre d'accrochages a d'ailleurs diminué, mais la tension persiste.

Tout cela, on le voit, demeure assez imprécis.

Et la "tension" persistante pour le personnel soignant pourrait bien, vu le mode de fonctionnement de l'hôpital public, avoir des causes annexes, tout à fait indépendantes des "pressions religieuses".

On admettra qu'il est plus facile d'imposer aux femmes de confession musulmane une contrainte supplémentaire, ressentie par elles comme humiliante, que de leur donner la possibilité de choisir. Et que leur exigence de pudeur soit d'origine religieuse ne change rien à l'affaire. Des soignants incapables de s'en accommoder auraient peut-être mieux fait de s'établir en mécanique auto.

mercredi 23 mars 2011

Claude Guéant, lexicographe national

Monsieur Claude Guéant vient de donner aux députés une belle leçon de lexicographie amnésique et étriquée.

Il est possible qu'il fasse école, ou au moins jurisprudence.

Car il est grand temps de "sécuriser" le langage en lui faisant dire exactement ce que l'on veut qu'il dise.

Monsieur Guéant exige donc que l'on entende, pour chaque terme qu'il emploie, et surtout pour le mot "croisade", la dernière acception historiquement attestée de celui-ci, à l'exclusion de tout autre.

Pour l'instant, selon mes sources, aucun décret-loi ne semble prévu, mais il faudrait y songer...


Claude Guéant, arbitre des élégances langagières.


Après avoir déclaré, lundi dernier :

Lundi dernier, au cours du Talk Orange Le Figaro, en rendant un hommage appuyé au rôle de notre "chef de guerre" Nicolas Sarkozy, il avait affirmé :

"Heureusement, le président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies, et puis la Ligue arabe et l'Union africaine".

Aujourd'hui, monsieur Christian Paul, député socialiste de la Nièvre, a cru judicieux de demander au ministre de l'Intérieur une explication de texte...

Et il l'a eue :

«J'ai dit: "Heureusement, le président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité (des Nations unies)", et vous traduisez en disant que je prêche la croisade en Libye, voire, j'ai lu cela dans les déclarations de votre première secrétaire (du PS, Martine Aubry), que je prêchais la croisade de l'Occident contre l'Orient. Eh bien c'est une manipulation», a-t-il fustigé.

«On fait dire aussi aux mots ce qu'ils ne signifient pas. Depuis le XIIe siècle, la langue française a évolué», a poursuivi Claude Guéant, en invitant le député à «lire le dictionnaire tout simplement». «Quelle est la définition que donne du mot croisade Le Petit Larousse ? C'est une campagne menée pour créer un mouvement d'opinion. Le Petit Robert complète: c'est une tentative pour créer un mouvement d'opinion dans une lutte. »

On voit que monsieur Guéant est prêt à passer directement de la place Beauvau au quai Conti...

Au fauteuil d'Émile Littré, de préférence.

Il est bien possible que tous les dictionnaires du ministère de l'Intérieur aient été caviardés par des islamophiles infiltrés, et que, par conséquent, notre futur académicien n'ait pu trouver que les définitions qu'il a données. Une consultation dans une bonne bibliothèque pourrait, je suppose, lui montrer que tous les ouvrages complets donnent du mot "croisade" le premier sens comme sens premier.

Par exemple, le Petit Robert nous dit :

CROISADE : 1 (hist.) Expédition entreprise au Moyen Âge par les chrétiens coalisés pour délivrer les lieux saints qu'occupaient les musulmans (cf Guerre sainte)
Partir pour la croisade, en croisade. La deuxième croisade.
2. Tentative pour créer un mouvement d'opinion dans une lutte => campagne
Croisade contre le tabagisme, en faveur de l'alphabétisation.

Ou encore, la 9e édition du Dictionnaire de l'Académie française (1992-...) :

XV e siècle. Réfection, sous l'influence de l'ancien provençal crozata, de croisée.
1. HIST. Au Moyen Âge, expédition faite par les chrétiens contre les musulmans pour libérer le tombeau du Christ à Jérusalem. La croisade était ainsi nommée parce que ceux qui s'y engageaient portaient une croix sur leur vêtement. La première croisade. La huitième et dernière croisade. Saint Bernard prêcha la deuxième croisade. La croisade des enfants au XIIIe siècle, au XIVe siècle. Les croisades contre les Sarrasins. Ellipt. Les Croisades. Ses ancêtres ont participé aux Croisades. Sa famille remonte aux Croisades. Par ext. Expédition militaire contre les hérétiques. La croisade contre les albigeois, contre les hussites.
2. Par anal. Campagne menée en vue de soulever l'opinion publique pour la défense d'une cause. Partir en croisade contre l'alcoolisme. La croisade pour l'abolition de la peine de mort, pour la sauvegarde des forêts. Un esprit de croisade.

Le sens dérivé, que monsieur Guéant prétend être désormais le seul, est apparu dans le dernier quart du XVIIIe siècle. Le Dictionnaire historique de la langue française, d'Alain Rey, précise le glissement de sens :

Par analogie, le mot croisade désigne une expédition militaire organisée par les chrétiens contre les hérétiques et - parfois ironiquement - une lutte armée sous-tendue par un conflit idéologique religieux. Par extension, il est employé au figuré (1778) en parlant d'une campagne visant à soulever l'opinion en vue d'un résultat d'intérêt commun.

Ce "parfois ironiquement" suggère que le sens auquel notre donneur de leçons de vocabulaire s'accroche pourrait bien être dérivé de quelque tour donné au langage par un bel esprit du siècle dit des Lumières lançant une pointe de mauvais esprit à l'encontre d'un puissant...

(Je ne saurais l'affirmer. Contrairement à celle de monsieur Guéant, mon érudition a ses limites...)

Puissant, monsieur Guéant croit certainement l'être.

Mais sans doute pas au point d'imposer sa mémoire sélective à la langue qu'il manie, cette langue qui, il l'a sûrement oublié, "pense et poétise à notre place" (Victor Klemperer).

Et parfois dit ce que nous voulions vraiment dire.


Post-Scriptum (24/03/2011) : On peut se réjouir que monsieur Claude Guéant ait réussi à débloquer, avec une célérité exemplaire, des crédits pour équiper son ministère d'un dictionnaire des synonymes. Il a ainsi pu déclarer, selon la presse :

"Avec le recul j'aurais pu prendre un autre mot, j'aurais pu dire: 'mobiliser l'opinion pour faire triompher nos thèses au conseil de sécurité' de l'Onu."

Reste à déterminer s'il s'agit là d'un véritable "recul" de notre ministre...

lundi 21 mars 2011

Une bonne guerre pour apprendre à vivre

Jadis, ma grand mère me faisait assez souvent l'honneur de m'interpeller pour s'adresser, à travers moi, à l'ensemble de la très frivole génération dont je faisais partie.

Ainsi :

"Une bonne guerre, ça vous apprendrait à vivre."

Me disait-elle.

"Apprendre à vivre sans bras ? sans jambes ? et la gueule cassée ?"

Aurais-je pu rétorquer si je n'avais déjà été pacifiste.


Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard.

Je ne lui ai jamais demandé ce qu'était, au fond, une "bonne guerre". Elle aurait pu se sentir attaquée : elle n'avait pas lu Bernard-Henri Lévy.

Ni Claude Askolovitch.

Monsieur Askolovitch, rédacteur en chef du journal du Dimanche, où il dépose son "commentaire" chaque ouiquende, sait sans doute ce qu'est une guerre juste, celle qui ne saurait être juste une guerre, mais est bien la bonne guerre qu'il nous faut.

C'est du moins ce que je crois pouvoir déduire de l'ouverture de son dernier papier :

En portant la France contre Kadhafi, Nicolas Sarkozy nous a épargné un remords. Il y avait l’Espagne républicaine, la Tchécoslovaquie, Srebrenica, le Rwanda. Il n’y aura pas Benghazi.

Pas moins de quatre guerres justes que nous aurions dû faire, avant d'en arriver, sans "remords" à celle où nous invite le très honorable Nicolas Sarkozy, qui y trouve, aux yeux du chroniqueur, comme une sorte de rédemption :

Cela n’annule aucun grief, mais cela peut aussi justifier un mandat. Un homme de pouvoir, à l’arrivée, ce sont quelques gestes, quelques choix, qui vous placent du côté de l’honneur ou du regret.

Et "du côté de l’honneur", Claude Askolovitch découvre, "et ce n’est pas un hasard", une grande figure tutélaire :

Et ce n’est pas un hasard si Sarkozy, dans l’honneur, a retrouvé Bernard-Henri Lévy. Le philosophe trimbale ses rires et ses scories. Mais quand vient l’essentiel, il est du bon côté. Ça justifie une vie.

Magnifique tableau, d'un pompiérisme léger, de ces deux justes - car tous deux justifiés, l'un dans son mandat, l'autre dans sa vie - "portant la France contre Kadhafi"...

J'aime plus que tout l'emploi de ce verbe "porter", qui introduit une délicate tonalité désuète dans les propos de notre chroniqueur.

Qui ne manque cependant pas de panache.

Cette France que l'on porte "contre Kadhafi" est le véritable sujet du papier de Claude Askolovitch qui, en son second paragraphe, part en guerre contre les "deux petites phrases" récemment lâchées par monsieur Claude Guéant, ci devant profond stratège électoral. Notre auteur nous livre un très beau morceau de prose de style exclamatif - bien que son clavier, apparemment, ne comporte que des points d'interrogation. Un Luchini en pleine forme s'y étranglerait :

De quelle France parle-t-on, et de quels Français? France paysanne, prolétaire, d’avant l’exode rural ou les délocs? Qui fumait des gauloises? Quand les rugbymen avaient du bide mais aussi des couilles? Quand Bataves et Britanniques ne rachetaient pas le Sud-Ouest? D’avant le jazz? Sans grands ensembles? Sans Europe? Sans mondialisation? D’avant l’orgie télévisuelle et le rire qui cautionne les petites saloperies de la peur? Jean Nohain, lui, n’aurait pas pris Zemmour?

Reprenant enfin sa respiration, monsieur Askolovitch, se "portant contre" Claude Guéant, développe une conception grandiose d'un nationalisme élargi à l'anglo-américaine :

Halal à Paris, c’est cacher à Brooklyn, ou paki à Londres.

Et en appelle à la "France réelle" :

C’est la France réelle que ses gouvernants devraient chérir au lieu de la nier. Et tant de "Muslims" s’en foutent d’ailleurs, du halal, et le seul enjeu est de vivre. Pas seulement vivre ensemble, cohabitants d’une république délitée, mais vivre. Pouvoir le faire : l’économie, imbéciles !

On admettra que le "suggéré" d'Askolovitch n'est pas d'une grande limpidité, et si l'on se souvient de l'introduction, on peut se sentir un peu perdu.

Tout s'éclairera de la conclusion :

La folie de tout ça : en allant secourir les Libyens, Sarkozy sort la France du sam’suffit mental qui sous-tendait nos non-interventions. Nous seuls, et que crève le monde entier ! Il n’y avait pas que des principes, mais aussi des moisissures dans nos indépendances, Irak inclus. Mais ces moisissures rongent ce que le même Sarkozy fait ou laisse faire à une partie de la France. Souffle de Benghazi, viens balayer nos miasmes!

Pas plus avancés ?

Disons que, peut-être, le monsieur veut nous dire, dans un grand mouvement d'un lyrisme échevelé, qu'il est bien content, car cette bonne guerre, qu'on va (enfin !) faire, va nous apprendre à vivre (et pas seulement ensemble (ouais !)).

Moisissures, détail.

dimanche 20 mars 2011

Les nuits étoilées

Si Woody Allen possédait le centième du sens artistique de grand maître qu'on lui prête, il s'opposerait à l'utilisation, pour la sortie de son dernier film, de cette affiche à dominante bleue, lavasse ponctuée de jaune pisseux :


C'est peut-être ce qui s'appelle un "dégradé"...

On pense bien sûr à la lettre que Vincent écrivit, les 9 et 14 septembre 1888, à sa sœur Wilhelmina :

Je veux maintenant absolument peindre un ciel étoilé. Souvent il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour, coloré des violets, des bleus et des verts les plus intenses.

Reprenant sa lettre un peu plus tard, il décrit à sa sœur le tableau qu'il vient de peindre :

J'ai été interrompu justement par le travail que m'a donné de ces jours-ci un nouveau tableau représentant l'extérieur d'un café le soir. Sur la terrasse il y a de petites figurines de buveurs. Une immense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prend une teinte de violet rose. Les pignons des maisons d'une rue qui file sous le ciel bleu constellé d'étoiles, sont bleu foncé ou violets avec un arbre vert. Voilà un tableau de nuit sans noir, rien qu'avec du beau bleu et du violet et du vert et dans cet entourage la place illuminée se colore de souffre pâle, de citron vert. - Cela m'amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d'après le dessin. Mais moi je m'en trouve bien de peindre la chose immédiatement.


Vincent van Gogh, Terrasse du café le soir, Place du forum, Arles, 1888.

Vers la fin de cette lettre, cette confidence :

Plus je me fais laid, vieux, méchant, malade, pauvre, plus je veux me venger en faisant de la couleur brillante, bien arrangée, resplendissante.

Les bijoutiers sont vieux et laids aussi, avant de savoir bien arranger les pierres précieuses. Et arranger les couleurs dans un tableau pour les faire vibrer et valoir par leur opposition cela c'est quelque chose comme d'arranger les bijoux ou d'inventer des costumes.


Le tableau que ce jeune vieillard de 35 ans voulait "maintenant absolument peindre" est sans doute cette Nuit étoilée sur le Rhône, peinte à Arles à la fin du mois de septembre 1888 :


Vincent van Gogh, Nuit étoilée sur le Rhône, 1888.

Mais c'est l'année suivante que Vincent, à l'asile du monastère Saint-Paul-de-Mausole, près de Saint-Rémy-de-Provence, peindra l'absolu de sa nuit :

Vincent van Gogh, La Nuit étoilée, 1889.

En février 1978, fut créée, par Mstislav Rostropovitch à la tête du National Symphony Orchestra of Washington DC, une composition symphonique en deux parties d'Henri Dutilleux, intitulée Timbres, Espace, Mouvement, et sous-titrée La Nuit étoilée. L'orchestre y atteint, il semble, cette "haute note jaune" que Vincent évoquait dans sa lettre à Théo du 24 mars 1889.

Pour l'entendre, il suffit d'écouter* :








* En fermant les yeux, car la "mise en images" est plutôt désastreuse...

samedi 19 mars 2011

La fabrique du bébé clandestin

A la réflexion, monsieur Claude Guéant, ministre de l'Intérieur et membre d'honneur du Front National, a partiellement raison.

Mais il se trompe sur le motif.

Certains Français, dont je suis, à force de déclarations incontrôlées, "ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou bien (...) ont le sentiment de voir des pratiques qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de [leur] vie sociale".


Désolé, mais cet homme n'est pas le bienvenu
là où nous nous sentons (encore) chez nous.


On trouvera quelques exemples de ces "pratiques qui s’imposent à [nous] et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale", dans le témoignage de ce médecin généraliste dont le texte a été communiqué à la presse, ce jeudi, par le Syndicat de la Médecine Générale, affirmant ainsi qu'il "soutient ouvertement l’initiative d’un de ses membres".


N’être

Amel est une jeune mère de famille, elle élève avec son mari deux charmantes petites filles. Lui travaille comme ouvrier, elle reste à la maison pour s'occuper du dernier né de trois mois. Leur séjour en France est totalement légal : ils disposent d'une carte de séjours de dix ans. A la cité des Francs-Moisins, à Saint-Denis, où ils habitent, tout cela est relativement habituel, du moins on pourrait le croire, car cette famille vit en fait un cauchemar : leur nourrisson est un « touriste de passage pour 3 mois ».

Amel est enceinte de sept mois quand elle doit partir en urgence en Algérie au chevet de sa mère gravement malade. Elle ne sait pas que ce voyage la conduira dans un monde kafkaïen. Elle accouche prématurément en Algérie à sept mois. Après cet épisode difficile à vivre, elle a hâte de rentrer auprès de sa famille. Hélas, la loi française ne le permet pas. Son enfant étant né à l'étranger, elle ne peut le ramener directement. Elle doit attendre un visa provisoire pour l'enfant, si elle veut revoir ses filles. Sinon, elle doit entamer une procédure de rapprochement familial. Amel s'effondre. Elle vit une dépression. Il faut absolument rentrer. Son mari et ses enfants lui manquent. Elle choisit le visa. Le retour à la maison ne résout pas le problème, loin s'en faut : une cascade de difficultés l'attend. La préfecture lui signifie qu'au terme du visa, elle doit retourner en Algérie et demander pour l'enfant le regroupement familial, ce qui peut prendre beaucoup de temps. En France, le bébé n'a aucun droit, même pas celui d'être rattaché à la Sécurité sociale de son papa, puisqu'il y est en séjour provisoire.

C'est cette situation qu'Amel me raconte un soir de janvier, quand elle m'amène le bébé qui a de la fièvre. Je le soigne et, bien forcé par la situation, je rédige l'ordonnance au nom de sa grande sœur en espérant que le pharmacien ne tiquera pas trop sur la posologie inadaptée.

Et je m'indigne ! Comment cela est-il possible ? Cet enfant a un papa qui travaille, qui cotise à la Sécurité sociale, qui a des droits. Je me renseigne auprès des personnes connaissant mieux que moi ces situations : eh bien, non, cet enfant n'a pas de droit, car il a eu le tort de naître où il ne fallait pas. Nous faisons le « forcing » à la CPAM du 93 pour procurer une couverture sociale à ce bébé car, si par malheur il devait être hospitalisé, le coût serait rédhibitoire. Il faut du temps et de la pugnacité, mais heureusement, nous y arrivons, car aujourd'hui, l'enfant est hospitalisé pour une infection des voies respiratoires. Mais cela ne change pas la situation du bébé qui va bientôt être clandestin, puisque tout le monde conseille à Amel, même les institutions sociales, de ne pas retourner en Algérie.


De toute façon l'état psychologique d'Amel ne le permet pas, état psychologique encore plus aggravé par la décision de la Caisse d'Allocation Familiale, qui demande le remboursement de la prime de naissance (eh oui, il y a là suspicion de fraude !) et qui, pour être certaine d'être remboursée, supprime le versement des autres prestations. Nous supposons que, comme d'habitude, quand il y a un problème déclaratif ou autre, la CAF suspend toutes les allocations, fait son enquête, et prend sa décision. On remarquera qu'habituellement, en vertu des principes constitutionnels, il faut d'abord faire l'instruction avant de prononcer le jugement, mais pour la CAF, les principes constitutionnels sont accessoires ! Outre que la suppression arbitraire des prestations auxquelles elle a droit enfonce un peu plus cette famille dans la précarité, la violence institutionnelle qu’elle traduit projette Amel et les siens dans l’incompréhension et la détresse.

Comment en est-on arrivé là ? Dans quel monde vivons-nous, pour fabriquer des bébés clandestins ? Quelle faute Amel a-t-elle commise pour être autant punie ?

Je voudrais connaître celle ou celui qui au consulat de France a refusé de délivrer les papiers à cette jeune mère de famille. Il ou elle a appliqué la loi, me dira-t-on. Quelle loi ? Celle qui est écrite sur le fronton de son bâtiment : liberté, égalité, fraternité ou celle d'un État français redevenu ouvertement xénophobe. Je voudrais comprendre ce qui se passe dans la tête de tous ces acteurs de la préfecture qui, au nom de la France, perdent leur humanité. Les lois et les règlements ne cessent de brimer les étrangers. La France a-t-elle si peur qu’elle doive craindre la venue sur son territoire d'un nourrisson de trois mois ? Voit-elle en lui un possible perturbateur de l'ordre public ?

Comment peut on oublier à ce point les missions et les valeurs de la protection sociale, pour que la CAF se conduise de cette manière, est-ce le poison de la suspicion face à la fraude qui provoque ce comportement d'exclusion ?

Que puis-je dire à cette famille ? Que ce monde est devenu fou, de cette folie qui conduit à ne plus savoir faire la part des choses. Que la loi fixe les conditions de la vie en société, mais qu'elle n'est jamais à l'abri de devenir stupide et ignoble dans son application. Que la citoyenneté que les hommes et les femmes politiques prétendent défendre n'existe pas pour un bébé né de parents maghrébins.

La loi que nous allons appliquer pour cet enfant, c'est la loi de la cité, celle qui est faite de solidarité, de soutien, d'amour et de fraternité. Et nous allons nous mobiliser pour rendre à ce bébé ses droits, pour que son arrivée dans la vie ne soit pas à jamais marquée par la culpabilité d'être né où il ne fallait pas.

Docteur Didier Ménard
Médecin généraliste à la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis

vendredi 18 mars 2011

Le secret des Papous pas papas

L'un de mes frères avait dû recevoir ce livre, comme récompense et pour son édification, lors de la distribution des prix d'une sainte institution par lui fréquentée. Aussi mes rêves d'enfance furent émerveillés par la lecture du très fameux Vingt-et-un ans chez les Papous* du révérend père missionnaire André Dupeyrat.

Ce n'est que plus tard, car le bon père en parlait assez peu, que je pus découvrir la très haute complexité des relations de parenté chez ces gens fascinants :

"Chez les Papous, il y a des Papous papas et des Papous pas papas. Il y a aussi des Papous à poux et des Papous pas à poux. Et aussi des poux papas et des poux pas papas. Et même des poux papous et des poux pas papous. Tous les Papous papas à poux papous pas papas sont des Papous à poux papous pas papas , mais les Papous papas pas à poux papous pas papas ne sont pas des Papous à poux papous pas papas, se sont des Papous pas à poux papous pas papas ..." **

Et je n'ai découvert que très récemment la manière utilisée par certains Papous pour rester, quand cela s'impose, des Papous pas papas...


Papou de la tribu des Dani réarrangeant son costume.
(Photo Michel Rapinat.)

Dans certains groupes de Nouvelle-Guinée, la tradition autorise la célébration, et la consommation, du mariage dans le cas où le futur n'a pas encore rassemblé la totalité de la dot, à condition que l'époux papou se débrouille pour ne pas devenir papa.

Ces histoires de dot incomplètement versée sont assez fréquentes de par le monde ; il n'est pas rare qu'il manque quelques poulets, voire une chèvre, et l'on trouve alors des accommodements pour dédommager la parentèle de la jeune femme. Mais ce qui fait ici l'originalité de l'arrangement est cette clause interdisant la procréation, et surtout le fait qu'elle incombe à l'homme, et à lui seul.

Pas question donc de recourir à la queue du persil local.

Contrairement à ce que de mauvais esprits à la myopie mal placée auraient pu déduire de la superbe photographie de guerrier néoguinéen insérée plus haut, les Papous n'utilisent pas de condoms - comme on dit dans le Gers - pour éviter ces grossesses qui seraient fort malvenues. Ils se gavent des feuilles d'un arbrisseau de la famille des acanthacées, d'origine chinoise, Justicia gendarussa, connue pour ses propriétés médicinales, et cela, semble-t-il, suffit pour mettre en sommeil leur fécondité spermatique.


Une jolie fleur contraceptive.

Selon un article du quotidien indonésien Kompas, traduit sur Courrier International, un chercheur de 54 ans, monsieur Bambang Parjogo Eko Wardojo, professeur de pharmacologie et de phytochimie de la faculté de pharmacie de l’université Airlangga, à Surabaya, vient de lancer une pilule contraceptive pour hommes, utilisant les propriétés de la gendarussa.

La pilule contraceptive en question, dont la production a été confiée au groupe pharmaceutique indonésien Indofarma, a été lancée le 14 décembre 2010 par l’Office de coordination nationale du planning familial. Mais on ne peut pas encore la trouver en pharmacie. Avant de la lancer sur le marché, Indofarma doit procéder à des tests cliniques sur 350 hommes volontaires.

Tous ces renseignements ne concernent que l'Indonésie, bien entendu.

Même si les espoirs qu'elles suscitent sont confirmés, il faudra certainement des années et des années avant qu'on ne voie la couleur de ces pilules (pour hommes, pensez donc !) dans nos contrées.

Cependant, on peut relever un argument qui pourrait plaider en faveur de ce nouveau contraceptif, en rassurant les mâles occidentaux :

La pilule a déjà été testée sur 152 hommes, et aucun effet secondaire n’a été constaté selon les chercheurs, bien que certains hommes ont vu leur libido considérablement augmenter.

La justicia gendarussa n'est donc aucunement un coupe faim.



* Editions Arthème Fayard, 1952, réédité en 1953 par les éditions La Colombe, avec une préface de Paul Claudel.

** Il y a plusieurs versions possibles de ce french tongue-twister. J'ai copicollé celle de ouiquipédia - où "tongue-twister" est traduit par "virelangue".

jeudi 17 mars 2011

Surenchère rhétorique aux suicides

Son blogue nous l'apprend, dans une note de la catégorie "articles de presse" daté du 15 mars, monsieur "Guy Lefrand a participé au déjeuner des anciens de la commune de BOURTH".

C'était dimanche dernier, et on peut lire que ça leur a fait une bien belle jambe, aux anciens de la commune de Bourth...

Il faut préciser, pour les parigots têtes d'escargots, que monsieur Guy Lefrand est député UMP de la 1ère circonscription du département de l'Eure, et que cela fait aussi partie de ses devoirs d'élu républicain que d'aller chanter Ah ! Le petit vin blanc ! aux banquets des anciens de ladite circonscription.


Suggestion de présentation.

Par ailleurs, à l'Assemblée Nationale, où il est entré le 13 janvier 2009, suppléant monsieur Bruno Le Maire appelé à de plus hautes fonctions, il défend actuellement le "projet de loi relatif aux droits et protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et modalités de leur prise en charge". Il en est le rapporteur.

On peut dire que notre tout frais parlementaire de la place n° 209 n'a pas vraiment de chance avec son premier travail législatif d'importance. Ce projet de loi rétrograde est tout simplement indéfendable.

(On pourra s'en convaincre en lisant les analyses rassemblées sur le site du Collectif des 39 contre la Nuit Sécuritaire.)

Ayant à faire face à ce qu'il nomme assez vaguement "la médiatisation de certains", notre bizuth député a cherché à s'exprimer dans la presse... Et à lire ses déclarations ici et , on constate qu'il n'a probablement pas terminé son stage de formation en communication.

Il est curieux de lire, au début d'un collage de ses propos que l'on trouve dans Libération :

"Pourquoi une loi ? Le point de départ, on le sait, est une interrogation présidentielle par rapport à la sécurité de l’entourage des malades psychiatriques. Mais si j’ai demandé à en être le rapporteur, c’est que je voulais défendre aussi la sécurité des malades. On a tendance à l’oublier, mais il y a près de 4 000 personnes souffrant de troubles mentaux qui se suicident chaque année. Que fait-on pour eux ?"

Notons tout de même, au passage, que le "point de départ" a peu de chose à voir avec "une interrogation présidentielle" - depuis quand notre président s'interrogerait-il avant de "réformer" ? Rappelons simplement que ce projet de loi trouve son origine dans un des discours sécuritaires de Nicolas Sarkozy (celui du 2 décembre 2008) où la maladie mentale n'était considérée que du point de vue de la dangerosité. Dans ces conditions, il semble que prétendre vouloir "défendre aussi la sécurité des malades" relève de la naïveté ou de l'hypocrisie...

Pourtant, sans doute pas peu fier de sa trouvaille des 4000 suicides de "psychotiques", monsieur Lefrand, dans l'entretien accordé à 20minutes.fr, persiste de manière plus affirmative :

Question : Que répondez-vous à ceux qui taxe ce projet de loi de sécuritaire ? (sic)
Réponse : Que rien n’est sécuritaire dans ce texte sinon la possibilité d’éviter à 4.000 personnes psychotiques de se suicider par an.

Dans Libé, notre rapporteur affine sa réponse :

"On me dit que cette loi est sécuritaire. Peut-être au départ, mais le gouvernement a accepté deux amendements importants : il y aura la possibilité d’un recours au juge d’application des peines quand le psychiatre et le préfet ne sont pas d’accord sur la levée de la contrainte."

Vous avez bien lu : "possibilité d’un recours au juge d’application des peines" !

Encore un glissement de ce genre et les psychiatres dépendront de l'administration pénitentiaire.


Ceci est une bonne question...
(Affiche de l'appel à rassemblement
du mardi 15 mars à Paris.)

Le pivot autour duquel s'opère ce basculement de la psychiatrie dans la flichiatrie est l'inscription dans la loi de la possibilité de "soins" ambulatoires sous contrainte.

Cette disposition a été adoptée ce mercredi par les députés.

Certains d'entre eux, appartenant au collectif de la "Droite populaire", ont soigné leur popularité en se démarquant nettement du vague argumentaire en trompe-l'œil du rapporteur du projet :

"Des agressions de fous on en voit tous les jours."

Aurait déclaré, avec une remarquable précision statistique, monsieur Dominique Tian, revenant aux certitudes du président Sarkozy...

Pour qui la question ne semble pas vraiment "la possibilité d’éviter à 4.000 personnes psychotiques de se suicider par an".


Une alternative à la Nuit Sécuritaire.
(La Nuit étoilée, vue en 1889
par Vincent Van Gogh,
"suicidé de la société".)

mercredi 16 mars 2011

Sans surprise

Aujourd'hui, je me contente de vous renvoyer vers deux billets d'une drôlerie désopilante auxquels vous avez échappé dans l'Escalier qui bibliothèque.

J'avais bien songé à les écrire, mais mes deux petits collègues

Claude Allègre

et Jacques Attali


ont remis leurs copies avant moi.

(Pour lire leurs billets, cliquer sur leurs trombines.)


mardi 15 mars 2011

Le cœur et le courage

L'une affirme avoir "aussi du cœur", l'autre affiche son "courage", deux femmes à la parole libérée prétendent dire ce que nous penserions tout bas.

(Pas moi, je vous assure...)

Madame Marine Le Pen, devant deux migrants "illégaux", au cours de son déplacement à grand spectacle sur l'île de Lampedusa :

"J'ai beaucoup de compassion pour vous, j'ai aussi du cœur, mais l'Europe n'a pas la capacité de vous accueillir. Nous n'avons plus les moyens financiers."

Madame Chantal Brunel, selon l'AFP, sur Public Sénat :

"La France ne peut pas accueillir l'immigration économique illégale (...) il faut que l'Europe se groupe pour donner des moyens financiers à l'Italie pour affréter des bateaux pour les reconduire dans les pays d'origine." (...)

"Je le dis avec courage, les Français ne sont pas prêts à baisser leurs prestations sociales et leur couverture sociale pour financer" cette immigration.



Je suppose que ces deux femmes de cœur trouveraient qu'il y a quelque indécence à juxtaposer leurs courageuses déclarations et ce communiqué :

Monsieur Kanouté Tiéni est mort mardi 8 mars 2011 à l’âge de 47 ans,
des suites de son hépatite B chronique et des politiques migratoires françaises

Le décès de Monsieur Kanouté Tiéni, renvoyé au Mali malgré de graves problèmes de santé, intervient au moment décisif où le gouvernement tente de supprimer le droit au séjour pour soins des étrangers gravement malades, résidant en France, sans accès effectif aux soins dans leur pays d’origine.

Originaire de la région de Kayes, Monsieur Kanouté Tiéni arrive en France en 2002 après 12 ans passés au Gabon et un parcours migratoire qui a duré 8 mois à travers le Sahara, l’océan Atlantique et l’Espagne. En février 2008, il est arrêté lors d’un contrôle de routine et expulsé le 4 mars suivant vers Bamako, plus de 18 ans après avoir quitté son pays d’origine. Le diagnostic d’hépatite B chronique active a été posé dans le cadre d’un bilan de santé réalisé au Comede en 2003. Ce qui conduira à la décision de démarrer un traitement antiviral en 2005. Après un refus de délivrance d’une carte de séjour pour raison médicale en 2005, il est expulsé au Mali en 2008, deux jours avant un rendez-vous à l’hôpital.


A Bamako, son suivi médical se poursuit tant bien que mal au CHU Gabriel Touré, essentiellement basé sur une surveillance clinique. En effet, les traitements antiviraux pour une hépatite B chronique sont disponibles de façon intermittente au Mali mais non accessibles dans le système public. Par ailleurs, les examens biologiques spécialisés, notamment la quantification du virus, ne sont qu’exceptionnellement disponibles. Le dernier bilan biologique pratiqué en mars 2010 confirme que l’hépatite reste très active. Il y a trois mois, l’altération de son état général impose une hospitalisation qui n’a pu être possible : sa famille ne pouvait le veiller comme c’est la règle au Mali. Monsieur Kanouté décide alors de rentrer vers sa région d’origine, après un voyage de plus de 10 heures, et quitte ce monde entouré de ses parents.


Son décès survenu trois ans après son expulsion met bien en lumière la période de progression d’une maladie chronique insuffisamment prise en charge et non traitée.
Monsieur Kanouté travaillait au sein de l’Association Malienne des Expulsés. Son histoire a pu nous parvenir. On ne connaît pas le nombre de patients expulsés atteints de maladie grave où le pronostic est engagé à plus ou moins long terme, et qui meurent prématurément dans la plus grande indifférence.

L’histoire de Monsieur Kanouté met en exergue les conséquences dramatiques des politiques migratoires et la façon dont la mise en application d’un système déshumanisé conduit à la mort.

Aujourd’hui, 28 000 étrangers malades, risquent eux aussi l’expulsion et l’interruption brutale de leurs soins. Le 10 mars, l’Assemblée Nationale française a voté une disposition de la loi Immigration qui autorise le renvoi des étrangers gravement malades dans leur pays d’origine. Le droit au séjour pour soins vit peut-être ses derniers jours.


Nous appelons les élus, médecins, chercheurs, militants… à rester mobilisés pour sauvegarder ce droit fondamental et éviter que cette tragédie ne devienne un fait divers ordinaire.


L’Association Malienne des Expulsés (A.M.E) avec l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (O.D.S.E)
Signataires: Act Up-Paris, AFVS, AIDES, Cimade, Comede, COMEGAS, Créteil Solidarité, FTCR, LDH, Médecins du Monde, MRAP

Malgré sa maladie, monsieur Kanouté Tiéni a eu le cœur et le courage de continuer à travailler au sein de l'Association Malienne des Expulsés, aux côtés de ses camarades.

Il n'y a donc aucune indécence à faire un lien entre sa disparition et l'ignominie de la réforme du droit de séjour pour soins votée le 10 mars dernier, en seconde lecture, à l'Assemblée nationale.

Au lendemain de ce vote, Médecins du Monde publiait ce communiqué qui détaille parfaitement la manœuvre parlementaire :


LES ÉTRANGERS MALADES CONDAMNÉS À MORT

L’Assemblée Nationale a adopté en deuxième lecture la modification de l’article 17-ter remettant en cause le droit au séjour pour raison médicale Alors que le Sénat l’avait repoussé en première lecture, les députés viennent le 10 mars d’approuver la mesure qui modifie le droit au séjour pour raison médicale, lors du second passage du projet de loi immigration à l’Assemblée Nationale.

Depuis 1998, un étranger gravement malade résidant en France est protégé contre toute mesure d’expulsion et peut obtenir une carte de séjour s’il ne bénéficie pas d’un « accès effectif » au traitement dans son pays d’origine. Ce dispositif concerne 28 000 personnes (chiffre stable depuis 2006), soit 0,8 % des étrangers vivant en France.


Le texte approuvé aujourd’hui par les députés remplace cette notion d’« accès effectif » au traitement par celle de « disponibilité ». Ce qui remet fondamentalement en cause ce droit.

En effet, ce n’est pas parce qu’un traitement est « disponible » dans un pays qu’il y est « accessible ». Ruptures de stocks, inexistence de couverture maladie, insuffisance de l’offre quantitative et qualitative de soins, prix prohibitifs des traitements ou encore manque de personnel soignant peuvent entraver l’accès effectif aux soins.

Par ce seul mot inséré dans la loi, « indisponibilité », la vie de milliers de personnes est donc mise en danger. Rupture de traitements avec apparition de résistances, retard dans le recours aux soins, arrêt de prises en charge, mise en danger global de personnes déjà très vulnérables, stigmatisation – ce sont tous les principes de l’éthique médicale qui sont délibérément écartés.


Ce texte va repasser au Sénat en deuxième lecture. Médecins du Monde demande instamment aux sénateurs le maintien de la loi dans ses termes actuels.


Renvoyer un étranger gravement malade dans son pays, c’est le condamner à mort.


Cliquez sur l'image pour accéder au site de la campagne "Un mot, des morts".

lundi 14 mars 2011

Le savoir-faire nucléaire français

Pour donner en direct la réplique au séisme nippon et à l'accident collatéral que, selon toute vraisemblance, il a provoqué dans plusieurs réacteurs nucléaires du Japon, l'Élysée et Matignon n'ont pas hésité à mobiliser leurs meilleurs spécialistes et à les envoyer devant tous les micros ouverts. On a pu ainsi entendre, pour le plus grand agrément de notre ouiquende, un trio d'excellence constitué de madame Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Écologie, monsieur Eric Besson, ministre de l'Énergie, et monsieur Henri Guaino, plume de paon présidentielle.


Très professionnelle, la ministre de l'Écologie a déclaré, face à Dominique Voynet :

"Il faut se poser toutes les questions, mais l'énergie nucléaire reste une bonne énergie-base décarbonée."

("énergie-base décarbonée", c'est une bien belle expression, j'aimerais l'avoir trouvée...)

Très en verve, Nathalie Kosciusko-Morizet a lancé cette formule, d'une agréable profondeur :

"La seule énergie qui ne pose pas problème, c'est celle qu'on ne consomme pas."

Les générations futures tiennent là le sujet d'une discussion qui pourra meubler leurs longues soirées d'hiver...


Aussi peu informé que sa collègue, le ministre de l'Énergie a choisi d'éviter la tonalité désuète de la raffarinade. Il a préféré, comme il en a l'habitude quand il n'a rien à dire, ergoter sur le vocabulaire en soulignant la distance, essentielle à ses yeux, qui existe entre un "accident grave" et une "catastrophe"...

Conscient, cependant, de ses hautes responsabilités face à ses "concitoyens", il a tenu, pour les rassurer, à "dire et redire (...) que toutes les centrales (françaises) ont été conçues en intégrant les risques sismiques et d'inondation".

Il aurait pu dire que, très probablement, les installations japonaises ont également été conçues avec d'identiques bonnes intentions...

Les générations futures, si elles en ont le loisir, pourront s'interroger, durant leurs longues soirées d'hiver, sur la question de savoir si la présence d'Éric Besson à un poste de gouvernement a été un "accident grave" ou une "catastrophe".



Aucun des deux ministres n'a omis de signaler et de souligner le souci de sécurité qui caractérise les professionnels de l'industrie nucléaire de notre pays.

Mais il revenait à monsieur Henri Guaino, conseiller spécial du président Nicolas Sarkozy, de célébrer avec le plus d'à-propos, de tact et d'éclat le savoir-faire national en matière de sécurité nucléaire...

Sa fatuité Henri Guaino, invité de l'émission "Le Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro", a estimé que "l'accident nucléaire au Japon pourrait favoriser l'industrie française dont la sécurité est une marque de fabrique".

Prié de dire si les événements au Japon auraient un impact négatif sur cette filière, il a répondu : "Je ne crois pas." "Je dirais même le contraire puisque précisément la France s'est surtout manifestée par son souci de la sécurité". (...)

"Donc, je crois que ça devrait plutôt favoriser notre industrie nucléaire par rapport aux industries d'autres pays où la sécurité est passée au peu plus au second plan."

Ces déclarations ont été rapportées, par Reuters, sous un titre prémonitoire : Accident nucléaire : Areva favorisé ?

Confirmation de la prescience du conseiller présidentiel, le titre Areva à perdu 9,61 % aujourd'hui auprès des boursicoteurs parisiens... Autant vous dire que cette triste nouvelle ne perturbe pas trop mon système de refroidissement.

Il faut espérer que madame Anne Lauvergeon, présidente d'Areva, a pensé à envoyer quelques éminents commerciaux dans le groupe de sauveteurs français qui vient d'arriver au Japon. Il y avait là une "opportunité", non ?

dimanche 13 mars 2011

Le galop infatigable des mots

Words, daté du 1er février 1963, est l'un des derniers poèmes écrits par Sylvia Plath, qui s'est suicidée le 11 février 1963.

Il ne pouvait figurer parmi les textes que Sylvia Plath avait sélectionnés, au mois de novembre précédent, pour composer le recueil qu'elle avait finalement intitulé Ariel and other poems.

Ted Hughes, pour le volume qu'il a fait publier sous ce titre après la mort de sa femme, a largement modifié le plan initial, y incluant les tout derniers poèmes. Il a accordé à Words la place de l'accord final.

Words

Axes

After whose stroke the wood rings,
And the echoes!
Echoes traveling
Off from the center like horses.

The sap
Wells like tears, like the
Water striving
To re-establish its mirror
Over the rock

That drops and turns,
A white skull,
Eaten by weedy greens.
Years later I
Encounter them on the road –

Words dry and riderless,
The indefatigable hoof-taps.
While
From the bottom of the pool, fixed stars

Govern a life.



Traduction de Patricia Godi, dans Ariel, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2004 :

Mots

Haches

Au coup desquelles le bois vibre,

Et les échos !
Échos qui surgissent
Du centre comme des chevaux.

La sève

Monte comme des larmes, comme
L'eau luttant
Pour rétablir son miroir
Sur le roc

Qui s'effrite et s'éboule,

Crâne blanc,
Que la mauvaise herbe ronge.
Des années plus tard je
Les croise sur la route

Mots assoiffés, sans cavaliers,
Et le fracas infatigable des sabots.
Tandis que
Du fond de l'étang, de fixes étoiles
Gouvernent une vie.


Traduction de Valérie Rouzeau, Ariel, éditions Gallimard, 2009 :

Les mots

Haches

Qui cognent et font sonner le bois,
Retentir les échos !
Échos partis
Gagner les lointains comme des chevaux.

La sève
Comme des larmes coule comme
L'eau s'évertue
A rétablir son miroir
Au-dessus du rocher

Effondré, retourné,

Crâne blanc
Que mord la mauvaise herbe.

Après des années je
Les retrouve sur le chemin

Secs, sans cavalier, les mots
Et leur galop infatigable
Quand
Depuis le fond de l'étang, les étoiles

Régissent une vie.



Un galop infatigable est le titre choisi par Valérie Rouzeau pour sa présentation d'un choix de poèmes de Sylvia Plath paru en 2003 chez Jean-Michel Place.


PS : On peut trouver un grand nombre de poèmes de Sylvia Plath sur le site de l'université de Stanford.