mardi 15 mars 2011

Le cœur et le courage

L'une affirme avoir "aussi du cœur", l'autre affiche son "courage", deux femmes à la parole libérée prétendent dire ce que nous penserions tout bas.

(Pas moi, je vous assure...)

Madame Marine Le Pen, devant deux migrants "illégaux", au cours de son déplacement à grand spectacle sur l'île de Lampedusa :

"J'ai beaucoup de compassion pour vous, j'ai aussi du cœur, mais l'Europe n'a pas la capacité de vous accueillir. Nous n'avons plus les moyens financiers."

Madame Chantal Brunel, selon l'AFP, sur Public Sénat :

"La France ne peut pas accueillir l'immigration économique illégale (...) il faut que l'Europe se groupe pour donner des moyens financiers à l'Italie pour affréter des bateaux pour les reconduire dans les pays d'origine." (...)

"Je le dis avec courage, les Français ne sont pas prêts à baisser leurs prestations sociales et leur couverture sociale pour financer" cette immigration.



Je suppose que ces deux femmes de cœur trouveraient qu'il y a quelque indécence à juxtaposer leurs courageuses déclarations et ce communiqué :

Monsieur Kanouté Tiéni est mort mardi 8 mars 2011 à l’âge de 47 ans,
des suites de son hépatite B chronique et des politiques migratoires françaises

Le décès de Monsieur Kanouté Tiéni, renvoyé au Mali malgré de graves problèmes de santé, intervient au moment décisif où le gouvernement tente de supprimer le droit au séjour pour soins des étrangers gravement malades, résidant en France, sans accès effectif aux soins dans leur pays d’origine.

Originaire de la région de Kayes, Monsieur Kanouté Tiéni arrive en France en 2002 après 12 ans passés au Gabon et un parcours migratoire qui a duré 8 mois à travers le Sahara, l’océan Atlantique et l’Espagne. En février 2008, il est arrêté lors d’un contrôle de routine et expulsé le 4 mars suivant vers Bamako, plus de 18 ans après avoir quitté son pays d’origine. Le diagnostic d’hépatite B chronique active a été posé dans le cadre d’un bilan de santé réalisé au Comede en 2003. Ce qui conduira à la décision de démarrer un traitement antiviral en 2005. Après un refus de délivrance d’une carte de séjour pour raison médicale en 2005, il est expulsé au Mali en 2008, deux jours avant un rendez-vous à l’hôpital.


A Bamako, son suivi médical se poursuit tant bien que mal au CHU Gabriel Touré, essentiellement basé sur une surveillance clinique. En effet, les traitements antiviraux pour une hépatite B chronique sont disponibles de façon intermittente au Mali mais non accessibles dans le système public. Par ailleurs, les examens biologiques spécialisés, notamment la quantification du virus, ne sont qu’exceptionnellement disponibles. Le dernier bilan biologique pratiqué en mars 2010 confirme que l’hépatite reste très active. Il y a trois mois, l’altération de son état général impose une hospitalisation qui n’a pu être possible : sa famille ne pouvait le veiller comme c’est la règle au Mali. Monsieur Kanouté décide alors de rentrer vers sa région d’origine, après un voyage de plus de 10 heures, et quitte ce monde entouré de ses parents.


Son décès survenu trois ans après son expulsion met bien en lumière la période de progression d’une maladie chronique insuffisamment prise en charge et non traitée.
Monsieur Kanouté travaillait au sein de l’Association Malienne des Expulsés. Son histoire a pu nous parvenir. On ne connaît pas le nombre de patients expulsés atteints de maladie grave où le pronostic est engagé à plus ou moins long terme, et qui meurent prématurément dans la plus grande indifférence.

L’histoire de Monsieur Kanouté met en exergue les conséquences dramatiques des politiques migratoires et la façon dont la mise en application d’un système déshumanisé conduit à la mort.

Aujourd’hui, 28 000 étrangers malades, risquent eux aussi l’expulsion et l’interruption brutale de leurs soins. Le 10 mars, l’Assemblée Nationale française a voté une disposition de la loi Immigration qui autorise le renvoi des étrangers gravement malades dans leur pays d’origine. Le droit au séjour pour soins vit peut-être ses derniers jours.


Nous appelons les élus, médecins, chercheurs, militants… à rester mobilisés pour sauvegarder ce droit fondamental et éviter que cette tragédie ne devienne un fait divers ordinaire.


L’Association Malienne des Expulsés (A.M.E) avec l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (O.D.S.E)
Signataires: Act Up-Paris, AFVS, AIDES, Cimade, Comede, COMEGAS, Créteil Solidarité, FTCR, LDH, Médecins du Monde, MRAP

Malgré sa maladie, monsieur Kanouté Tiéni a eu le cœur et le courage de continuer à travailler au sein de l'Association Malienne des Expulsés, aux côtés de ses camarades.

Il n'y a donc aucune indécence à faire un lien entre sa disparition et l'ignominie de la réforme du droit de séjour pour soins votée le 10 mars dernier, en seconde lecture, à l'Assemblée nationale.

Au lendemain de ce vote, Médecins du Monde publiait ce communiqué qui détaille parfaitement la manœuvre parlementaire :


LES ÉTRANGERS MALADES CONDAMNÉS À MORT

L’Assemblée Nationale a adopté en deuxième lecture la modification de l’article 17-ter remettant en cause le droit au séjour pour raison médicale Alors que le Sénat l’avait repoussé en première lecture, les députés viennent le 10 mars d’approuver la mesure qui modifie le droit au séjour pour raison médicale, lors du second passage du projet de loi immigration à l’Assemblée Nationale.

Depuis 1998, un étranger gravement malade résidant en France est protégé contre toute mesure d’expulsion et peut obtenir une carte de séjour s’il ne bénéficie pas d’un « accès effectif » au traitement dans son pays d’origine. Ce dispositif concerne 28 000 personnes (chiffre stable depuis 2006), soit 0,8 % des étrangers vivant en France.


Le texte approuvé aujourd’hui par les députés remplace cette notion d’« accès effectif » au traitement par celle de « disponibilité ». Ce qui remet fondamentalement en cause ce droit.

En effet, ce n’est pas parce qu’un traitement est « disponible » dans un pays qu’il y est « accessible ». Ruptures de stocks, inexistence de couverture maladie, insuffisance de l’offre quantitative et qualitative de soins, prix prohibitifs des traitements ou encore manque de personnel soignant peuvent entraver l’accès effectif aux soins.

Par ce seul mot inséré dans la loi, « indisponibilité », la vie de milliers de personnes est donc mise en danger. Rupture de traitements avec apparition de résistances, retard dans le recours aux soins, arrêt de prises en charge, mise en danger global de personnes déjà très vulnérables, stigmatisation – ce sont tous les principes de l’éthique médicale qui sont délibérément écartés.


Ce texte va repasser au Sénat en deuxième lecture. Médecins du Monde demande instamment aux sénateurs le maintien de la loi dans ses termes actuels.


Renvoyer un étranger gravement malade dans son pays, c’est le condamner à mort.


Cliquez sur l'image pour accéder au site de la campagne "Un mot, des morts".

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Quand jugerons-nous (nous le peuple, nous les citoyens) ENFIN les lâches criminels qui sèment la haine, l’exclusion et la mort ? Tiens ! Ce sont les mêmes qui empoisonnent la planète. Quel hasard !

Bert.

Floréale a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Guy M. a dit…

Il s'agit peut-être moins de les juger que de les faire dégager... Quitte à les abandonner sur un radeau au milieu de la Méditerranée.