Indubitablement, la question mérite d'être posée.
Et je ne doute pas qu'un jour viendra où la république de la pensée me reconnaîtra le mérite de l'avoir abordée sans louvoyer.
Il faut préciser tout de suite, afin de lever toute ambigüité et puisque deux penseurs illustres honorent la même série d'initiales, que je parle ici du plus méconnu des deux: Jean-Baptiste Botul (1).
Oui, faut-il brûler Jean-Baptiste Botul ?
C'est en lisant la pathétique tentative d'intervention de madame Ségolène Royal dans l'affaire "BHL/JBB", publiée par le quotidien Le Monde, que cette question s'est imposée à la sagacité de mon esprit.
de La vie sexuelle d'Emmanuel Kant, d'après Jean-Baptiste Botul.
Cette tribune, vigoureusement intitulée BHL, François Mitterrand, la meute et moi, m'a cueilli à froid au retour d'une excursion aveyronnaise exclusivement consacrée aux plaisirs de l'amitié et de la bonne chère. Non loin de Villefranche-de-Rouergue (2), où Jean-Baptiste Botul connut, "flânant sous les arcades et miné par le spleen", son épiphanie du fromage de tête, et probablement conçut cette Ode au fromage de tête dont il abandonna la composition à Capdenac (3) "après quelques strophes bien venues", j'ai assisté, à titre d'observateur indépendant, à un atelier de mise en boîtes et en toupines de divers produits du gavage local tels les foies gras et quartiers confits.
J'avais emporté, dans ma valise à roulettes (4), un exemplaire de La Métaphysique du Mou, de JBB, dont le texte a été établi et annoté par Jacques Gaillard pour les éditions Mille et une nuits (2007), et je pus ainsi me livrer à de profondes méditations sur la pertinence, et la richesse, du concept de mouité introduit par ce grand penseur.
A force de méditer, j'en suis venu à regretter que, par de subtils détours, la révélation du fromage de tête de Villefranche-de-Rouergue ait amené Botul à mettre sa phénoménologie de la mouité à l'épreuve, par tripotage, dans les salons du Chabanais (5), et non dans les cuisines du Rouergue, ou d'une autre région où l'on pratique la suralimentation des anatidés domestiques. Là, il aurait pu travailler sur le paradigme du foie gras cru...
Je suis persuadé que les conséquences en auraient été considérables, voire même renversantes pour certaines conclusions du fragment 18.
donnant des précisions centimétriques
sur la vie sexuelle de Jean-Baptiste Botul.
On comprendra aisément que la lecture du plaidoyer pro-BHL de madame Ségolène Royal m'ait été comme une volée de bois vert.
Au point d'avoir l'idée de brûler toutes les œuvres de JBB, cet "auteur sous pseudonyme" qui aurait "prétendument piégé" l'estimé BHL...
Dans cet article, vraisemblablement écrit de sa main, tant le style nunuche en est affirmé (6), madame Royal nous informe qu'en pleine campagne électorale dans sa région poitevine, elle trouve encore le temps de lire les "mille trois cents et quelques pages" de Pièces d'identité (Grasset, 2010) que monsieur Bernard-Henri Lévy a livrées à son éditeur, qui les a fait imprimer.
Et la voilà tout étourdie de cette clinquante érudition !
Et elle s'insurge contre cette "incroyable chasse à l'homme déclenchée contre lui" par une meute de "roquets":
C'est drôle, quand même, tous ces roquets qui lui reprochent une ligne sur le désormais fameux "Botul" et qui, avec ce reproche, tiennent ou croient tenir une bonne raison de "trapper" Spinoza, Althusser, le psychanalyste Jacques Lacan, le charismatique commandant Massoud ou le mystérieux Emmanuel Levinas !
On fera dire à madame Royal que la meilleure manière de ne pas "trapper" Spinoza, Althusser, Lacan ou Levinas est de les lire, au lieu de perdre son temps à lire BHL.
Après avoir béé d'admiration, madame Royal termine en invoquant le témoignage de François Mitterrand soi-même:
Qu'il me soit permis, pour finir, de citer un texte qui n'est ni de Lévy ni de moi, mais d'un illustre socialiste.
Les amateurs de gonflette intellectuelle y retrouveront avec plaisir ce style ampoulé et chafouin dont notre "illustre socialiste" faisait grand usage pour ne rien dire.
Il n'en dit pas plus, en effet, sur le jeune BHL qu'il rencontra "alors qu'il venait d'entrer à Normale supérieure", c'est-à-dire à l'époque où monsieur Bernard-Henri Lévy commençait, avec l'aide de quelques relations utiles, de fabriquer son personnage pour s'établir sur la scène littéraire. En pressentant (prétendument) "en ce jeune homme grave le grand écrivain qu'il sera", François Mitterrand note:
Peut-être me trompé-je, peut-être cédera-t-il aux séductions du siècle au-delà du temps qu'il faut leur accorder. J'en serais triste.
Quelques années plus tard, Pierre Vidal-Naquet, jugeait les "perles" de BHL "dignes d'un médiocre candidat au baccalauréat", autrement dit d'un potache qui veut nous bourrer le mou.
Je n'ai évidemment pas brûlé les œuvres de Botul, qui, contrairement à BHL, est un personnage littéraire parfaitement réussi, et qui mérite une longue vie posthume, intelligemment ouvragée par Frédéric Pagès, Jacques Gaillard, Christophe Clerc et Bertrand Rothé, ainsi que l'A2JB2 (Association des Amis de Jean-Baptiste Botul).
Notes:
(1) Certes, la notoriété de JBB-Botul ne fait que croître ces derniers temps grâce aux efforts combinés d'Aude Lancelin et de la société des derniers amis de BHL, mais une simple vérification matinale sur l'indispensable gougueule m'a assuré qu'à la requête "JBB" l'universel moteur de recherche retournait JBB-Article XI en quatrième position, juste après le Journal of Biomedicine and Biotechnology, en oubliant ce pauvre Jean-Baptiste Botul... On ne peut rien contre un Charançon, surtout libéré !
(2) Je ne peux que reprendre l'éclairante note de bas de page de Jacques Gaillard, responsable de l'édition de La Métaphysique du Mou, de Jean-Baptiste Botul, où cet important épisode est relaté: "Villefranche-de-Rouergue, ville franche située dans le Rouergue (Aveyron)."
(3) Jacques Gaillard, et je le regrette fort, ne s'est pas donné la peine de déterminer de quel Capdenac parlait Botul. Il me semble pourtant de première importance de savoir s'il s'agit de Capdenac-Gare, de Capdenac-Port, de Capdenac-Ville ou encore de Capdenac-le-Haut, où quelques irréductibles érudits locaux placent les restes d'Uxellodunum. Les divers Capdenac sont situés dans le département du Lot.
(4) Cet objet, devenu commun, fut largement prophétisé par notre JBB, qui cependant concluait: "La valise à roulettes est une utopie." Fragment numéro 30, et dernier, de la liasse A287 publiée sous le titre La Métaphysique du Mou.
(5) Il n'est sans doute pas inutile de préciser, pour les lecteurs/trices en bas-âge, que le Chabanais était un claque de grand luxe, ouvert en 1878 par madame Kelly, et fermé en 1946 par madame Marthe Richard, qui vécut, en 1913, une liaison romantique avec Jean-Baptiste Botul.
(6) Citons au hasard: "cette réflexion sur le Mal dont ce serait tellement bien que s'inspirent les politiques..." Oh oui alors, ce serait tellement-tellement chouette !