samedi 13 février 2010

Un ministre d'exception

Ce projet de loi créé pour les étrangers un régime d'exception en matière de droits.

Stéphane Maugendre,
président du Groupe d'information de soutien aux immigrés (Gisti).



En débauchant avec dextérité le sinistre monsieur Besson, monsieur Nicolas Sarkozy a décidément débusqué une personnalité re-mar-qua-ble et une tête politique d'exception.

Qui vient d'ailleurs de passer un début de semaine exceptionnel.

Après avoir évité à la France l'installation d'un nouveau Sangatte au cœur de la ville de Calais, et vilipendé ces "militants violents d'extrême-gauche" que sont les No Border, après avoir assisté à l'enterrement sous une commission de son Grand Débat et dû y maintenir fière figure, après avoir démenti la rumeur de sa conversion à l'Islam et envisagé son énième dépôt de plainte pour atteinte à sa vie privée, après avoir confondu en off dans les studios de RMC, "kärcher" et "kalachnikov" et prétendu être dans une "séquence délire et provocation", on peut espérer que monsieur Besson a pu venir tranquillement mettre les pieds sous la table du conseil des ministres du mercredi matin.

Je n'émettrai aucune hypothèse sur ses occupations privées durant la journée de jeudi.

Mais, comme tout le monde, j'ai assisté, dans la journée d'hier, au rebond de notre ministre, avec le lancement médiatique de sa mouture du projet de loi sur les expulsions.

Le Monde, à qui l'avant-projet a dû être aimablement communiqué en avant-première, feint se l'être "procuré" et en rend compte fidèlement dans un article signé de Laetitia Van Eeckhout.

De son côté, Le Figaro publie un court entretien avec monsieur Besson...

Les sous-titres de l'article du Monde donnent la table des matières de la loi envisagée, qui sera présentée en mars en conseil des ministres:

Création de zones d'attente ad hoc.
Accélération du processus d'éloignement.
Création d'une interdiction de retour sur le territoire français.
Affaiblissement du rôle du juge des libertés et de la détention.
Amélioration des droits des travailleurs sans-papiers.
Lutte contre le travail illégal.
Création d'une "carte bleue européenne"("carte de séjour temporaire").

Si le choix de la date de cette opération de pré-communication semble avoir été guidé par les impératifs électoralistes, ce que recouvre ce projet n'est pas à prendre à la rigolade.

Car, même avec un nœud de cravate à la six-quatre-deux,
monsieur Besson ne rigole que par exception...


Devant la tombe où le Grand Débat remuera encore quelque temps, les banalités de base de monsieur Verhofstadt sont peut-être suffisantes, mais assurément pas devant les premiers vagissements d'une loi qui instituera, de manière effective, un "régime d'exception" dans le traitement des étrangers.

Le vague concept de "société ouverte", si cher à l'ancien premier ministre belge, qui se dit inspiré par Amartya Sen et Karl Popper, a bien des avantages euphoniques en rhétorique, mais est d'une regrettable inconsistance en philosophie.

Pour mener une réflexion sérieuse sur le sujet, il faudra sans doute aller chercher une pensée plus solide.

Je pense à celle de notre contemporain capital, et radical, Giorgio Agamben dont il temps de lire, ou de relire, Etat d'exception, premier volume de la deuxième partie d'Homo Sacer.

Ce livre est paru en juin 2003, dans une traduction de Joël Gayraud, aux éditions du Seuil, dans la collection L'Ordre philosophique.

Je copicolle la quatrième de couverture:

L'état d'exception, que nous avons coutume d'envisager comme une mesure toute provisoire et extraordinaire, est en train de devenir sous nos yeux un paradigme normal de gouvernement, qui détermine toujours davantage la politique des états modernes. Cet essai se propose de reconstruire l'histoire du paradigme, et d'analyser le sens et les raisons de son évolution actuelle - de Hitler à Guantanamo. Il faut bien voir en effet que, torque l'état d'exception devient la règle, les équilibres fragiles qui définissent les constitutions démocratiques ne peuvent plus fonctionner, la différence même entre démocratie et absolutisme tend à s'estomper.

Démontant une par une les théorisations juridiques de l'état d'exception, Giorgio Agamben défriche le terrain vague entre politique et droit, et jette une nouvelle lumière sur la relation occulte qui lie la violence au droit.

Pour ceux/celles que 150 pages de la belle et substantielle prose* d'Agamben pourraient effrayer (j'en connais...), ils/elles peuvent retrouver ici le point de vue que le journal Le Monde avait publié en décembre 2002, qui introduit aux développements du livre.

Giorgio Agamben, conférence à la European Graduate School en 2009.
(Copyright: Hendrik Speck.)



4 commentaires:

Abie a dit…

Bon sang mais c'est bien sûr !
En entendant l'annonce de la décision d'oHortefeux, je n'y avais pas spontanément pensé, mais la pertinence d'Homo Sacer est incontestable, et proprement glaçante...

Guy M. a dit…

Hortefeux ou Besson ?

Enfin, peu importe, cela reste dans la famille.

iGor a dit…

Osons un mot-mix-valise: BHortefesson.

Hommes d'exception, régimes d'exception, l'exception qui confirme la règle: l'Etat sans loi ni loi (parce que le foie, hein...) a fait tombé son masque d'Etat de droit.

Un petit exemple de BHortefessionnerie helvétique:
http://www.lecourrier.ch/index.php?name=NewsPaper&file=article&sid=444967

bien à vous...

Guy M. a dit…

Et moi qui croyais que le droit suisse était régl(ement)é comme une horloge...