mardi 31 mai 2011

Le miraculeux modèle allemand

Depuis plus d'un demi-siècle, un spectre hante les grands esprits libérés de l'Europe libérale.

De temps à autre, on les voit sauter sur leurs chaises comme des cabris en disant l'Allemagne ! l'Allemagne ! l'Allemagne !

En croyant que cela finira par aboutir à quelque chose.

Les chercheurs associés de l'Institut Thomas More* viennent de se livrer à ce capricant exercice en publiant une étude intitulée, sans ambiguïté, 163 milliards de plus... Analyse comparative de la dépense publique en France et en Allemagne.

Les Échos saluent cette heureuse et salutaire initiative par un article dont le titre et le chapeau disent déjà à quel distance critique il se place:

Dépenses publiques : le grand écart franco-allemand persiste

L'Institut Thomas More détaille les surcoûts des politiques menées dans l'Hexagone. Selon cette étude, une grande réforme de l’État reste à faire. Et la comparaison avec l'Allemagne avancée par l’Élysée ne doit pas se focaliser sur la fiscalité.


Une illustration accompagne ce texte échotier, bien conçue pour montrer l'ampleur du "grand écart"...

Ça fait peur, non ?
(Mais commencez la graduation de l'axe vertical à zéro,
et choisissez une unité en conséquence,
vous verrez tout cela devenir moins impressionnant.)


Ceux qui voudraient se rendre compte de ce qui est suggéré dans cette "analyse" pour faire aller encore plus mal ce qui ne va déjà pas très bien pourront consulter le billet du blogue journalistique "Contes publics", de Philippe Le Coeur, qui détaille la féconde comparaison des deux systèmes d'éducation. Les chercheurs-renifleurs de l'ITM sont tombés en arrêt devant une mirifique "poche d'économies substantielles".

Dans ce dernier domaine, le laboratoire d'idées estime possible des économies d'un peu plus de 10 milliards d'euros. Comment ? En se rapprochant des "standards allemands" en ce qui concerne "les dépenses publiques par établissement" et "les effectifs par établissement". C'est-à-dire en réduisant le nombre d'établissements scolaires, dans le primaire et le secondaire.

Trop timide sans doute, les laborantins d'idées n'ont pas chiffré le montant des économies réalisables en supprimant tous les établissements scolaires publics.

Il doit y avoir là beaucoup plus qu'une "poche", tout de même...

Au moins un grand fourre-tout multipoche...

Le seul espoir que nous puissions nourrir est de voir se détériorer l'image de ce fameux modèle allemand dont la transplantation en nos contrées est présentée de manière si prometteuse.

Et cela me semble en très bonne voie.

Car enfin de quoi aura l'air le miracle économique allemand, vers 2022, quand l'Allemagne sera, comme on dit, "sortie du nucléaire", dont on ne sort jamais ?

Ils auront sûrement l'air enviable les miraculés modèles, s'éclairant à la bougie, ou même se chauffant à la bougie, tout en mesurant au pèse-lettre leurs émissions carbone ?

Alors que nous, peinards, jetant l'argent par les fenêtres toujours ouvertes, même en plein hiver, nous aurons nos EPR à tous les coins de rue, et peut-être aussi en version portable, avec musique et écouteurs intégrés.

Car

"L'EPR est le réacteur nucléaire le plus sûr du monde."

C'est monsieur Eric Besson qui l'a dit.

Et c'est un homme à qui on peut faire confiance.


* Les deux lecteurs qui suivent ce blogue depuis sa création - en fait, il s'agit d'une lectrice et d'un lecteur - savent que j'ai déjà consacré un billet, entièrement fait à la main, sur l'ITM, à l'occasion de la publication de leur bulletin de note nommé "Baromètre des réformes de Nicolas Sarkozy". L’Institut s'amuse à ce petit jeu tous les 6 mois... Le huitième bulletin vient de sortir, avec cette appréciation, aussi inspirée que celles qu'on trouve sur certains relevés de notes particulièrement désespérants : "un an pour convaincre..."

dimanche 29 mai 2011

Toute une culture menacée

Officiellement, la loi - ou un ensemble de lois successives : Pleven (1972), Gayssot (1990), Lellouche (2001), Perben (2004), et j'en oublie sans doute - interdit la culture de ce chiendent de la pensée qu'est le racisme. Le fait que le législateur ait tenu à revenir sur cette question au moins quatre fois dit assez à quel point cette "chose" est enracinée.

Malgré l'incontestable "libération de la parole" raciste et xénophobe qui envahit le discours public, on n'a pas l'impression que ces lois soient appliquées avec le même entrain que certaines autres dont le consensus aime à proclamer "la loi, c'est la loi"...

Contrôlés ou non, les "dérapages" sont souvent "retirés" et l'on peut voir l'auteur présenter de piètres excuses à celles et ceux qu'il aurait pu blesser (ou choquer, selon inspiration) tout en drapant son inexistante dignité dans la belle étoffe de la liberté d'expression (ou d'opinion, selon illumination). On voit aussi de petits teigneux particulièrement coriaces maintenir leurs propos jusqu'au tribunal et chercher, sans complexes, à élever le débat à un niveau stratosphérique : celui où l'on discute non pas de liberté d'opinion, mais de liberté de dire la vérité. Ceux-là savent qu'ils pourront toujours, en valeureux pourfendeurs de la "pensée unique" (ou de la bienpensance humanitariste, selon exaltation), être invités par la Convention Nationale des Réformateurs Libéraux pour y disserter publiquement, et sous les applaudissements, des "lois liberticides".

On dit que monsieur Eric Zemmour sera écarté d'une émission hautement culturelle diffusée sur France 2 à la rentrée prochaine. Le prétexte officiellement invoqué est le tempérament cyclothymique de l'animateur en chef : "J’ai plaisir à casser les habitudes", a dit celui-ci, en expliquant "cette décision [qui] vient de [lui] unilatéralement", et sans doute aussi, n'en doutons pas, personnellement. Avec une pirouette aussi nulle que celle-là, tous les admirateurs du briseur de tabous sont évidemment persuadés qu'il a été puni de ses audaces.

C'est vrai qu'il a l'air tout puni, le pauv'ti père...

Hors de ces domaines de la culture savante, se développe toute une littérature, semblable à cette littérature de colportage de l'époque des Lumières dont on a repéré l'importance dans la construction des mentalités... Si, le plus souvent, c'est l'internet qui la véhicule, elle réapparaît occasionnellement ici ou là.

Quand elle se trouve placardée "sur un tableau de service d'une gendarmerie de La Réunion", cela peut alerter le préfet, qui alors peut être amené "à suspendre un commandant de brigade et à saisir la justice".

(Là-dessus, voir la dépêche AFP, et divers articles sur Clicanoo.re, qui permettent de suivre le fil de cette histoire.)

Les deux affichettes sur le "Niktamère", qui ont provoqué l'ire du préfet, ne sont probablement pas récentes. Je ne les ai jamais reçues dans ma boîte à courriels - mes ami(e)s sont choisi(e)s -, mais j'imagine que ce genre de chose doit s'échanger avec accompagnement de smileys appropriés au désopilant de l'envoi...

Cependant la fiche signalétique du gibier était accompagnée, sur le panneau de la gendarmerie de l'avertissement :

Ne pas en rire c'est grave, à lire entièrement. / Bonne journée quand même.

Illustration en provenance du site de Clicanoo.

Une courte recherche devrait mener les curieux à une image de meilleure définition :

Pour information...


Cette image provient d'un billet de blogue, daté du jeudi 30 septembre 2010, et intitulé :

.....Le NIKTAMERE.....Espèce protégée...Par Julien Delamaison (édition ZAYAR)

Sans ambiguïté, l'illustration est suivie de :

Politiquement incorrect (!!!) Mais... Excellent !!!

Ce morceau de style exclamatif introduit un texte qui est apparemment celui de la seconde affichette de la gendarmerie de Bas-Panon.

Quelques extraits significatifs suffiront sans doute pour indiquer son esprit (si j'ose dire) :

PRÉSENTATION :

Le NIKTAMERE est un animal en voie de disparition dans ses pays d'origine, le Maghreb ; par contre, il se reproduit rapidement en milieu urbain européen. La femelle peut mettre bas entre 10 à 15 NIKTAMERES dans sa vie. En général ils se regroupent dans des réserves naturelles (banlieues, zones industrielles) et à proximité des distributeurs de billets de banque ( C.A.F, CPAM, ASSEDIC, Services sociaux municipaux, etc. )

Ou encore :

Le NIKTAMERE ne chante pas la Marseillaise: il la siffle. Il se fait enterrer en Afrique mais personne ne sait qui paie. Il exige qu’on le respecte mais ne respecte rien. Il veille jalousement à la virginité de ses sœurs mais cherche à baiser toutes les filles qu’il croise, d’où conflit de ses valeurs existentielles. Ses occupations favorites sont l’incendie de voitures ainsi que le caillassage des ambulances et des voitures de pompiers et de police.

Ou encore :

Le NIKTAMERE est armé d’un couteau qu’il utilise pour égorger les moutons mais pas seulement. Il répond habituellement au nom de Mohamed, Mouloud, Kader, Rachid ou Mourad. Ses cris sont: « Nique ta mère! », « Nique la police! », « Nique la France! ».

Et la conclusion :

Espèce protégée par diverses associations (MRAP, SOS RACISME, etc.…) subventionnées par l’État, le NIKTAMERE fait l'objet d'une interdiction de chasse, d’où un risque de prolifération dangereux pour l’équilibre de notre système judéo-chrétien.

Si cela ne vous suffit pas, vous trouverez aisément cette page, dont je me refuse de donner le lien.

Et que je ne commenterai pas.

Car, pour l'instant, voyez-vous, j'ai surtout envie d'aller prendre l'air et de respirer un grand coup.

samedi 28 mai 2011

Indignation avec modération

Contrairement aux apparences, toutes les forces de sécurité n'ont pas été mobilisées pour assurer la protection de l'état de gravidité tout juste confirmé de madame Carla Bruni-Sarkozy, qui, selon les gazettes, est allée, ces jours, humer l'air iodé de la plus sinistre des plages normandes. Des réserves sont restées dans la capitale en nombre suffisant pour évacuer le groupe de Tunisiens de Lampedusa qui avaient cru trouver refuge dans un immeuble vide situé au numéro 20 de la rue Bichat (11e arrondissement).

Installés là depuis près d'une semaine, les occupants ont été expulsés au matin du 27 mai.

La veille au soir, les forces de l'ordre s'étaient rendus sur les lieux, prétextant avoir été appelées pour un "cambriolage". Il est évidemment impossible de savoir si l'invention de ce prétexte, qui relève de la plus banale des fourberies policières, est à attribuer aux créatifs de la préfecture ou aux représentants de l'association propriétaire de cet immeuble.

Contactés durant cette soirée du 26, les responsables de cette association auraient évasivement promis de se réunir le lendemain pour "étudier la situation".

Ils ont dû le faire durant la nuit, qui, éventuellement, porte bien les conseils de la Préfecture et de la Ville, puisqu'au petit matin, dans une rue Bichat bloquée, l'évacuation et l'arrestation des occupants pouvait commencer... Hier soir, une quinzaine de personnes, semble-t-il, étaient encore en garde à vue.

On peut, sans faire d’outrage à la langue française, nommer cela une "rafle".


Pas d'image.

Apparemment, les journalistes étaient absents.


Les expulsés, eux, s'étaient rendus coupables d'une grave entorse au droit de propriété...

(Plainte aurait d'ailleurs été déposée pour "dégradations", "violation de domicile" et "effraction".)

Le propriétaire qui s'estime lésé est l'Aftam, une association tout ce qu'il y a de plus honorable sur le marché de l'honorabilité. Jugez-en par son histoire :

L’Aftam naît dans le sillage de la décolonisation [en 1962]. Ses fondateurs, avec Stéphane Hessel, leur premier Président, veulent aider les ressortissants des anciennes colonies devenues indépendantes à acquérir par la formation une qualification utile au développement de leur pays lors de leur retour au village d’origine. Mais, très vite, l’hébergement et l’accompagnement social des Africains devenus étrangers en France et résidant souvent dans des conditions insalubres, va devenir une priorité : « il faut inventer un type d’hébergement collectif qui sauvegarde les traditions villageoises, et donner la possibilité aux travailleurs immigrés de vivre simplement mais dignement pour pouvoir soutenir financièrement leurs compatriotes restés au pays ».

L’Aftam se met alors en quête de vastes locaux, d’usines désaffectées pour les transformer en foyers dortoirs. En 1968, elle gère déjà 9 foyers et plus de 2 000 lits. Son service emploi permet à 1 800 Africains de trouver un emploi. Parallèlement, le service social organise des actions de prévention sanitaire et fait bénéficier de soins à plus de 1 000 personnes. Enfin le service enseignement suit 1 200 stagiaires en formation. L’Aftam est lancée avec les principales composantes de son activité future.

Cette activité s'est considérablement diversifiée, certes, mais prétend être guidée par ce "leitmotiv" :

« Donner les moyens de l’autonomie, meilleur chemin vers l’insertion »

On passera légèrement sur la présence de ce mot "autonomie" qui, ramené au contexte de 1962, fleure bon le paternalisme post-colonial tout neuf... Mais on peut penser que ce concept d'autonomie pourrait, tout bien considéré, rencontrer les demandes des Tunisiens de Lampedusa :

Un foyer autogéré pour les harragas !
Des papiers pour tous !
Ni police ni charité !

(Enfin, il me semble...)

La page d'accueil du site de l'association offre au visiteur une "interview de Stéphane Hessel, Président fondateur de l'Aftam".

On ose espérer que l'association aura à cœur de supprimer cette référence tutélaire, qui semble totalement déplacée au regard de ce qu'elle vient de commettre...

A moins que Stéphane Hessel lui-même, devenu tête de gondole sur le marché de l'indignation, ne prenne là-dessus une position claire et cohérente.

Mais le passage à l'acte n'est jamais automatique...



PS : Les informations les plus complètes sur ces ignominies quotidiennes qui n'indignent pas grand monde du beau monde politique sont toujours présentes sur le site de la CIP-IDF, et régulièrement mises à jour.

jeudi 26 mai 2011

Allons-y gaiement

Madame Brigitte Barèges (*) qui, ce n'est pas pour me vanter, est à peine plus jeune que moi, se souvient peut-être d'un marronnier journalistique qui fleurissait avec une vigueur remarquable à l'époque des bouleversements modérés qui ont suivi le XXIe concile œcuménique de l'Église catholique romaine, appelé plus commodément Vatican II. Il s'agissait de la très grave question, qui est restée pendante, du mariage des prêtres catholiques... Les beaux esprits du café du Commerce avaient alors coutume de lancer, lorsqu'ils étaient en verve :

"Le mariage, c'est une vraie connerie et tout le monde s'en fout. Y plus que les curés que ça peut intéresser..."

Elle aurait sans doute été bien inspirée d'adapter cette blague un peu usée, et pas très intelligente non plus, si elle tenait absolument à parler sur le "ton de la plaisanterie", hier, en Commission des Lois, lors de l'examen, à huis clos, d'une proposition de loi pour "ouvrir le mariage aux couples de même sexe".

On rapporte qu'elle se serait "exclamée" :

"Et pourquoi pas des unions avec des animaux ? ou la polygamie ?"

Brigitte Barèges, humoriste.
(Ici avec un de ses comparses.)
(Photo Toulouse7-point-com.)

Cette spirituelle sortie avait de quoi surprendre. Et monsieur Jean-Luc Warsmann, député UMP des Ardennes et président de la commission des Lois, aurait alors prudemment suggéré de ne pas inscrire les propos de madame Barèges au compte-rendu de la réunion.

Notre députée montalbanaise a cependant dû quelque peu s'expliquer :

Lors de la réunion, comme plusieurs élus de gauche protestaient, Mme Barèges a rétorqué qu'elle avait dit cela sur le "ton de la plaisanterie", qu'elle était personnellement "favorable à tous types de relations sexuelles entre adultes consentants" et que l'on "ne pouvait pas la suspecter d'être homophobe".

Pour appuyer cette incroyable affirmation de son absolue ouverture d'esprit en matière de sexualité, madame Barèges n'a pas cru bon de rappeler à ses collègues de l'Assemblée qu'elle fut, en 2004, rapporteure d'un projet de loi "relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe" (**).

Peut-être l'avait-t-elle oublié...

Dans la soirée, la députée publiait un communiqué où l'on pouvait lire, en un inélégant gras-souligné pour mal-comprenants :

Elle souhaite réaffirmer qu’elle retire ses propos maladroits dont elle conteste qu’ils présentaient un caractère homophobe. Elle souhaite le cas échéant s’excuser auprès de ceux qu’ils auraient pu blesser car telle n’était pas son intention.

La mémoire lui étant revenue, elle n'omet pas, cette fois, de rappeler son "engagement en tant que rapporteur en 2004 du texte pour réprimer les injures homophobes et sexistes".

Ce communiqué s'ouvre bien sûr par une exégèse contextuelle de sa prétendue boutade, morceau de choix cuisiné à la sauce parlementaire et assaisonné de la plus parfaite mauvaise foi :

Brigitte Barèges a pris la parole à la suite d'une déclaration du député Yves Nicolin, dans laquelle il s'exprimait notamment sur la liberté de chacun s'agissant des pratiques sexuelles, qui n'avaient pas nécessairement vocation à être retranscrites dans la loi. Elle a posé dans son propos la question de la pertinence d'adapter systématiquement la loi et les institutions à l'évolution des mœurs. Elle a poursuivi son raisonnement par l'absurde en se demandant s’il faudrait aussi institutionnaliser un jour le mariage avec les animaux.

Et elle poursuit :

Devant la tentation des députés de gauche, dont Noël Mamère, d’utiliser ces propos pour en faire une polémique, Mme Barèges a immédiatement retiré cette phrase reconnaissant bien volontiers son mauvais goût prononcée dans un contexte de dérision et une rhétorique délibérément provocatrice.

On entend bien, dans ce dernier extrait, à quel point la pensée véloce de madame Barèges est difficile à suivre quand celle-ci est lancée à la poursuite de "son raisonnement par l'absurde", "dans un contexte de dérision", sans parler de la "rhétorique délibérément provocatrice" qui nécessite probablement un sérieux effort de décryptage...

Sanglier pensif, image animalière explicite
prélevée sur le site de madame Barèges.


Esquives rhétoriques et proclamations d'intention n'y changent rien ; les propos de madame Barèges sont explicitement homophobes. Et il n'est pas impossible qu'ils pourraient être sanctionnés en tant que tels au nom de la loi qu'elle dit avoir défendue de manière si engagée...

Mais cela ne doit pas faire oublier que son mot d'esprit porte plus loin.

Il s'y établit deux associations successives. La première est le fameux glissement, que tout le monde a remarqué, qui fait passer notre députée de "mariage homosexuel" à "unions avec des animaux". Cela pourrait suffire, mais intervient alors une seconde association qui lie "unions avec des animaux" à "polygamie". On obtient ainsi une séquence homosexualité/bestialité/polygamie, dont l’hétérogénéité ne doit pas échapper à madame Barèges. Car, si notre députée peut faire illusion en se déclarant "favorable à tous types de relations sexuelles entre adultes consentants", il serait tout de même étonnant de l'entendre défendre la polygamie, ou encore la bestialité, même "entre adultes consentants". Pour trouver un peu de cohérence dans ces propos, il faut plutôt regarder la bestialité comme le pivot qui permet d'articuler ce lien assez étrange qui s'établit entre homosexualité et polygamie.

Ainsi reparaît le museau de cette facile conception, qui, par ailleurs, permet d'excuser bien des comportements, de la sexualité humaine comme trace indélébile de l'animalité en nous...



(*) Brigitte Barèges est députée-maire de Mautauban (Tarn-et-Garonne). Elle appartient au groupe parlementaire de l'UMP, en sa sous-variété de la "Droite Populaire". Elle a récemment présenté le rapport de la mission parlementaire sur "l'accouchement sous X", préconisant de le remplacer par "l'accouchement dans la discrétion", où l'anonymat serait supprimé.

(**) Ce projet de loi a été retiré par le gouvernement et finalement intégré à la loi portant création de la Halde (haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) du 31 décembre 2004.

mercredi 25 mai 2011

Pas plus que d'enseignants

Probablement par manque de temps, ou à cause des interruptions continuelles de son interlocuteur, monsieur Claude Guéant n'a pu donner qu'une courte liste de professions pour lesquelles "il y a en France la ressource", sans qu'il soit besoin de faire appel aux "talents" et "compétences" de l'étranger.

Il aurait pu signaler notamment que, "contrairement à une légende", il est tout à fait contre-productif - pour employer un mot à la mode - de placer devant des élèves de collège ou de lycée des enseignants de langue qui soient des "locuteurs natifs" - pour reprendre une expression très EducNat.

En effet, les apprentis linguistes pourraient acquérir un accent qui ne serait qu'approximativement français...

Hier, Le Parisien / Aujourd'hui-près-de-chez-nous publiait un article de Laurence Allezy (avec L. H.) informant ses lecteurs du Val d'Oise de la mobilisation des personnels, des parents et des élèves du lycée René-Cassin de Gonesse pour protester contre l'expulsion programmée de Sandra Tarazona, qui, depuis le mois de février, assure un remplacement sur un poste d'enseignement de l'espagnol.

Sandra Tarazona devant la préfecture de Créteil, lundi soir,
au cours d'un rassemblement de sans-papiers.
(Photo LP/Denis Courtine.)


La situation de Sandra Tarazona est précisément exposée dans un billet du blog d'Isabelle Volat qui reproduit le texte de la pétition de soutien :

Sandra TARAZONA a été recrutée par le rectorat de l’Académie de Versailles pour effectuer une vacation en espagnol du 7 mars au 31 mars 2011, puis en qualité de contractuelle du 1er avril au 24 mai 2011 pour assurer le remplacement d’une collègue en congé de maternité au Lycée René Cassin de Gonesse.

Cette jeune colombienne de 28 ans, enseignante diplômée dans son pays, vit en France depuis le 31 août 2005. Elle y a suivi des études à l’Université de Toulouse le Mirail et à l’Université Paris 12, et est désormais titulaire de deux masters 2 en "Sciences du Langage" et "Institutions, Discours et Communication".

Le 7 mai, Sandra recevait de la préfecture du Val-de-Marne, où elle réside, une missive datée du 28 avril lui demandant "de quit­ter le ter­ri­toire fran­çais dans le délai d'un mois". Sa présence est devenue indésirable sur notre sol depuis qu'elle a perdu le statut d'étudiante.


Lundi matin, monsieur Alain Boissinot, recteur de l’académie de Versailles, qui accompagnait monsieur Luc Chatel, ministre de l’Education Nationale, à l’université de Cergy-Pontoise a assuré qu'il était bien informé de la situation de Sandra Tarazona, et révélé que ses services s'étaient occupés (activement) du dossier :

"Comme il s’agit d’une enseignante contractuelle qui a donné toute satisfaction, nous avons signalé la semaine dernière au préfet compétent les bons éléments d’appréciation la concernant pour qu’il puisse en tenir compte."

L'article du parisien ajoute :

Le recteur reconnaît d’ailleurs le caractère plutôt exceptionnel de la situation : "Cette démarche d’expulsion concerne bien plus souvent des étudiants que des professeurs."

Expulser les étudiants avant qu'ils ne puissent devenir enseignants, c'est une solution...

D'après une dépêche de l'AFP, relayée par VousNousIls, le site où "la vie éducative se conjugue au pluriel", Sandra Tarazona aurait "obtenu de la préfecture un délai jusqu'au 9 juin"...

Les amateurs de logique administrative à la française apprécieront ce paragraphe :

"J'ai reçu une convo­ca­tion de la pré­fec­ture pour trai­ter mon dos­sier sous condi­tion d'avoir un contrat de tra­vail", a-t-elle expli­qué "mais le rec­to­rat veut bien me faire un contrat de tra­vail si j'ai une auto­ri­sa­tion de res­ter sur le territoire".

Aucune des deux administrations ne semble décidée à dire le premier mot d'assentiment...

Mais ce qui est réellement intéressant c'est de voir ce qui aura le dernier mot, les besoins des élèves du lycée René Cassin, ou le manque de besoins de monsieur Claude Guéant ?

mardi 24 mai 2011

Pas besoin de maçons, ni d'étudiants d'ailleurs...

Ce n'est pas pour leur mettre la pression, mais je tiens à rappeler aux trois lycéens de terminale qui s'égarent parfois ici qu'ils ont jusqu'au mardi 31 mai 2011 pour classer leurs vœux de poursuite d’études sur le site Admission Postbac. Il s'agit d'un site qui, selon ses concepteurs, "fait partie de l'orientation active : une démarche de conseil et d'accompagnement des futurs étudiants". Les utilisateurs ont déjà eu l'occasion d'apprécier son côté convivial et quasiment ludique. Si cela peut les consoler, qu'ils sachent qu'au temps où des procédures analogues passaient par le minitel, ce n'était pas plus rose.

L'étape suivante, qui est "la phase d’admission", débutera le 9 juin. Les candidats devront alors répondre aux "propositions d'admission".

Et à partir du 24 juin sera mise en place une "procédure d'admission complémentaire".

Cette dernière phase, que les circulaires de l’Éducation Nationale désignent par "PC", permet de compléter les effectifs des formations disposant encore de places, et de permettre à des candidats restés sans proposition de postuler sur ces formations.

Tous les détails sont disponibles sur la page ad hoc.

On peut y télécharger les guides d'utilisation.
(Cliquer sur l'image pour accéder au site.)

Les curieux pourront consulter le document destiné aux candidats étrangers, et constateront qu'il est tout à fait lisible, et ne réserve pas autant de surprises en petites lettres italiques qu'un contrat d'assurance...

Ils devront cependant être plus attentifs en lisant le texte explicatif de la procédure complémentaire pour trouver, à la page 2, et à la fin de la section Qui est concerné par la procédure complémentaire, un Nota bene en italique :

NB : Certains candidats étrangers ne peuvent pas participer à la procédure complémentaire (le calendrier ne leurs permettant pas d’obtenir un visa dans des délais raisonnables). Ils en sont avertis durant l’inscription par un message affiché à l’écran.

Cette curieuse restriction, officiellement motivée par les délais d'obtention d'un visa, est confirmée par un autre texte, antérieur à celui-ci, dont on m'a transmis l'adresse de téléchargement. On peut y lire :

CANDIDATS ÉTRANGERS

Les candidats étrangers ne sont pas autorisés à partir de cette année à s’inscrire en PC. Le calendrier de la PC ne permet pas à ces candidats de pouvoir obtenir un visa dans des délais raisonnables pour commencer leurs études supérieures dès le début de l’année scolaire.

Sont concernés par cette restriction, tous les candidats de nationalité étrangère, ne remplissant pas au moins l’une de ces conditions :

• Candidats possédant la nationalité française.

• Candidats possédant la nationalité d’un pays de l’UE, de l’espace économique européen ou de la confédération Suisse (voir guide du candidat pour la liste des pays).

• Candidats titulaires du bac français.

• Candidats actuellement scolarisés en France.

• Candidats actuellement scolarisés dans un pays de l’UE, de l’espace économique européen ou de la confédération Suisse (voir guide du candidat pour la liste des pays).

Cette "restriction" est, de fait, une discrimination qui n'a évidemment rien de positif.

Sauf pour ceux qui ont déjà largement inversé nos valeurs essentielles et pensent que si l'on n'a pas besoin de maçons ou de serveurs de restaurant, on n'a pas besoin non plus d'étudiants venant de l'étranger...

lundi 23 mai 2011

Un homme de ressource

Hier, pendant que vous vous prépariez à ne pas aller à la messe, monsieur Claude Guéant était l'invité du Grand rendez-vous Europe 1 - Le Parisien, qui, parce que "l’actualité politique se nourrit de faits, de réflexions et de mots (...), est « LE » rendez-vous politique".

Si, comme moi, vous avez l'habitude de rater tous les rendez-vous importants, deux dépêches largement réutilisées à peu de frais par la presse vous permettront de prendre connaissance des profondes "réflexions" et des "mots" percutants du ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration.

La première dépêche, moins souvent copicollée que l'autre, condense une partie des propos de Claude Guéant sur l'incontournable "affaire Strauss-Kahn/Diallo", pour reprendre l'expression de l'animateur... Pour l'essentiel, on y apprend que "le gouvernement français appuierait une demande de Dominique Strauss-Kahn pour purger sa peine en France s'il était condamné". Le ton est alors très précautionneux et l'on entend bien que les compétences d'administrateur de monsieur Guéant sont au delà de toute critique.

C'est à la toute fin de cet articulet qu'on se prend à pincer le nez :

"S'il était coupable, il serait coupable de faits très graves", a-t-il poursuivi, en ajoutant: "trousser une domestique, ça me semble gravissime".

La rédaction elliptique pourrait laisser croire que le très sérieux ministre de l'Intérieur trouve, lui aussi, très spirituel de requalifier les faits reprochés à Dominique Strauss-Kahn de la même ignominieuse façon que Jean-François Kahn. Il n'en est rien, et il n'avait repris l'expression que pour s'en démarquer.

Malheureusement pour notre malcommunicant de ministre, le bateleur en chef de l'émission l'avait alors interrompu pour insister sur le fait que son (probablement) ami J.-F. Kahn avait, depuis, "retiré" ses propos... Et coupé dans son élan, ce pauvre monsieur Guéant, au lieu de parler tout simplement de "viol" ou de "tentative de viol", est retombé dans les ornières du "troussage de soubrette".

Mais il n'a pas "retiré" "l'affreux rire de l'idiot" qui les ont accompagnés...
(La photo date un peu, le gloussement est resté le même.)

Monsieur Claude Guéant est incontestablement plus à l'aise quand on l'interroge sur l'une de ses raisons d'être, la croisade contre l'immigration, qu'elle soit légale ou illégale. Comme il ne cherche pas à les nuancer, ses propos, dénués de toute ambiguïté, ont été plus fidèlement transcrits par les rédacteurs de la seconde dépêche.

"Contrairement à une légende, il est inexact que nous ayons besoin de talents, de compétences" issues de l'immigration.

A-t-il affirmé.

"Il y a de l'ordre de 2.000 personnes - on peut avoir ces besoins - qui viennent chaque année à ce titre" légalement en France. "Mais on n'a pas besoin de maçons, de serveurs de restaurants. Il y a en France la ressource."

A-t-il indiqué.

"Contrairement à ce qu'on dit, l'intégration ne va pas si bien que ça : le quart des étrangers qui ne sont pas d'origine européenne sont au chômage, les deux tiers des échecs scolaires, c'est l'échec d'enfants d'immigrés."

A-t-il souligné.

"Donc, ce que je voudrais, c'est que le flux des étrangers dans notre pays soit traitable (...), que nous soyons capables d'intégrer ces populations."

A-t-il conclu.

Mais.

Mais.

Claude Guéant s'est défendu de reprendre des idées du Front national: "Jamais ces idées ni ces mots n'ont été utilisés. Ce sont des mots, il n'y a rien derrière, y compris en matière d'immigration".

Cette ultime précision s'imposait, anéfé, anéfé.

Virons-les tous, et Dieu reconnaîtra les siens.

Face à cette banalisation du degré zéro de la parole xénophobe, celle qui se limite, avec une fausse naïveté, aux "faits" constatés, le collectif D'ailleurs nous sommes d'ici a lancé un appel "pour une mobilisation nationale et unitaire contre le racisme, la politique d’immigration du gouvernement et pour la régularisation des sans-papiers".

Il organise une manifestation à Paris le 28 mai 2011 à Paris. Le départ est fixé à 14 h, au métro Barbès-Rochechouart, dans le XVIIIe arrondissement. D'autres manifestations sont prévues dans toute la France (voir les informations qui viendront sur le site).


"Il faut faire attention aux mots,
car souvent ils peuvent devenir des cages."
Viola Spolin.
(Affiche de Soraya Babaie, École d’art Maryse Éloi, 2011.)

dimanche 22 mai 2011

Infini, j'écris ton nom(bre)

Parlant du méticuleux projet pictural que Roman Opalka mène depuis plus de quarante cinq ans, Jacques Roubaud écrit :

Roman Opalka aura fait ce qu'un homme pouvait faire de plus immense pour approcher l'idée d'infini, de l'infini dans le fini du temps, par des moyens non discursifs, non mathématiques, irréductiblement personnels mais en même temps donnés à tous, à nous.

Un monument.

(Ce texte, intitulé Le Nombre d'Opalka, fait "bon voisin" avec ceux de Christine Savinel et de Bernard Noël dans le petit livre Roman Opalka, publié aux Éditions Dis Voir, 1996.)

En 1965, Roman Opalka décide de consacrer le reste de sa vie de peintre à tracer, dessiner et peindre, à la peinture blanche, la suite des nombres entiers en ordre croissant. Il utilise des toiles de 196 cm sur 135 cm, dont le fond, initialement noir, reçoit environ 1 % de blanc supplémentaire à chaque nouvelle mise en œuvre. Bien que les deux blancs utilisés soient de nature différente, blanc de titane pour le tracé des chiffres et blanc de zinc pour la dilution du fond, on peut considérer que, depuis 2008, les nombres sont devenus indiscernables, peints en blanc sur fond blanc. Roman Opalka accompagne son travail du prononcé, en polonais, des nombres qu'il inscrit; sa voix est enregistrée au fur et à mesure sur bande magnétique. Enfin, après chaque séance de travail dans son atelier, Opalka réalise une photographie de son visage devant la toile en cours.

Le peintre considère que chaque toile réalisée selon ce protocole est un Détail d'une totalité désignée par le titre :

OPALKA 1965/1 - ∞

Vue de quelques Détails exposés à la Galerie Yvon Lambert, Paris.

Le nombre n'est pas la préoccupation première de l'artiste qui s'est pourtant engagé dans leur indéfinie transcription. Ce qu'il vise, c'est la manifestation du passage du temps.

Or la perception la plus immédiate de ce passage est sans doute celle des ponctuations plus ou moins régulières du temps, qui peuvent aller de nos simples pulsations cardiaques aux phénomènes astronomiques les plus alambiqués, en passant par la simple alternance du jour et de la nuit. Même si l'on cherche à figurer l'écoulement temporel comme continu, revient inéluctablement le moment où le sablier doit être retourné, et la réserve de la clepsydre renouvelée.

Au début des années 60, Roman Opalka avait entrepris, avec ses Chronomes, de reporter ces ponctuations sur la toile. Mais il dut assez rapidement convenir que la disposition des motifs de scansion temporelle dans les deux dimensions spatiales d'un tableau ne pouvait être que confuse, et surtout illisible, faute de l'indication d'un sens de lecture tenant compte de la "flèche du temps".

Pour dépasser cette difficulté, Opalka fut amené à utiliser l'analogie profonde qui existe entre la succession des instants notés et la suite des nombres entiers. Comme le visiteur compte les marches qu'il doit gravir pour se rendre à son rendez-vous, manière de passer le temps ou, plus sûrement encore, de ressentir son passage, le peintre se mit à inscrire sur ses toiles la comptine des ordinaux...

Il s'engageait dans une entreprise qui, avec son rituel d’accompagnement, allait devenir l'une des performances les plus fascinantes de notre temps.

Autoportraits de Roman Opalka au fil du temps.

D'un point de vue strictement mathématique, le "monument" de Roman Opalka s'élève sur le seuil du "paradis" que, selon David Hilbert, Georg Cantor aurait "créé" pour les mathématiciens en jetant les bases de la théorie des ensembles, majestueux édifice où s'ébattent en toute liberté - "l'essence des mathématiques, c'est la liberté", disait Cantor - des infinités d'infinis "actuels". Si Opalka, par son entreprise, donne bien une exemplaire illustration de "l'idée d'infini", il s'agit de l'idée de la possibilité de toujours dépasser le point déjà atteint. Quelle que soit la grandeur du dernier nombre inscrit sur le dernier Détail que pourra peindre Opalka, n'importe quel gamin éveillé pourra aller au-delà en disant simplement le "plus uno" de Miracle à Milan, le film de Vittorio De Sica et Cesare Zavattini (1951). N'importe quel philosophe, même non cinéphile, parle dans ce cas d'infini potentiel, et les mathématiciens utilisent pour le désigner le symbole "∞", jadis introduit par John Wallis, que Roman Opalka a inséré dans le titre de son grand œuvre.

Ce symbole, en permettant de raisonner sur la possibilité d'un dépassement illimité, est aussi la marque de l'inatteignable et place prudemment toute idée plus actuelle de l'infini dans le domaine de l’impensable. Et c'est cette limitation de la pensée que Georg Cantor devait outrepasser, en introduisant en mathématiques la notion-clé d'ensemble, défini initialement comme "toute réunion en un tout M d'objets m bien définis et bien différenciés de notre intuition ou de notre pensée; ces objets étant appelés les éléments de M". Si cette notion est assez simplette dans le cas des ensembles ayant un nombre fini d'éléments, elle devient audacieusement borderline en permettant de penser des collections qui, comme celle des nombres entiers, ou celle des nombres réels, ne sont pas limitées.

C'est en cherchant à étendre aux ensembles non-finis l'idée de "nombre d'éléments" que Cantor fit sa découverte la plus stupéfiante, celle de l'existence d'un autre infini, infiniment plus grand, que celui de l'ensemble des entiers. De là allait découler sa théorie des transfinis, ce "paradis" pavé de très beaux problèmes et de vilains paradoxes...

Georg Cantor en son (jeune) temps.

Parmi les continuateurs de Cantor figure en bonne place le mathématicien russe Nikolaï Luzin, fondateur de l’École de Moscou, avec Dmitri Egorov et Pavel Florensky - qui fut également, dans l'ordre ou le désordre, philosophe, théologien et prêtre orthodoxe.

Un livre récent de Jean-Michel Kantor et Loren Graham, paru en 2010, chez Belin, dans la collection Pour la Science, a été consacré à ce trio fondateur. Traduit de l'anglais par Philippe Boulanger, il se présente en rayons sous le titre Au nom de l'infini, assorti du sous-titre à rallonge racoleuse Une histoire vraie de mysticisme religieux et de création mathématique. Quant à la quatrième de couverture, elle en remet une louche qui n'a rien d’infinitésimal :

Ce livre touchera même ceux que les mathématiques laissent indifférents, voire effraient. Les auteurs éclairent les liens étroits entre la vie - avec ses plaisirs et ses drames - et l’œuvre de ces hommes et ces femmes qui ont marqué le XXe siècle par leur créativité en mathématiques.

(Sans vouloir être désagréable, je me demande si ce type de discours dope vraiment les ventes d'un bouquin...)

Loin d'être une saga "avec ses plaisirs et ses drames", le livre de Jean-Michel Kantor et Loren Graham est plutôt un assemblage de monographies sur les mathématiciens qui ont fait l’École de Moscou. C'est un travail soigné, avec notes et références, qui comble une lacune car on ne pas dire que les moscovites soient chez nous des vedettes de l'histoire des mathématiques...

Mais son principal intérêt est d'indiquer le rapport qui semble s'établir, chez Florensky, Egorov et Luzin, entre leurs croyances religieuses et leur activité mathématique.

Tous trois étaient, à des degrés divers, proches des membres d'une secte orthodoxe hérétique, appelés par les auteurs "adorateurs du Nom", en reprenant la désignation d'"onomatolâtres" utilisée par ceux qui les condamnaient, alors qu'il serait plus juste de parler, en toute neutralité, d'"onomatodoxes" (confesseurs du Nom). Un trait essentiel des adeptes de ce groupe était la pratique d'une prière de type incantatoire où étaient répétées indéfiniment de courtes invocations, tout en contrôlant respiration et rythme cardiaque.

L'une des invocations était : "Le Nom de Dieu est Dieu."

On peut se demander - ce n'est certes pas très malin, mais pas trop idiot non plus - si l'essentiel du geste de Cantor, en constituant l'infini comme objet de pensée, n'a pas été de faire basculer le mot "infini" d'un statut de qualificatif, permettant d'envisager une potentielle poursuite à jamais inachevée, dans un statut de substantif. Non seulement l'infini recevait un nom, mais encore il devenait un nom...

(Et avec l'introduction des transfinis, il deviendra des nombres.)

On en vient ainsi à l'hypothèse esquissée dans Au nom de l'infini, selon laquelle l’attachement de nos mathématiciens russes à une doctrine professant la puissance et la grandeur du Nom de Dieu les aurait rendus plus réceptifs que leurs collègues de l'école française à l'audacieuse entreprise cantorienne, qu'il faut aussi considérer comme entreprise de nomination.

Sur ce point, qui peut ne pas laisser indifférent même ceux que les mathématiques "effraient" - car il s'agit aussi de la fabrique d'un savoir -, on se dit, en refermant le livre, qu'on aurait aimé en savoir un peu plus...

samedi 21 mai 2011

À chacun sa place

Lyon, m'a-t-on dit, est une ville chargée d'histoire et fidèle à ses traditions, où, de plus, on peut très bien manger à condition d'être excédentaire en "bon" cholestérol. Je suppose qu'on y trouve encore des amateurs du théâtre de Guignol. Ayons une pensée pour eux... Ils n'auront eu droit, aujourd'hui, place Bellecour, qu'à une guignolade mise en scène par la DDSP (direction départementale de la sécurité publique).

On trouve, sur le site de Lyon Capitale, une courte notice, signée LP., donnant un programme indicatif des festivités prévues :

La journée de la Sécurité Publique du Rhône a vocation à faire découvrir au public les métiers de la Police, ainsi que les différents types d'interventions possibles. Les spectateurs pourront assister à des scènes spectaculaires (simulées bien sûr) telles que la prise d'otage d'un bus (11h45), l'immobilisation d'un individu par un chien de patrouille (14h15), la recherche de stupéfiants (10h50) ou d'explosifs (10h20) par la brigade canine, l'utilisation d'un pistolet à impulsion électrique ("Taser"), etc.

Le public pourra par ailleurs découvrir sur les stands les différents métiers et procédures de recrutement. Ou encore les méthodes de comptage des manifestants par le Service Départemental de l'Information Générale. L'événement a lieu de 10h à 17h. Le Préfet de Région, le procureur de la République de Lyon, le 1er adjoint au Maire de Lyon, Jean-Louis Touraine et la Secrétaire d’État à la Santé, Nora Berra viendront y faire un petit tour.

LP. oublie de dire, dans sa publi-information, que ce sont les stars du GIPN (groupe d'intervention de la police nationale) qui devaient, en personne, simuler la libération des passagers du bus pris en otage...

Avant-hier, Le Progrès, sous le titre "La police lyonnaise fait son show samedi sur la place Bellecour", ouvrait largement ses colonnes au directeur départemental de la sécurité publique, monsieur Albert Doutre. Avec son sens de la communication habituel, il pouvait y détailler les intentions éthiques et esthétiques de ce grand spectacle.

Un show précédent de la même troupe, le 21 octobre 2010.
(De la place Antonin Poncet, photo Pauline A.)

Il n'ignore pas - il est de la police, donc il sait tout - que, sur la même place lyonnaise, la police s'est livrée, le 21 octobre 2010, à une tout autre mise en scène.

(Sur cette journée, où les lyonnais ont vu la place Bellecour transformée en prison à ciel ouvert par les forces de l'ordre, il faut consulter le dossier de témoignages constitué par le collectif Rebellyon.info - je l'ai amplement utilisé pour illustrer ce billet.)

"Ces événements avaient été traumatisants pour la ville, il est important de montrer que cette place est un beau lieu de rencontre et de convivialité."

Dit-il.

Sérieusement.

Et s'il ne parle pas de "réenchanter la place Bellecour", c'est que personne n'a songé à lui souffler la formule...

"Un beau lieu de rencontre et de convivialité."
(Le GIPN sur la place, photo Ando)

Aujourd'hui, selon une notule plus récente du Progrès, monsieur Doutre n'avait pas perdu son agréable petit côté pince-sans-rire :

"Nous avons certes eu une image dure au moment des événements d'octobre dernier", en marge des défilés contre la réforme des retraites, mais "quand il y a des manifestations violentes, on assume le fait d'être présents", a déclaré à la presse Albert Doutre, directeur départemental de la sécurité publique. "Notre premier objectif est d'être au service des citoyens et du public", a-t-il rappelé, vantant "les métiers innombrables" de la police, qui peuvent "faire rêver les jeunes".

Un jeune qui rêve...
(Photo Rebellyon.)

Monsieur Albert Doutre a l'air de savoir ce qui peut "faire rêver les jeunes"...

Pas moi.

Alors je ne sais pas, et n'ai pas cherché à savoir, s'il avait réussi dans son opération de séduction de la jeunesse. Tout ce que j'ai appris, c'est qu'une partie d'entre elle, qui rêve plutôt de la #spanishrevolution que d'une carrière dans la police, a laissé aux forces de l'ordre la jouissance de la place Bellecour pour se réunir place des Terreaux.

Normalement on devrait les trouver sur la carte.

Il suffit de cliquer dessus pour y accéder "en vrai".


PS :
Manifeste de « Democracia Real Ya ! »

­­­­Nous sommes des per­son­nes cou­ran­tes et ordinaires. Nous sommes comme toi : des gens qui se lèvent tous les matins pour étudier, pour travailler ou pour cher­cher un boulot, des gens qui ont famille et amis. Des gens qui tra­vaillent dur tous les jours pour vivre et donner un futur meilleur à celles et ceux qui les entourent.

­­­­­­­­­­­­­ Parmi nous, certain-e-s se considèrent plus pro­gres­sis­tes, d’autres plus conser­va­teurs. Quelques un-e-s croyants, d’autres pas du tout. Quelques un-e-s ont des idéologies très défi­nies, d’autres se considèrent apo­li­tiques. Mais nous sommes tous très préoccupé-e-s et indigné-es par la situa­tion poli­ti­que, économique et sociale autour de nous. Par la cor­ruption des poli­ticiens, entre­preneurs, ban­quiers, ... . Par le manque de défense des hommes et femmes de la rue.

­­­ Cette situa­tion nous fait du mal quo­tidien­ne­ment ; mais, tous ensemble, nous pou­vons la ren­ver­ser. Le moment est venu de nous mettre au travail, le moment de bâtir entre tous une société meilleure. Dans ce but, nous sou­te­nons fer­me­ment les affir­ma­tions sui­van­tes :
  • L’égalité, le progrès, la solidarité, le libre accès à la culture, le développement écologique durable, le bien-être et le bonheur des personnes doivent être les priorités de chaque société avancée.

  • Des droits basiques doivent être garantis au sein de ces sociétés : le droit au logement, au travail, à la culture, à la santé, à l’éducation, à la participation, au libre développement personnel et le droit à la consommation des biens nécessaires pour une vie saine et heureuse.

  • Le fonctionnement actuel de notre système politique et gouvernemental ne répond pas à ces priorités et il devient un obstacle pour le progrès de l’humanité.

  • La démocratie part du peuple, par conséquent le gouvernement doit appartenir au peuple. Cependant, dans ce pays, la plupart de la classe politique ne nous écoute même pas. Ses fonctions devraient être de porter nos voix aux institutions, en facilitant la participation politique des citoyens grâce à des voies directes de démocratie et aussi, procurant le plus de bienfait possible à la majorité de la société, et pas celle de s’enrichir et de prospérer à nos dépens, en suivant les ordres des pouvoirs économiques et en s’accrochant au pouvoir grâce à une dictature partitocratique menée par les sigles inamovibles du PPSOE [1].

  • La soif de pouvoir et son accumulation entre les mains de quelques-uns crée inégalités, crispations et injustices, ce qui mène à la violence, que nous refusons. Le modèle économique en vigueur, obsolète et antinaturel, coince le système social dans une spirale, qui se consomme par elle-même, enrichissant une minorité et le reste tombant dans la pauvreté. Jusqu’au malaise.

  • La volonté et le but du système est l’accumulation d’argent, tout en la plaçant au-dessus de l’efficience et le bien-être de la société ; gaspillant nos ressources, détruisant la planète, générant du chômage et des consommateurs malheureux.

  • Nous, citoyens, faisons parti de l’engrenage d’une machine destinée à enrichir cette minorité qui ne connait même pas nos besoins. Nous sommes anonymes, mais, sans nous, rien de cela n’existerait, car nous faisons bouger le monde.

  • Si, en tant que société nous apprenons à ne pas confier notre avenir à une abstraite rentabilité économique qui ne tourne jamais à notre avantage, nous pourrons effacer les abus et les manques que nous endurons tous. Nous avons besoin d’une révolution éthique. On a placé l’argent au-dessus de l’Être Humain, alors qu’il faut le mettre à notre service. Nous sommes des personnes, pas des produits du marché. Je ne suis pas que ce que j’achète, pourquoi je l’achète ou à qui je l’achète.
A la vue de cela, je suis indigné/e.

­ Je crois que je peux le changer.

Je crois que je peux aider.

­ Je sais que, tous ensemble, on le peut.

Sors avec nous. C’est ton droit.

[1] Addition de PP et de PSOE, les deux partis de droite et gauche qui alternent au pouvoir.

(Source : Rebellyon, où l'on trouvera bon nombre de liens complémentaires.)

vendredi 20 mai 2011

Les affaires reprennent et les expulsions continuent

A force de guetter sur leurs écrans la bribe d'information en provenance de New-York qui pourrait, sur le site de leur employeur, faire exclusivité pendant une ou deux secondes, les journalistes doivent avoir les yeux aussi pleurards que ceux d'un lapin albinos atteint de myxomatose. Il est d'ailleurs probable que paraissent, en liaison contextuelle avec "l'Affaire", quelques articles bien documentés sur les ophtalmies professionnelles.

On peut donc s'étonner - mais pas plus d'une ou deux secondes - de trouver, à la "une" de Libération-point-fr, un papier sur la situations des migrants tunisiens que la mairie de Paris met en demeure de quitter le gymnase de la rue de la Fontaine au roi, où ils avaient trouvé un abri. L'admiration retombe assez rapidement en constatant que la photo d'illustration date du 28 avril et que le texticule proposé est un copicollage d'une dépêche de l'AFP.

Il est vrai qu'il est plus facile de trouver un avion pour aller à New-York que de débloquer un vélib' pour monter rue de la Fontaine au roi...

On pourra vérifier que cette dépêche retranscrit fidèlement la lettre que les services municipaux ont adressée au collectif des Tunisiens de Lampedusa :

Dans cette lettre datée du 17 mai, la mairie dit avoir constaté «une grave détérioration des conditions d'occupation du gymnase».

Elle rappelle que l'utilisation du gymnase -qui dure depuis 10 jours- «ne pouvait qu'être temporaire» et relève plusieurs manquements aux consignes de sécurité, qui interdisent notamment de cuisiner dans les locaux et limitent à 150 le nombre de personnes présentes.

Elle déplore aussi des dégradations dans le gymnase et aux alentours et des «bagarres et actes de violence».

Elle demandait dans sa lettre aux migrants de quitter les lieux «au plus tard le 19 mai à midi».

Au cas où le lecteur aurait été distrait dans son décryptage par un touitte en provenance de New-York, un intertitre, judicieusement graissé dans la mise en page, met en évidence les déplorables "bagarres et actes de violence", et lui permet de les bien déplorer à son tour...

On cherchera en vain le point de vue des destinataires de cette lettre, mais on trouvera celui de madame Pascale Boistard, très officielle adjointe "chargée de l'intégration et des étrangers non communautaires". Elle rappelle tous les efforts déjà consentis par la Ville de Paris avec son "dispositif d'aide d'urgence mis en place (...) le 26 avril et renforcé le 16 mai ", et, pour ajouter un brin de rhétorique démagogique, souligne que :

ce gymnase qui a vocation à accueillir les activités sportives des gens du quartier est rendu indisponible par la présence des migrants.

Il suffit de jeter un coup d’œil aux commentaires des fidèles de Libération-point-fr qui suivent pour constater que les contribuables parisiens malcontents ont parfaitement suivi son regard.

Monsieur Delanoë et madame Boistard dans leurs bonnes œuvres.
Visite de l'exposition de photographies de parrainages républicains, 12 juin 2009.
(Photo Sophie Robichon/Mairie de Paris.)


Après tout, on pourrait se contenter de renvoyer cet article dans la corbeille où il en rejoindrait tant d'autres, tout aussi partiels, partiaux et bâclés, s'il ne contenait une erreur d'interprétation tout à fait significative du mépris dans lequel sont tenus les Tunisiens de Lampedusa.

On rappelle sommairement les faits :

Ces occupants du gymnase de la Fontaine-au-roi se sont installés après avoir été évacués le 5 mai de l'immeuble de l'avenue Simon Bolivar à la demande de la Mairie en raison de l'insalubrité et de la dangerosité du lieu.

Puis on dérive en une phrase contournée :

Plusieurs associations avaient protesté contre cette opération, dont le Collectif des intermittents du spectacle, qui s'insurge contre la perspective d'une nouvelle évacuation et appelle à manifester samedi Porte de la Villette en soutien aux migrants tunisiens.

Inélégante manière de dire, au fond, que le collectif des Tunisiens de Lampedusa est bel et bien manipulé par l'infréquentable collectif des intermittents du spectacle.

Les rédacteurs de cette dépêche auraient pu demander, entre quat'zieux et hors-micro, leur avis aux représentants de la Ville de Paris pour savoir s'il est si facile que cela de manipuler les Tunisiens de Lampedusa...



PS : Comme ce n'est pas sur le site de Libération-point-fr qu'ils peuvent l'être, c'est sur celui de la Cip-IdF que sont hébergés les documents produits par les Tunisiens de Lampedusa. C'est donc là qu'il faut aller pour trouver des informations fiables.

On y trouve, notamment, l'affiche et le texte de l'appel à manifester samedi, à la porte de la Villette. Les incrédules pourront vérifier qu'ils ne sont pas signés "comité des intermittents du spectacle".

mercredi 18 mai 2011

Pendant l'Affaire, les affaires reprennent

Ce que madame Michèle Alliot-Marie avait rêvé trop fort à l'Assemblée Nationale est sans doute en train de devenir réalité. Nous allons pouvoir exporter en Tunisie notre fameux "savoir-faire" en matière de sécurité. Et c'est monsieur Claude Guéant, expert en ce domaine, qui a été l'artisan de cette avancée décisive pour le rétablissement de saines relations, c'est-à-dire approximativement bilatérales, entre les deux pays.

Pour commencer sa semaine, notre ministre de l'Intérieur a passé deux petites journées en Tunisie, et "au cours de son séjour", il "a signé avec son homologue tunisien Habib Essid un accord de coopération dans le domaine de la protection civile", selon une dépêche The Associated Press.

Il a également annoncé la signature de deux conventions tuniso-françaises, la première pour l'amélioration du dispositif de formation dans les métiers de la mer, et la deuxième prévoyant, en coopération avec le ministère tunisien de la Défense, la création d'un centre de formation professionnelle à Gafsa (centre-ouest).

Au cours d'une conférence de presse donnée mardi dernier, monsieur Claude Guéant, comme tout bon vendeur de voiture d'occasion qui a réussi à en placer une, a continué à faire l'article. Dans un compte-rendu de son intervention devant les journalistes, on peut lire :

Ce dernier précise, pour qui l'ignore, que son ministère a des compétences en matière de sécurité ; "si la Tunisie souhaite organiser des formations ou effectuer un échange d’expériences, nous sommes prêts à le faire". "Pour ce qui est de la police, la France reste ouverte à toute demande de formation des autorités tunisiennes, qu’elle se fera chez nous ou en Tunisie", martèle-t-il, rappelant que "la police est un métier difficile, car elle correspond à l’usage légal de la force".

Cette dernière sentence montre que monsieur Guéant n'est pas seulement un représentant de petit commerce sécuritaire mais que c'est aussi un grand penseur, de type policier.

(Mais le jour où il voudra faire à son homologue une démonstration de notre fameux canon à eau tiède, nous lui conseillerons vivement de mettre des gants de protection.)

Ceci dit, si j'en crois le Figaro, l’intention première de Claude Guéant aurait été de "décrisper" les relations avec Tunis.

Image d'une cruauté insoutenable :
Claude Guéant pris d'une crampe de la main droite
en pleine séance de décrispation avec
Habib Essid.
(Photo Zoubeir Souissi/Reuters.)

Les médias français ont surtout retenu de cette conférence de presse les passages concernant les quelques milliers de migrants tunisiens arrivés en France via l'Italie qui, selon notre ministre décrispé, "ont vocation à retourner dans leur pays et ce retour se fera dans le respect de leur dignité".

Il faut reconnaître que, sur ce point, le ministre des expulsions a fait montre d'une étonnante et remarquable sensibilité :

"Je sais que derrière chaque personne qui quitte le pays il y a une aventure douloureuse et un immense arrachement affectif mais notre politique est claire nous ne pouvons la changer, nous n'acceptons pas l'immigration illégale."

On mesure à quel point ont pu être déstabilisantes ces séances successives de "décrispation" pour notre pauvre ministre, opérant, circonstance aggravante hors de ses chères frontières, "dans une ville où s'élève encore la clameur de la rue", ainsi que le remarque si justement Jean-Marc Leclerc, envoyé spécial du Figaro à Tunis. Pour un peu, emporté par son soudain bon cœur, monsieur Guéant aurait pu se laisser aller à nous faite un numéro de chochotte humanitaire en évoquant, glotte tremblante, les droits de l'homme...

Heureusement doté d'un solide surmoi ministériel, il a pu éviter le dérapage, et revenant à du concret, il a rappelé à la Tunisie de 2011 qu'a été signé, en avril 2008, un accord portant sur l'immigration et le développement solidaire, un "instrument de grande qualité qui organise les flux migratoires entre les deux pays", et que la France entend "l’appliquer pleinement"et même "lui donner de la vigueur et de l’ampleur".

Même si l'on entend "la clameur de la rue", on ne va peut-être pas aller jusqu'à lui demander son avis...

A la rue.

D'ailleurs ce n'est tout de même pas "la rue" qui sera invitée au G8, "prévu les 26 et 27 mai à Deauville (nord-ouest de la France)", ainsi que le précise aimablement la dépêche de l'AFP.

Deauville, en regardant vers le Nord.
C'est moins accidenté que Lampedusa.
(Photo G.Wait.)

Ne seront pas invités non plus, les quelques centaines de migrants tunisiens qui, à Paris notamment, sont toujours à la rue...

De fait, malgré toutes les annonces, ceux-là ne sont vraiment invités nulle part.

Voici de leurs nouvelles :

Vu les conditions difficiles, des occupants ont choisi de retourner à l’errance ou trouvé des solutions individuelles transitoires. Mais, selon les jours, de 100 à 150 Tunisiens sans papiers ou à "visa Schengen" dorment toujours là. Si cette occupation est actuellement tolérée, la Ville de Paris ne fournit rien aux occupants, contrairement à ce qu’indiquent ses communiqués et à ce que déclare à la presse Pascale Boistard, la "chargée de l’intégration des immigrés". Tout en essayant d’envisager la suite de la lutte (une manifestation est en préparation), les occupants ne mangent donc pas à leur faim.

Appel à la solidarité concrète :
besoin crucial de nourriture midi et soir, de produits d’entretien, d’hygiène au 100 rue de la Fontaine au roi, M° Couronnes.



PS du 19/05/2011, avec des nouvelles plus récentes :

L'occupation du gymnase de la rue de la Fontaine au roi a été tolérée sans que la Ville ne fournisse rien aux occupants, contrairement à ce qu’indiquent ses communiqués et à ce que déclare à la presse Pascale Boistard, chargée de l’intégration des immigrés.

La mairie a fait savoir hier au gymnase qu’un huissier viendrait ce jeudi constater l’occupation et qu’elle saisirait le Tribunal Administratif pour un référé expulsion.

Alors même que des arrêtés lors de l'expulsion de l'immeuble municipal de l'avenue Simon Bolivar passeront au Tribunal administratif les 1er et 8 juin, la Ville s'apprêterait de nouveau, en totale contradiction avec le discours de son maire (qui a signé une pétition demandant l'arrêt des opérations de police contre les Tunisiens en France) à faire arrêter ces migrants en lutte.

Une manifestation aura lieu samedi à 15h, rdv Porte de la Villette.

mardi 17 mai 2011

Cent clochers et une librairie de plus

On sait que Victor Hugo, notre versificateur kilométrique et national, dédia à ses "amis L. B. et S. -B.", une missive comptée et rimée qui commence ainsi :

Amis ! c'est donc Rouen, la ville aux vieilles rues,
Aux vieilles tours, débris des races disparues,
La ville aux cent clochers carillonnant dans l'air,
Le Rouen des châteaux, des hôtels, des bastilles,
Dont le front hérissé de flèches et d'aiguilles
Déchire incessamment les brumes de la mer ;

C'est Rouen qui vous a ! Rouen qui vous enlève !

(... et cetera
et bla bla bla...)


Cela fut publié en 1831, dans Les feuilles d'automne, et il faut bien admettre que c'est depuis cette date que tout le monde sait qu'il y a, dans l'enceinte de la ville de Rouen, "cent clochers" et que l'on vient du monde entier pour tenter de les "faire" tous.

Ce que l'on sait un peu moins, c'est que Rouen abrite, à l'ombre de ses célèbres clochers, quelques librairies d'ancien, délaissées par les touristes, où les amateurs de débris de bibliothèques disparues peuvent trouver leur bonheur à trois francs six sous. On en trouvait déjà deux dans la liste des mes fournisseurs agréés, on en trouvera une troisième.

Ouverte depuis quelques semaines, elle est située au numéro 98 de la rue Beauvoisine, rue déjà bien connue des amateurs de livres : au bas de cette rue se tenait la défunte libraire Van Moé, et vers le haut s'ouvre l'antre babélien de Joseph Trotta.

La création de ce nouveau lieu rouennais, la Librairie-Café "Les mondes magiques" est l’œuvre d’Élise et de Robin, qui ont su mener à bien cette idée qui leur tenait à cœur depuis un bon bout de temps. Ils ont réussi, en vrais connaisseurs de la chose écrite, à constituer un stock de livres de qualité - ce qui est déjà un exploit, car on connait le niveau du tout-venant dans le livre d'occasion... Il ont aussi réussi à faire de leur local un endroit où il est agréable de venir flâner, pour fureter dans les rayonnages ou prendre un café - ou un chocolat maison, ou un jus de fruit - en feuilletant un livre, tout en se renseignant sur les raretés encore en réserve.

J'ai emprunté la photo de leur blogue,
parce que j'ai raté les miennes...

A partir du 20 mai, et jusqu'au 10 juin, la librairie-café accueillera une exposition des aquarelles de Gérald Kerguillec.

Je me suis laissé dire que ce vendredi soir, à partir de 19 h et jusqu'à une heure raisonnable, aurait lieu comme un vernissage de cette exposition et que "ce sera l’occasion de découvrir la boutique, et de boire un verre ensemble". D'après mes informations, quasi confidentielles, "vous pourrez rencontrer le collectif GRATA qui viendra proposer quelques plats apéritifs et sera disponible pour présenter son projet d’installation à la ferme de l’Oseraie".

Cela me semble ouvert à tous ceux qui aiment les livres, les aquarelles, et les jeunes gens et jeunes filles qui traversent parfois en dehors des clous...

Aquarelle de Gérald Kerguillec, empruntée à son site.