On se souvient qu'en juillet 2008, voulant illustrer, pour un vaste parterre de plantes vertes plus ou moins carnivores de l'UMP, à quel point la France "changeait beaucoup plus vite et beaucoup plus profondément qu'on ne le voyait", monsieur Nicolas Sarkozy avait déclaré, tout frétillant de contentement, car la formule était bien belle:
"Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s'en aperçoit."
Les plantes vertes avaient vigoureusement secoué leurs feuilles pour marquer leur satisfaction.
(Dionaea muscipula, que Carl von Linné
nommait Vénus attrape-mouche.)
Coincé entre diverses affaires judiciaires toutes plus palpitantes les unes que les autres, l'Acte II du mouvement des travailleurs et travailleuses sans-papiers, tout en prenant progressivement de l'ampleur, a bien du mal à avoir dans les médias la visibilité qui devrait lui revenir.
Pourtant, si les grosses magouilles et petits accommodements entre amis de messieurs Pasqua et Chirac ne manquent pas d'intérêt pour l'étude des mœurs de ces grands animaux politiques qui ont cru avoir tous les droits, il serait plus important, à mes yeux, d'informer sur les luttes de ceux et celles qui, sous prétexte qu'ils n'ont pas de papiers, se voient refuser le moindre de ces droits: celui de vivre de leur travail, ici.
Martine et Jean-Claude Vernier, dans un billet du blogue Fini de rire, résument ainsi le point de départ de ce mouvement:
Le 1er octobre 2009, un collectif de cinq syndicats (CGT, CFDT, Solidaires, FSU, UNSA) et six associations (LDH, Cimade, RESF, Femmes Egalité, Autremonde, Droits Devant!!) adressait au premier ministre une lettre demandant l'édition d'une circulaire pour la régularisation du séjour des travailleurs étrangers, salariés bien que sans papiers.
Sa lettre étant restée sans réponse, le 12 octobre le collectif déclenchait une grève coordonnée mobilisant plus d'un millier de personnes sur une trentaine de sites à Paris et dans des départements d'Ile de France.
Au 27 octobre, la liste des "piquets de grève", très détaillée sur le site du mouvement, recensait "4107 grévistes répartis en 47 sites" en Ile-de-France, chantiers, restaurants, agences d'intérim, sièges d'organisations professionnelles... LeMonde.fr, dans un court article, dénombrait 4200 grévistes au soir du 30 octobre.
Depuis son lancement, l'Acte II n'a les honneurs de la presse que de manière épisodique.
Il faut, pour cela, que le mouvement acquière une certaine qualité spectaculaire: un mouvement coordonné, calme et résolu, de grèves et d'occupations ne doit pas être considéré comme suffisamment "vendeur".
De ce point de vue, la mise en place d'un "piquet de grève" dans le haut lieu de la restauration chichiteuse qu'est le Georges, installé sur la terrasse du Centre Pompidou, semble une opération médiatiquement payante.
Hélas ! on continue à demander aux invités des émissions politiciennes leur "sentiment" sur les poursuites engagées contre ce pauvre monsieur Chirac, et non sur l'hypocrisie de la réalité économique et sociale que cette relance du mouvement des travailleurs et travailleuses sans papiers remet en lumière.
Peu de nouvelles parviennent du ministère de l'Immigration, où pourtant on doit travailler à autre chose qu'à la préparation de l'ouverture du grandiose débat sur l'identité nationale.
En effet, d'après Martine et Jean-Claude Vernier:
Dès le 22 octobre, les onze organisations étaient reçues au ministère de l'immigration par une douzaine de représentants de haut niveau du ministère, des préfectures et de la direction du travail. Dans la foulée, deux réunions de travail se sont tenues entre ministère et syndicats.
Les rédacteurs du blogue remarquent aussi que "lorsque les échanges s’engagent en toute discrétion au ministère, ce dernier parle de flux migratoires alors que les instigateurs du mouvement parlent de droit des travailleurs."
Discrétion, c'est le mot.
expulsé sur décision de justice le 28 octobre.
Les grévistes sans papiers ne sont pas reçus au ministère. Leurs interlocuteurs habituels sont les représentants des forces de l'ordre: la police est leur "médiateur social" privilégié comme le rappelle le Quotidien des sans-papiers.
Des évacuations ont été ordonnées, comme celle du siège social de la Fédération des travaux publics, situé rue de Berri, à deux pas des Champs-Elysées. Les grévistes se sont dispersés et se sont redistribués dans d'autres lieux occupés.
Répartis sur une quarantaine de sites, ils ont de quoi tenir...
Et c'est tout ce qu'on leur souhaite: tenir et aboutir.
PS: Il faudrait aussi parler de la présence dans ce mouvement des travailleuses sans papiers. Selon le site du magazine Elle, plusieurs centaines d'entre elles se sont rassemblées, le 28 octobre, devant la gare Saint-Lazare pour manifester:
Sur les pancartes, on pouvait lire « travailler, gagner sa vie, c'est conquérir l'autonomie ». Une autonomie souvent malmenée par la domination des hommes qu’une quarantaine de femmes sans papiers dénonce courageusement dans un manifeste : « N’oublions pas que beaucoup d’entre nous fuient l’oppression masculine qu’elles subissent ici ou dans leur pays d’origine. »
Là-dessus également, discrétion sur toute la ligne...