lundi 19 octobre 2009

La fine oreille du commissaire divisionnaire

A priori, c'est vrai, le concept de solidarité à géométrie variable ne soulève pas chez moi un mouvement d'enthousiasme immédiat.

Aussi ai-je eu tendance à tiquer en visitant pour la première fois le site des soutiens à Samuel et Jean-Salvy, les deux étudiants de Poitiers arrêtés après la manifestation anticarcérale du 10 octobre, et condamnés à de la prison ferme sur la foi de témoignages pour le moins hasardeux...

Le site s'est étoffé, le comité de soutien s'est expliqué, et, si l'occasion m'en avait été donnée, j'aurais sûrement rejoint la manifestation organisée samedi dernier dans les rues de Poitiers, derrière l'unique banderole réclamant "Liberté pour eux et Justice pour tous".

Car le sort de ces deux gamins emprisonnés pour l'exemple est caractéristique de ce qui se met en place actuellement.

Et face à ce qui se met en place, autant être aux côtés de ceux qui, d'une manière ou d'une autre, en prennent conscience. Ils ne sont pas si nombreux.

La banderole en tête de cortège.

Selon la presse, il y avait un millier de personnes pour suivre cette banderole du palais de Justice au parc de Blossac où devait avoir lieu la dispersion, après une courte prise de parole.

Manifestation calme, pacifique et silencieuse, rassemblant les copains, les copines et les familles des deux jeunes gens, ainsi que des élus de Poitiers, et des gens comme vous et moi.

Comme Alain Evillard, poitevin de 59 ans, qui, arrivé à Blossac, n'a pu s'empêcher d'exprimer son indignation: "Le procureur, c’est un salaud, le procureur, c’est un Papon."

Selon La Nouvelle république, monsieur le directeur départemental de la sécurité publique, le commissaire divisionnaire Jean-François Papineau, qui a l'oreille fine, a donné à ses hommes l’ordre d'interpeller sur l'heure le dangereux trublion.

Ce qui fut fait, sans résistance de la part d'Alain.
(Comme on peut le voir, cette photo a été publiée
dans la Nouvelle République.)


Le journaliste de la Nouvelle République poursuit son récit:

La tension monte alors d’un cran quand les policiers veulent sortir du parc Alain. Quelques coups sont échangés entre deux ou trois personnes et des policiers, un des manifestants se retrouve à terre mais c’est davantage une grosse bousculade qui prend le pas plutôt qu’un affrontement direct.

Sur cette "grosse bousculade" les témoignages semblent diverger*...

Laissons-les diverger en paix.

Notons toutefois que, d'après la NR, c'est alors que les policiers présents ferment les grilles du parc de Blossac, sans doute poussés par un légitime besoin bien viril d'exhiber leur force musculaire, car ces grilles doivent peser comme un âne mort.

Ou, mieux, comme un baudet du Poitou défunt.

Gentil et courageux, mais encombrant.

Cette fermeture des grilles, dans une manifestation moins décidément pacifique, aurait constitué une provocation caractéristique, et alors notre ami du quotidien local aurait pu légitimement titrer son article "La manifestation pacifique dégénère à Poitiers".

Madame Catherine Coutelle, députée PS, était présente et a eu avec monsieur Papineau un échange que l'on peut lire sur le site de la Nouvelle République. On y appréciera le sens bien caparaçonné de la diplomatie et du dialogue dont fait preuve le directeur départemental de la sécurité publique face à une députée assez accommodante pour lui laisser le dernier mot...

Le départ des cinq cars de CRS fut applaudi par les derniers manifestants, comme il se doit.

Départ d'Alain vers la garde à vue.
(Comme on peut le voir, cette photo a aussi été publiée
dans la Nouvelle République.)

Quant à notre ami Alain, dont les propos avaient tant irrité le commissaire, il eut droit à une heure et demie de garde à vue.

Fort courtoise...

On pourrait en déduire que, malgré les grands airs qu'il se donne, monsieur le commissaire divisionnaire est bon enfant... Il a peut-être été simplement prudent: Alain Evillard est un employé de la médiathèque François-Miterrand, bien connu et apprécié des Pictaviens qui le savent grand malade cardiaque. Le policier ne pouvait l'ignorer, et a sans doute préféré, au vu des statistiques alarmantes concernant les arrêts cardiaques inopinés en garde à vue, s'en débarrasser le plus vite possible.

A sa sortie**, il a pu donner quelques explications sur l'intervention présumée injurieuse qu'il a faite au pied du monument de la Résistance, dans le parc de Blossac:

"C’est un lieu symbolique : il fallait que cela soit dit."

Et il a ajouté:

"Je suis greffé cardiaque depuis cinq ans, précise-t-il. Paradoxalement, cette faiblesse m’assure d’être relativement protégé de certains abus… Je voulais donc voir ce qui se passerait."

Monsieur Hortefeux devrait penser à doter la police d'un nouveau fichier répertoriant tous les greffés du cœur, du foie et de la rate: ces gens-là sont potentiellement dangereux.

* Pour un témoignage direct, et digne de confiance, voir celui que Mademoiselle a pu poster sur son blogue, grâce à son réseau "tentaculaire".

** Deux autres gardés à vue sont sortis peu après lui.

"Les dossiers ont été transmis au parquet. Ils seront traités avec le recul et la réflexion nécessaire à une décision la plus juste possible, s’agissant de faits relativement bénins si on les compare aux graves violences de la semaine dernière."

A déclaré monsieur Papineau.


PS: Une nouvelle manifestation était prévue ce lundi soir à Poitiers, à l'appel du collectif poitevin contre la répression des mouvements sociaux.

Bref compte-rendu dans le Figaro, qui reprend l'AFP:

Près d'un millier de manifestants ont défilé aujourd'hui à Poitiers pour protester contre l'interpellation de huit personnes et l'incarcération de trois d'entre elles après les violences du 10 octobre dans le centre-ville.

Les manifestants, 800 selon la police et 1.000 selon les organisateurs, répondaient à l'appel du collectif poitevin contre la répression des mouvements sociaux.
Des personnes de tous âges, étudiants mais aussi parents, étaient présents dans le cortège, qui s'est dispersé sans incident après un parcours passant par les rues où ont eu lieu les violences (une vingtaine de vitrines avaient été brisées), et sur la place du Marché où des prises de parole ont eu lieu.

Par ailleurs, une soirée de soutien sera organisée le jeudi 22 octobre, à partir de 19h, à la Maison de Quartier des 3 Cités, avec concert, repas et discussion.

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