Hier matin, à Rouen, comme je descendais avec nonchalance la rue Cauchoise pour me rendre au bureau où je remplis fidèlement la mission dont j'ai la charge, mon attention encore un peu flottante fut attirée par les annonces du scoupe du jour du "journal", qui dans cette région porte le beau nom de Paris-Normandie. Il y était question de CRS refusant de manger halal en Haute-Normandie, chez nous donc, et je me sifflotai vaguement Tiens ! Voilà du boudin, en passant devant le premier panonceau, posé par le buraliste que je boycotte avec détermination.
Ce ne fut qu'au Café de Rouen, sur la place du Vieux (Marché), que je pus parcourir l'article non signé, intitulé Du halal au menu des CRS !
(Notons le discret, mais expressif, point d'exclamation... qu'il faut peut-être entendre comme un point d'indignation.)
La gravité de la situation alimentaire imposée aux membres de la Compagnie Républicaine de Sécurité 31, basée à Darnétal, ne put alors m'échapper: nous étions passés tout près du scénario de Potemkine.
Lors d'un déplacement professionnel en région parisienne, les compagnons républicains de sécurité de la trente-et-une se seraient vu servir, dans une cantine francilienne un plat vaguement exotique appelé couscous, qui était, horresco referens, garni de viande halal.
Et ceci, à leur insu !
D'où leur courroux...
Heureusement, l'engrenage de la révolte et de la mutinerie a pu être évité, grâce à l'esprit républicain de la section locale du syndicat Unité police SGP-FO, majoritaire chez les gardiens de la paix, qui sut synthétiser l'expression du mécontentement général dans un tract-lettre-ouverte adressé à la hiérarchie, et placardé pour information dans les locaux du casernement.
C'est l'AFP qui, dans la soirée du mercredi 28 avril, a révélé l'existence de ce superbe morceau de prose indignée qui serait daté du 6 avril, mais cachotière, l'agence ne donne pas l'intégralité de cette grande page de littérature policière. A lire les quelques extraits qui sont largement repris dans leur graphie d'origine, on ne peut que regretter de ne pouvoir accéder à l'ensemble pour en goûter l'implacable enchaînement des idées, dont la cohérence semble renforcée encore par la très grande virtuosité de style.
Il ne faut pas compter sur une publication de ce tract sur le site de Unité police SGP-FO, puisque "la direction nationale du syndical a très clairement pris ses distances". Monsieur Nicolas Comte, le secrétaire général de l'organisation, a indiqué que cette initiative était purement "locale" et surtout ne reflétait pas "la position de [son] organisation, profondément laïque et républicaine". Quant à monsieur Yan Bertrand, un des responsables d'Unité police en Seine-Maritime, il n'a pas souhaité communiquer sur le sujet.
Or, localement, j'ai peu de contacts avec la CRS 31, et mes connaissances rouennaises qui entretiennent des relations suivies avec ses membres admettent que les contacts ne sont guère amicaux.
Impossible donc d'avoir le texte complet.
D'après les fragments mis à notre disposition, les rédacteurs demandent instamment à leur commandant de faire cesser "des approvisionnements au rituel étranger à nos coutumes".
Ce qu'il argumente, semble-t-il, de deux manières.
D'abord en se plaçant sur le terrain assez vague de la liberté de convictions religieuses, ou anti-religieuses, ou a-religieuses:
Il serait inutile de vous rappeler que tout musulman qui entre dans notre corporation se voit proposer un régime au regard des us et coutumes de sa religion. [Ici, peut-être une lacune] Ce qui ne veut pas dire que les catholiques de notre unité doivent 'avaler' toutes les couleuvres qu'on leur propose et que les athées ou agnostiques ne revêtiront pas la 'burka' après avoir digéré, avec beaucoup de mal, les indigences de nos gérants.
(Quel bonheur d'expression, ce "digéré les indigences de nos gérants" ! Dommage que le sens profond m'échappe...)
Le second argument est plus politique, et semble assez proche des propos de madame Le Pen:
Manger halal, c'est payer l'impôt islamiste. [idem] Nous ne voulons pas être complices de cette déviance, et nous ne voulons plus manger Halal à l'avenir.
(Il semblerait que ce fragment a été, dans un premier temps, mal transcrit par le Figaro ou par l'AFP...)
Le dernier fragment connu est peut-être une sorte de conclusion:
Laisser une telle situation demeurée reviendrait à reconnaître qu'il vaut mieux chez nous être musulman, que laïc, Républicain, diabétique ou en surcharge pondérale (au vu des difficultés à valider nos différents régimes).
Les rédacteurs, qui sont sans doute diabétiques et en surcharge pondérales, s'essoufflent incontestablement, mais ne respirent pas si mal l'air du temps...
Un air saturé d'islamophobie perlée qui, l'avouerai-je, n'est pas trop à mon goût.