lundi 5 avril 2010

Giboulées poétiques sous les képis

L'actualité poétique de ces dernières semaines a été, comme chacun (et/ou chacune) l'aura (et/ou l'auront) remarqué, très chargée.

Monsieur Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et, je crois, de la Communication, vient de nous donner un bel exemple de dévouement, corps et âme, à la grande cause de la poésie populaire en participant, avec le talent qu'on lui connait, à une soirée dédiée au slam.

Avec une délicate modestie, il n'a pas fait étalage de sa virtuosité d'enfileur de rimes au débotté. Il s'est contenté de lire sa feuille. Je ne sais si la composition qu'il interpréta en ce mercredi 24 mars, à Reims, était de sa plume, mais je crois qu'il eût été difficile de faire pire.

Quant à son interprétation, elle se distingue par un manque absolu du sens du rythme, ainsi que du sens du ridicule. Et le déhanchement très sexy auquel s'abandonne le ministre en transe ne peut faire illusion: il n'a malheureusement pas suffisamment d'ampleur.

Tout le monde ne peut avoir la grâce d'un ancien boxeur de quarante ans...





Une telle prestation aurait mérité un rappel à l'ordre, mais il semble que la hiérarchie de monsieur Frédéric Mitterrand ait préféré fermer les yeux sur cet outrage public au bon goût.

Il est vrai que le bon goût n'est pas une vertu républicaine.

On se réjouira, éventuellement, d'apprendre que la hiérarchie de la gendarmerie nationale n'est pas aussi laxiste et s'apprête à sanctionner un certain adjudant A. qui a eu le mauvais goût de publier, sur le site de l'Association de défense des droits des militaires (Adefdromil), un poème de son cru, intitulé Il pleut sous nos képis.

Pourtant, malgré un certain relâchement formel, cet ensemble de quatorze tercets vaguement assonnancés peut dignement soutenir la comparaison avec les vers de mirliton slamés par le ministre protecteur des arts et des lettres:

IL PLEUT SOUS NOS KÉPIS !

Il faisait beau alors, le jour où j’ai signé !

Je me souviens comme j’étais fier de m’engager,

D’être formé à ce métier par mes aînés…

Du bon droit je voulais être le soldat,
Dans le respect des traditions et des hommes.
Du citoyen, à tout faire je serai l’homme !

De ma personne alors, j’ai donné sans compter.
Ma famille dans cette voie s’est trouvée liée.

Mes devoirs étaient les siens sans qu’elle ait signé…

Nos Gradés, nos Officiers étaient nos modèles.
Ils savaient nous motiver et nous ordonner.
Alors nous étions soudés, unis et fidèles…


Nous savions des sacrifices la juste raison,
Et étions tous reconnus “Servants de la Nation !”
De la France, la plus noble et vieille Institution.

Un nouveau Roy fût nommé, et tout a changé.
Diviser pour mieux régner, tel était son but !

Il y parvint bien, précipitant la chute !

Pour ce faire, il choisit bien parmi les nôtres,
Ceux d’entre eux les plus vénaux, les moins fidèles,

Leur fit tant miroiter, qu’il furent ses “apôtres”.

Ces vendus et parjures aujourd’hui, ont ourdi
D’enterrer sans coup férir notre belle histoire…
De nous taire ils nous ordonnent, arguant : “Tout est dit !”

L’un des nôtres osa parler sans démériter,
Se faisant ainsi le râle de notre douleur…
Il fût vite éliminé par ces fossoyeurs !


Aujourd’hui, Sainte Geneviève saigne et pleure,
Je sens bien ses larmes chaudes sous mon képi,
Comme si sur moi SARKOZY faisait son pipi…

Soldats nous sommes, et c’est debout que nous mourrons.
Et à l’instar de CAMBRONNE, “MERDE” nous dirons.
Nous briserons nos armes, mais nous taire “Pas question !”


Nous ne sommes que des hommes, soldats mais citoyens,

Et nos voix dans l’urne pèsent bien pour un scrutin…

Qu’on les entende ensuite, d’étonnant n’a rien.

Nous taire il ne faut point, surtout si c’est la fin !

Au pays des Droits de l’Homme, on dénie les miens.
Fidèle, loyal je suis, muet je ne suis point.

Même si tout est fini, que prévue est la fin,

Nous n’irons au sépulcre qu’après avoir tout dit.
Geneviève, Chère Patronne, Il pleut sous nos képis !


Adjudant A.


Dédié au Chef d’Escadron Jean-Hugues MATELLY


(Copicollage sans corrections.)

Sainte Geneviève, patronne de la gendarmerie,
statufiée sans képi par Pierre Hébert,
sur la façade de l'église Saint-Étienne-du-Mont.


Ce n'est pas, contrairement à ce que l'on pourrait croire, pour avoir foulé aux pieds le principe républicain de laïcité en évoquant et invoquant la sainte protégeant la gendarmerie, que l'adjudant A. risque d'être sanctionné:

La DGGN a indiqué qu'une enquête "de commandement" a été diligentée contre ce "militaire auteur" d'un "écrit outrageant". Un "dossier disciplinaire est en cours d'instruction" à son encontre et il fait l'objet d'une "suspension administrative", a-t-elle confirmé.

Impardonnable outrage, assurément, que d'user de cette image du souverain lâchant du haut de son nuage élyséen son petit pluie-pluie sous les képis.

(Pour moi, cela serait plutôt un indice supplémentaire du très grand risque de régression infantile qui accompagne la vie sous l'uniforme...)

En cadeau, un képi à colorier.

Le délit d'outrage n'est bien sûr qu'un prétexte. Personne ne doute que l'on a suspendu et que l'on va radier, ou dégrader, ou que sais-je encore, l'adjudant A. pour avoir voulu, sous cette forme ampoulée, exprimer son soutien au ci-devant chef d'escadron (commandant) Jean-Hugues Matelly.

Jean-Hugues Matelly, qui, en dehors de ses heures de service, n'est pas poète du dimanche, mais chercheur associé au CNRS, s'était exprimé, en cette qualité, de manière critique sur le rapprochement police-gendarmerie qui devenu effectif au 1er janvier 2009.

On peut toujours lire l'article sur ce sujet qu'il a co-signé avec Christian Mouhanna et Laurent Mucchielli à l'adresse indiquée dans l'un de mes vieux billets.

Le jeudi 25 mars, le chef d'escadron Jean-Hugues Matelly a été radié des cadres par "mesure disciplinaire" par un décret du président de la République pour "manquement grave" à son obligation de réserve.

Le lendemain, au lieu d'aller prier devant la châsse de sainte Geneviève, il a déposé un recours en référé devant le Conseil d’Etat pour suspendre cette mesure disciplinaire.

Comme nos médias de référence semblent abandonner le suivi de cette affaire, il faut consulter le site de "L'Essor de la gendarmerie nationale" pour avoir quelques informations sur son évolution.

On peut y lire, en date du 29 mars, que deux sénateurs, vice-présidents de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, messieurs Didier Boulaud (Nièvre) et Jean-Louis Carrère (Landes), tous deux socialistes, ont demandé l'audition des ministres de l'Intérieur et de la Défense pour obtenir des explications sur la sanction prise à l'encontre de Jean-Hugues Matelly.

On peut y apprendre que, le mardi 30 mars, le Conseil d'Etat a rejeté le "référé liberté" déposé par le chef d'escadron, estimant qu'il n'y avait pas urgence. Monsieur Matelly et son avocat, maître David Dassa-Le Deist, se seraient déclarés surpris "car le Conseil d'Etat ne statue que sur la question de l'urgence et pas sur le fond", autrement dit "la question de la liberté d'expression et de la recherche". Ils ont fait part de leur volonté de "poursuivre dans la voie judiciaire" en déposant maintenant un référé-suspension.

Quant à la demande des deux sénateurs, elle a reçu, le 31 mars, une fin de non recevoir de la part du président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, monsieur Josselin de Rohan-Chabot (UMP), qui a répondu:

"Il ne m'appartient pas, pas plus qu'à notre commission, de nous prononcer sur une décision disciplinaire à caractère individuel qui relève de la seule responsabilité du pouvoir exécutif."

Monsieur le quatorzième duc de Rohan, comte de Porhoët et de Lorges, marquis de Blain et de La Garnache, baron de Mouchamps, seigneur de Héric et de Fresnay, a parfaitement raison:

L'exécutif exécute !

Tout le reste n'est que poésie.

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