mardi 22 juin 2010

Enfermement ou enfermement ?

Il semble bien que la France soit l'une des rares nations à disposer, dans son gouvernement, d'un ministre dédié à la Relance (pour être précis, d'un "ministre auprès du Premier ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance"). Cette fonction est occupée, rappelons-le à ceux qui l'auraient oublié, par monsieur Patrick Devedjian, membre éminent de l'UMP et président du conseil général des Hauts-de-Seine. On peut supposer que ses attributions embrassent, et sur un large spectre, tout, absolument tout, ce qui peut être l'objet d'une relance dans le pays : au moindre fléchissement devrait apparaître le ministre relanceur, afin de redonner l'impulsion survitaminée qui convient au secteur défaillant.

Hélas ! Il est probable que la volonté du ministre de la Relance a dû fléchir devant l'ampleur de la tâche, puisqu'on ne le voit pas là où il devrait être...

Je n'en retiendrai pour preuve que son absence en Afrique du Sud, aux côtés de notre équipe de foute complètement déballonnée par les consignes loufoques de son sélectionneur-entraineur.

Au lieu de cela, et alors que l'on voit madame Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, tenter de porter remède à cette défaillance collective des Bleus, monsieur Patrick Devedjian s'est rendu aujourd'hui à Saint-Etienne-du-Rouvray, dans l'agglomération rouennaise, truelle à la main, pour y poser la première pierre d'une Unité pour malades difficiles (UMD) qui doit être construite au sein du centre hospitalier spécialisé du Rouvray (CHSR).

Précisons que le CHSR est un hôpital spécialisé en psychiatrie, et que l'expression "unité pour malades difficiles" est un euphémisme désignant un lieu d'enfermement destiné à retrancher du monde les malades mentaux que l'on considère comme dangereux.

Il est possible que la présence de monsieur Devedjian marque tout de même une relance, celle de la politique psychiatrique sécuritaire de monsieur Sarkozy.

Qui n'en avait pas franchement besoin, car c'est un domaine où l'on n'a guère noté de fléchissement.

Mais cela occupe monsieur Devedjian.
En novembre, il relancera le chrysanthème.

C'est en 1860 que fut posée la première pierre de la prison Bonne Nouvelle, qui est, à Rouen, le lieu d'enfermement réservé aux personnes reconnues saines d'esprit et responsables de leurs actes. Elle fut "ouverte" en 1864, et devrait être désaffectée aux environs de 2015.

C'est dans cette prison que le mathématicien André Weil fut incarcéré en 1940. Il se trouvait à Helsinki lorsque la guerre a éclaté, et soupçonné d'être un espion, il fut arrêté par la police finlandaise. Finalement reconduit en France, il y fut condamné à 5 ans de prison pour insoumission. Il a été libéré en mai 1940, et a pu rejoindre les États-Unis en janvier 1941.

Constatant "personnellement les avantages considérables qu’offre pour la Recherche pure et désintéressée le séjour dans les établissements de l’Administration pénitentiaire", il rédigea, à l'intention des membres du groupe Bourbaki, qu'il avait contribué à fonder, un manuscrit sur la théorie de l'intégration, alors en discussion.

Il est probable qu'André Weil, malgré son humour, aurait du mal à trouver, de nos jours, les mêmes "avantages considérables" à la maison d'arrêt Bonne Nouvelle, qui, avec une capacité théorique de 650 places accueille régulièrement jusqu'à 800 prisonniers.

Récemment, le tribunal administratif de Rouen a condamné l'administration pénitentiaire à indemniser 38 détenus ou anciens détenus de la maison d'arrêt de Rouen, pour des conditions de détention jugées contraires au principe de la dignité humaine, les indemnités accordées allant de 350 à 17 500 euros, selon la durée de la peine.

Dans ses attendus, [le tribunal administratif de Rouen] a souligné que les cellules de 10 à 13 m2, où sont incarcérés jusqu'à trois détenus, ne comportaient pas, "pour la plupart d'entre elles, de ventilation spécifique du cabinet d'aisance" ni de "cloisonnement véritable avec la pièce principale". Il a jugé que ces conditions constituaient "un manquement aux règles d'hygiène et de salubrité".

Considérant que le tribunal "n'avait pas tenu compte des efforts faits", madame Michèle Alliot-Marie a fait appel de cette décision devant la Cour administrative de Douai, en espérant qu'elle saura rendre justice des bonnes intentions affichées de la chancellerie.

Si, demain, on la rase gratis,
le premier coup de pioche
sera-t-il donné par monsieur Devedjian ?


C'est dans cette prison-là que se sont produits les faits pour lesquels est jugé, depuis hier, celui que la presse nomme "le cannibale de Rouen", avec, parfois, des guillemets autour de "cannibale".

Selon le récit du Monde-AFP:

Le drame s'était déroulé le 2 janvier 2007 à la suite d'une querelle sur l'hygiène dans la cellule. Obéissant "à une pulsion d'agressivité", Nicolas Cocaign, alors âgé de 35 ans, avait frappé à coups de poing et de pied ainsi qu'avec une lame de ciseaux Thierry Baudry, 41 ans, avant de l'achever en l'étouffant avec des sacs-poubelles. Puis, Nicolas Cocaign avait préparé son repas du soir avec l'intention de manger le cœur de sa victime. Avec une lame de rasoir, il avait découpé le thorax de Thierry Baudry, enlevé une côte et prélevé un organe qui s'est avéré être par la suite un morceau de poumon et non le cœur. Il avait mangé une partie crue et avait cuisiné le reste avec des oignons sur un réchaud de fortune. "Je voulais prendre son âme", expliquera-t-il au juge d'instruction, qui le mettra en examen pour homicide volontaire accompagné d'actes de torture et de barbarie.

(Il faut ajouter que ces actes ont été commis en présence d'un troisième détenu, qui a été suspecté de complicité, et s'est suicidé à la prison d'Evreux.)

Le moins qu'on puisse dire - mais pourquoi ne pas dire ce "moins" ? -, c'est qu'il faut avoir l'entendement singulièrement disloqué pour en arriver à un tel passage à l'acte...

Mais les experts en discuteront, et le verdict dépendra de leurs conclusions.

Sans surprise : prison ou UMD, ce sera toujours l'enfermement.



PS (anecdotique) : André Weil n'est pas le seul personnage éminent jadis accueilli dans les locaux de la maison d'arrêt de Rouen...

Du moins si l'on en croit ces extraits du livre de Frédéric Charpier, Génération Occident (Le Seuil, 2005), cités par Ras L'Front - Rouen:

"...une vingtaine d'individus, blousons ou manteaux de cuir noir, a traversé le brouillard. Ils brandissent des barres de fer, l'un d' eux un trident. Le raid est ponctué de cris et de hurlements, quelques-uns, stridents, de douleur... Occident a importé sa violence sur le campus de la fac de Rouen. Un militant de la JCR, Serge Bolloch(1) a la boîte crânienne enfoncée... François Duprat (NDLR : militant néo-nazi) va fournir à la police la liste de ceux qui ont participé au raid... Le 8 février 1967 une vingtaine de militants d' Occident sont interpellés, gardés à vue, transférés à Rouen et écroués à la prison Bonne-Nouvelle... Patrick Devedjian, Patrice Gelinet ou Gérard Longuet en seront rapidement extraits. Alain Madelin, Patrick Souillard et Alain Robert n'en sortiront que plus tard... Les accusés comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Rouen le10 juillet 1967..."

(1) Note de RLF : Seront également blessés lors de cette agression : Jean-marie Canu, Laurent Marx, Claude Déron et Anne-marie Gourvennec.


Sur le même sujet, on peut aussi lire ce billet du blogue Droite(s) Extrême(s), qui se termine sur une anecdote drolatique.

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