Depuis qu'il m'a saoulé avec cette histoire, je le surnomme Bébel.
Comme Belzébuth, alias Baal Sebud, le maître des mouches.
pour le Dictionnaire infernal
de Jacques Auguste Simon Collin de Plancy, 1863.
de Jacques Auguste Simon Collin de Plancy, 1863.
Bébel est un de mes voisins de Trifouillis-en-Normandie. Il s'agit d'un voisin assez éloigné, une sorte de voisin issu d'issu de germain, si l'on veut se faire une idée du degré de voisinage que j'entretiens avec lui. Il habite vers le terrain de foute.
L'autre jour, il voulait entrer à la poste quand je voulais en sortir. Sur le perron, nous en vînmes rapidement, après quelques salutations campagnardes, à échanger de profondes considérations météorologiques à base de saints de glace. Il en profita pour m'annoncer que le redoux, qui, on s'en souvient, avait précédé le redur des ci-devant saints de glaces, s'était traduit par une véritable invasion de mouches dites "à viande" qui avaient conchié ses murs, plafonds et, surtout, toiles cirées et rideaux.
Pendant ce récit, son dernier rejeton, sweat à capuche et falzar taille ras-l'pubis, avec un fond de braguette aux genoux, se fendait l'âme en de grands soupirs désespérés.
Il m'expliqua que, "comme par hasard", avant que cette calamité ne s'abatte sur lui et sa famille, un groupe de "manouches" avait eu l'autorisation de s'installer sur un terrain situé au-delà du terrain de foute. La mairie y permet parfois de courts séjours aux "gens du voyage" qui ne peuvent stationner ailleurs dans notre "communauté de communes", sous-équipée en "aires d'accueil". Ce n'est pas tout près, mais pas si loin que cela de chez lui, puisqu'il pouvait "les" voir de sa fenêtre, m'assura-t-il. Preuve que les rideaux n'étaient pas à ce point maculés de déshonorantes chiures de grosses mouches bleues.
Alors son fils, en levant les yeux vers le peu de ciel que sa frange lui permettait de contempler:
- En mêm'temps, "elles" sont parties quand t'as viré l'pigeon crevé qu'était au garage... Et "eux", sont partis deux jours après.
- Et alors ? Justement !
Répliqua Bébel, sur un ton qui n'attendait pas de réplique.
Et il n'y en eut pas: le guichet s'étant libéré, Bébel s'y présenta, et je pus m'esquiver, adressant un geste de condoléances impuissantes au jeune colombophile, qui savait mieux que moi quelle épaisseur de couenne il aurait fallu traverser pour espérer toucher la raison paternelle.
Je me demande s'il y a, sur notre territoire, un autre groupe que celui des Rroms pour susciter, chez les "braves gens", des sentiments de rejet xénophobe exprimés d'une manière aussi naïve et résolue. Et pour me rappeler avoir entendu, dans mon enfance vieille d'un demi-siècle, que le passage des "romanos" pouvait avoir provoqué des avortements dans les troupeaux de bovins, j'en arrive à m'interroger sur la profondeur pathologique de cette puissance maléfique attribuée par la stupide "sagesse populaire" aux gens de passage.
Du côté des têtes pensantes qui croient posséder la maîtrise de nos vies, et où l'on possède un sens minimal du ridicule, on préfère ne pas reprendre des allégations de ce type, bien entendu.
Elles sont simplement remplacées par l'utilisation, guère plus subtile, des mécanismes habituels de la xénophobie institutionnelle qui vise, avec toute l'apparente scientificité que permet l'usage de "chiffres" choisis, à constituer une partie de la population comme un "groupe posant problème".
Quelques chiffres bien présentés, mais sans commentaires...
(Source: article du Figaro du 11 juin 2010)
(Source: article du Figaro du 11 juin 2010)
Avec son titre lumineux : Mobilisation contre la délinquance rom, et ses "mots clés" éclairants : Délinquance, Groupes Mafieux, Cambrioleurs, FRANCE, Roumanie, ROM , l'article de monsieur Christophe Cornevin, paru le 11 juin 2010, est un bel exemple de cette stratégie bien rodée.
Monsieur Cornevin, qui est "grand reporter" au Figaro, et spécialiste des questions de sécurité, tenait, ce jour-là, à informer ses lecteurs de l'importante décision, dont "l'impulsion, très ferme, est venue du plus haut sommet de l'État", visant à mettre en place "un plan d'action spécifique" pour faire face à "l'épineuse question des délinquants itinérants originaires d'Europe de l'Est, et de Roumanie en particulier".
Avec un art consommé de la formule qui marque, notre expert présente ainsi "l'épineuse question" posée par ces "délinquants itinérants":
Placés sous la férule de groupes mafieux les obligeant à vivre dans des conditions de vie délétères, nombre de ressortissants notamment issus de la communauté des Roms sont contraints de mendier, voler et cambrioler pour le compte de donneurs d'ordre retranchés dans les Carpates.
Pour bien nous faire comprendre "l'ampleur du problème", notre "grand reporter" détaille un fait divers survenu dans la région de Montbéliard, qui a été "porté à la connaissance du Figaro", c'est-à-dire, comme par hasard, à la sienne :
Dès 6 heures, 150 policiers et gendarmes ont investi un campement abritant un gang de cambrioleurs écumant le Doubs et la Franche-Comté. «Déposées par des complices en voitures, des adolescentes s'introduisaient dans des pavillons, forçant portes et fenêtres, afin de s'emparer des bijoux et du numéraire», explique un enquêteur. Au total, 18 suspects, 9 majeurs et 9 mineurs dont 3 âgés de moins de 13 ans, ont été interpellés. Près d'une cinquantaine de faits sont d'ores et déjà imputés à la bande vivant en caravane, reléguant les plus jeunes dans des tentes situées en périphérie. Outre plusieurs milliers d'euros en espèces, les enquêteurs ont découvert une «cache» recelant près de 75 bijoux en passe d'être écoulés clandestinement. Deux voitures, dont une Jaguar utilisée pendant les vols, ont été confisquées.
Cet éloquent exemple n'étant peut-être pas suffisant pour le lecteur moyen du Figaro qui se moque pas mal de ce qui se passe vers les confins jurassiens, monsieur Christophe Cornevin prend bien soin de donner des chiffres alarmants concernant l'Ile de France, également durement touchée par ce "type de fléau".
Il peut alors rassurer son lecteur:
Le plan de bataille du gouvernement prévoit de faciliter la reconduite à la frontière de toute personne impliquée dans des troubles à l'ordre public ou n'étant pas en mesure de justifier de ressources depuis plus de trois mois.
Par ailleurs, à l'initiative de Brice Hortefeux, un fichier d'empreintes digitales recensant toutes les personnes bénéficiant de l'aide au retour sera mis en œuvre à la rentrée afin d'éviter que certains individus ne reviennent clandestinement en France pour percevoir une seconde fois une aide financière. Enfin, une circulaire sera adressée dans les prochains jours par le ministre de l'Intérieur aux préfets afin de leur expliquer la possibilité qu'ils auront, dès l'automne prochain, d'évacuer les occupations illicites de terrains, qu'ils soient publics ou privés. Ces mesures inédites pourront être prises par une simple décision administrative, sans passer par l'actuelle phase judiciaire, plus longue et fastidieuse.
Quand Bébel découvrira cela, il sera content...
Plus de mouches !
Post-Scriptum:
Puisque monsieur Cornevin réactive la mythologie des "mafieux des Carpates", profitons-en pour indiquer que l'on peut (re)voir l'émission d'Yves Calvi, "C dans l'air", diffusée le 11 février 2010, sur France 5, qui portait le titre sans ambiguïté de Délinquance : la route des Roms, à l'adresse suivante : http://www.leracismealecran.info/
Les associations « La voix des Rroms », « Rromani Baxt », « Centre de recherche et d’action sur toutes les formes de racisme », « Ternikano Berno », « Femmes rroms, sinté et kalé », ainsi que l’Union rromani internationale, ont saisi le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel qui a adressé, le 11 juillet 2005, une mise en garde à la chaîne.
Plainte a été déposée, et, le 7 mai 2009, un premier jugement a condamné France Télévisions et Yves-Marie Laulan, invité de l'émission, pour provocation à la haine raciale envers les Rroms.
Une audience d'appel s'est tenue à la mi avril, et l'affaire a été mise en délibéré au 1er juillet 2010.
(Inutile d'attendre que les médias en parlent. Il faut plutôt consulter La Voix des Rroms, agence de presse ou blogue.)
4 commentaires:
L'itinérance des gens du voyage n'est pas facilitée par l'administration française qui les oblige à avoir un carnet de circulation . Comment ne pas renvoyer l'image de pestiférés lorsque vous êtes "estampillés"
comme citoyens différents des autres par la loi .
Les bébels , hélas , ne sont pas qu'en Normandie .
Avec maintenant un "plan d'action spécifique", la différence se creuse encore...
Nombreux sont les bébels de partout qui n'y voient pas de discrimination.
«Porté à la connaissance du Figaro» ? On a beau chercher des références — dans l'article de M. Cornevin, dans L'Est républicain, dans dix pages de Gougueule à coups de mots-clé agencés en tous sens : rien, rien que «... porté à la connaissance du...»... «...porté à la connaissance du...», nœud coulant qui se resserre à chaque cran de cette citation reprise en boucle.
La brillante construction de «l'espace européen» (ça s'appelle bien comme ça ?), dont on sait qu'il inclut la Grèce, inclut aussi la Roumanie. Je cherche l'erreur. Pour m'aider sans trop me fatiguer, j'aimerais bien, moi aussi, disposer de fantômes en livrée, déférence, plateaux d'argent, s'avançant pour «porter à ma connaissance» les fumets du mensonge*.
* Jusqu'à plus ample informé (je ne voudrais pas attirer d'ennuis stériles à si un glamouresque «homme comme Vous»).
Un peu off : c'est marrant, ces petites boîtes précieuses de Couennes Confites : on en trouve aux Restaus du Cœur avec une étiquette joie-de-vivre, ça s'appelle Pâté de Volaille, c'est marqué en petit «peaux de volaille 60%, mis en œuvre dans la CEE, don de la CEE», c'est tout gluant, même l'Archiduchesse de La Feignasserie n'en veut pas. Sans doute parce que les 40% restants sont de la couenne de transfuge moulinée avec les parties molles de la Jaguar — tiens, celle-là, les connaisseurs licencié(e)s ès bagnoles de Peugeot-Sochaux-Montbéliard, ils n'ont pas pensé à la signaler chez la police ?
Marrant (euh...) aussi : il y a à peine un an, on y allait encore avec la pince à sucre des «points Godwin». Trop petite, la pince.
Ah mais, n'oublie pas que notre journaliste est "grand reporter" et débusque comme qui rigole de l'exclusivité et du scoupe. C'est un métier !
Je m'insurge, en revanche, à propos de cet "amalgame" que tu fais entre les délicates couennes confites que l'on trouve en Quercy (et alentours) et le "pâté de volaille" que l'on distribue aux pauvres de la CEE.
Quant aux "points Godwin", pfff... c'est dépassé. on ne parle plus que de points de retraite, et de notre AAA, à précieusement conserver.
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