jeudi 28 octobre 2010

Routine de fin de manif pépère à Rouen

"N'import'comment, tant qu'y s'ront pas passés, nous on est là."

L'accorte petite dame, sur son pas de porte, a pris un air bien rassuré.

Il est vrai que travailler au secrétariat de la permanence de l'UMP rouennaise, un jour de manifestation, ce n'est peut-être pas très rassurant quand on est émotive, mais, après tout, elle aurait pu se mettre en grève.

Son interlocuteur est ensuite parti rejoindre ses collègues, de la variété policière usuellement nommée flic-en-civil, qui s'étaient placés en faction de part et d'autre de l'accès de la place de la Haute-Vieille-Tour par la rue Grand-Pont. La place elle-même était "sécurisée" par un groupe de policiers en tenue, avec boucliers, casques à la ceinture et tout leur barda prétendument défensif.

Tout cela m'a semblé assez disproportionné, car, pour passer par là, le cortège aurait dû se détourner de son itinéraire officiel qui devait le mener du cours Clémenceau (rive gauche) à l'esplanade de la Préfecture (rive droite) après avoir emprunté trois ponts...

J'ai supposé que tous les points stratégiques de la ville de Rouen étaient ainsi placés sous la protection des forces de l'ordre, et que, par manque d'attention, en traversant la ville pour me rendre dans ce quartier, je n'avais remarqué que ce petit groupe de protecteurs de nos libertés. Je suis tellement distrait.

Après avoir abandonné l'escouade de civils à leur faction, j'ai baguenaudé avec 40 000 personnes, selon les organisateurs, et beaucoup moins, selon la préfecture.

On pouvait parfois noter, dans le cortège, la proximité d'allo-ouine.

Photo: Sylvain Fillastre/Paris-Normandie.

Et j'ai cru reconnaître monsieur François Chérèque de passage incognito.

Sylvain Fillastre ne l'a pas raté.

A l'approche de l'esplanade de la Préfecture, j'ai pu constater qu'au moins un autre site stratégique de la ville de Rouen était placé sous protection policière. En suivant la perspective des quais, l'œil pouvait se perdre dans un horizon monochrome, non de ce bleu délicat que l'on nomme bleu-horizon, mais bleu-flic. Un barrage de scarabées avait été mis en place, avec de forts effectifs, pour empêcher l'accès au siège du Médef.

Or une partie des manifestants comptait bien rendre à cet organisme l'hommage qui lui revenait. Un appel au format plutôt réduit avait été diffusé:

Depuis deux jours, le gouvernement et ses alliés annoncent la fin du mouvement pour mieux nous enterrer. Pour leur montrer que l'on [n']en a pas fini et que l'on ne s'arrêtera pas là, retrouvons nous place Pasteur à la fin de la manifestation puis devant le MEDEF pour un grand concours de jets d'œufs pourris.

Comité d'Action Étudiant

Il ne faut pas trop s'étonner de constater que le journal local, dans La mobilisation du 28 octobre en direct , ne parle pas de cet essai de dialogue avec les représentants hauts-normands du Médef. A Paris-Normandie, on doit avoir des horaires stricts.

Après les prises de paroles devant la Préfecture, et, il faut bien le dire, quelques frictions avec le service d'ordre de la CGT - qui désapprouvait ce prolongement de la manifestation -, plusieurs centaines de personnes se dirigèrent en bon ordre en direction de la ligne bleue qui barrait l'avenue. L'horizon s'agrémenta des nuées bleutées des gaz lacrymogènes qu'un vent fripon rabattit sur les forces de l'ordre. Cela ne les gêna pas trop pour montrer leur force...

Pendant ce temps, l'esplanade se vidait et quand le groupe des audacieux se replia, toujours en bon ordre, et la tête haute, il ne restait plus qu'eux et quelques personnes qui étaient restées, mais s'étaient placées à l'écart des lacrymogènes.

Hésitation sur la suite, désir de rester ensemble, le groupe lanterna un moment, en contre-bas de la Préfecture, avant de s'effilocher le long des quais pour rejoindre le boulevard des Belges, à la hauteur du pont Guillaume le Conquérant. De mon côté, je préférai remonter un peu vers la Préfecture pour rejoindre le boulevard à la hauteur du Rectorat.

Tout semblait calme sur le boulevard que je commençai à descendre, sauf l'arrivée soudaine de quelques voitures de police, qui vinrent se placer au départ de la bretelle d'accès au pont Guillaume. Une douzaine ou une quinzaine d'hommes en bleu-nuit, accompagnés de quelques auxiliaires féminines, en descendirent et coincèrent quelques personnes qui rejoignaient le boulevard par la rue Duguay-Trouin, ou plutôt par le passage piétonnier qui la termine à cet endroit. L'action fut rapidement exécutée, puis s'installa dans la durée, pour ce que je pensais, au début, être un simple contrôle. Avec palpation, face au mur, tout de même...

Parmi les personnes ainsi "contrôlées", une femme attendait son tour. Une cinquantaine d'années, peut-être; elle avait décidé de ne pas engraisser les laboratoires L'Oréal, et affichait ses cheveux blancs. Brusquement, elle fut bousculée et jetée à terre par deux policiers. Elle y fut probablement molestée réglementairement, puis relevée et mise contre le mur.

Un curieux qui avait voulu prendre des photos, et s'était approché, s'était fait courser par l'un de ces messieurs; et je me sentais en état d'infériorité numérique, je l'avoue. Je ne pouvais qu'enregistrer dans ma mémoire ce déchaînement de violence, inutile, brute et froide.

Cinq personnes ont été embarquées, dont la femme qui avait été jetée à terre.

J'ai appris ensuite que d'autres manifestants avaient été raflés, après avoir été coincés, sous le pont, par des voitures de police où, leur a-t-on hurlé, il restait des places.

Et aussi, qu'un jeune homme avait été jeté dans une voiture de flics-en-civil en arrivant chez lui, très loin du lieu de la manifestation.

Que va-t-on tenter de reprocher à ces personnes ?

Peut-on leur reprocher, sérieusement, d'avoir voulu lancer des œufs sur la belle façade du Médef ? Mais cela, tout le monde rêve de le faire !

Ou alors va-t-on leur reprocher de n'avoir pu, puisqu'on les tenait éloignés du Médef, atteindre que les représentants de la force publique ?

Peut-être...


PS: Aux dernières nouvelles, 8 personnes ont été interpelées, la plupart du temps loin du lieu de la manifestation. 5 ont avoué des jets d'œufs colorés, et répondront de cette grave atteinte à l'ordre public le 10 janvier. Pour les 3 autres, il est prévu qu'ils passent la nuit à l'hôtel de police.
Quant aux personnes que j'ai vu embarquer, elles ont été libérées sans charge retenue contre elles. Elles auraient fait part aux policiers de leur indignation de manière trop explicite...

3 commentaires:

Anne a dit…

Je faisais partie du groupe de personnes contrôlées par les CRS au pied du pont Guillaume dont vous parlez. J'avais manifesté le matin et, comme vous, j'ai suivi le groupe qui allait vers le Medef, curieuse de voir ce qu'il allait se passé, j'ai assisté au jet d'oeufs et pleuré à cause des gaz lacrymo. Après, j'ai continué ma petite balade jusqu'à la place Pasteur, puis voyant que le mouvement se terminait, j'ai entrepris de rejoindre le centre-ville en longeant le quai. J'ai été surprise et inquiète de voir débarquer les CRS au pied du pont. Je suis passé sous le tunnel piétonnier pour comprendre qui ils attendaient. J'ai croisé un petit groupe, qui, comme moi, revenait tranquillement de la manif. Et on s'est retrouvé soudainement entouré de CRS, qui nous ont demandé de nous mettre contre le mur et de présenter une pièce d'identité. L'un des hommes avait, malheureusement pour lui, un couteau sur lui, un souvenir de vacances qu'il utilise pour son travail, ont tenté d'expliquer aux CRS les personnes qui l'accompagnaient. Deux femmes, qui ont protesté, ont été mises de côté puis menottées. Un couple plus âgé, qui passait près de nous pendant le contrôle, s'est arrêté pour comprendre ce qui se passait. L'homme et la femme ont refusé de partir et, soudainement, les CRS les ont maitrisés violemment. Il s'agit de la femme aux cheveux grisonnants dont vous parlez et de son mari. Pendant ce temps, les CRS nous entouraient, nous demandant de ne pas bouger, nous précisant même nous avions perdu nos droits le temps du contrôle. Leur chef nous a dit que nous allions tous être fichés. Dans lequel et pour quel motif ? Je n'en sais rien. J'ai préféré me taire pendant ce contrôle, quand j'ai vu comment ils se comportaient. Je suis journaliste - j'étais à la manif à titre personnel, pas pour le boulot - et je n'ai pas osé le dire, vu les vidéos qui tournent en ce moment sur internet sur le comportement de CRS vis-à-vis de mes collègues.
Bref, drôle d'expérience...

Saby a dit…

Je suis vraiment horrifiée de ce qui se passe en France (et autre pays qui devienne facho). Pendant que les gens se battent pour des droits, ils perdent le droit le plus élémentaire et le plus humain, celui de la dignité, et cela ne semble pas lever un "ras-le-bol" envers les répressions exercées par les forces de l'ordre.

Guy M. a dit…

@ Anne,

J'ai hésité à poster mon témoignage, le sachant très partiel, vu de loin, etc. Merci de le compléter avec le vôtre.

D'autant plus que ce que vous dites confirme l'impression que j'ai eue d'assister à une scène banale pour un état policier en cours d'installation. Un représentant de l'autorité précisant aux passants retenus par lui qu'ils ont perdu leurs droits le temps du contrôle, voilà qui fait réfléchir...

Et c'est glaçant.

@ Saby,

Le ras-le-bol était sensible chez les quatre ou cinq personnes avec lesquelles j'ai assisté à cette scène...

Pure violence verbale, bien sûr, mais elle m'a étonné de la part de citoyens lambda.