Comme le professaient mes bons maîtres, pour éviter les jugements hâtifs, il faut savoir rester dubitatif.
Alors, je suis dubitatif.
Mais il me semble que le cynisme de certains "responsables" politiques n'est pas loin de se satisfaire d'apprendre que deux lycéens ont été sérieusement blessés, ce mardi à Caen, et ce jeudi à Montreuil, présumément par de présumés membres des présumées forces du présumé ordre.
D'abord, comme dit mon boucher quand je lui fais remarquer qu'il me fait la pesée du bourguignon au prix du faux-filet, "y a pas mort d'homme, heu, heu...". Et cela montre bien que nos matraqueurs assermentés sont bien équipés d'armes non létales, qui demeurent non létales même utilisées sous des angles que l'on soupçonne être à peine réglementaires - car le règlement ne prévoit pas, tout de même, qu'elles servent à défoncer des crânes ou défigurer des visages.
Ensuite, ces deux accidents ou incidents, selon l'appréciation du locuteur, pourront servir d'exemples des dangers, maintes fois mis en avant ces derniers jours, qu'il y a pour "la jeunesse de France" à participer à des manifestations sur la voie publique. A défaut de pouvoir convaincre les moins de 25 ans à rester dans les jupes de leur maman, on peut espérer que cela pourra au moins flanquer une bonne trouille à ces petit(e)s salopiaud(e)s. Il ne sera pas inutile d'accompagner ces considérations d'ouvertures d'enquêtes confiées à la "Police des polices", d'une suspension de l'usage des flash-balls en Ile-de-France (sauf cas de "légitime défense") ou de recommandations ministérielle attirant l'attention des forces de l'ordre sur "la nécessité d'être particulièrement vigilant sur les conditions d'intervention et de limiter l'usage de la force au strict nécessaire".
Enfin, les commentateurs vont pouvoir broder avec brio sur la responsabilité des "irresponsables". Il suffit de lire quelques unes des notules qui accompagnent les articles consacrés à ce sujet par d'estimables quotidiens. On y constate que "ça leur apprendra à aller faire les marioles devant les flics au lieu d'aller tranquillement en cours". On s'y interroge sur ce qu'ont dans la tête les parents qui laissent leurs gamins traîner dans les manifestations. On y peste contre ces "profs incapables qui ne savent même pas tenir leurs élèves en classe". On y invective les syndicalistes de tout poil qui poussent les jeunes à les rejoindre, et l'on n'oublie pas de déverser diverses insanités sur mesdames Aubry et Royal, qui, en plus d'être membres de l'opposition, sont également, cela n'échappe pas à nos vomisseurs et cela les inspire, des femmes.
Pas de doute, l'opinion arrive à suivre... Suffit d'être assez simpliste.
Je n'ai pas vérifié, mais il est possible que madame Voynet en prenne elle aussi "fidèlement sa part". Intervenant hier, vers 15h, au Sénat, elle s'est adressée directement à monsieur Éric Woerth, représentant du pouvoir, à propos des événements survenus le matin même devant le lycée de Montreuil:
Lacrymogènes, fumigènes et puis, en toute incompréhension, des tirs de flashball et un enfant blessé, encore, au visage, ce matin. Un enfant de 16 ans, avec 3 fractures sur le visage... Alors j'ai bien compris que vous cherchiez à faire porter sur la gauche la responsabilité de troubles que votre aveuglement et votre surdité seuls expliquent. J'ai bien compris que vous étiez en difficulté face à la rue, face à la légitimité des manifestations.
Monsieur le ministre, on pourrait comprendre, on pourrait tomber d'accord sur le fait que c'est d'abord aux adultes de lutter pour leurs retraites. on pourrait tomber d'accord sur le fait que ce sont là des préoccupations bien lourdes pour de jeunes adolescents.
Mais je vous pose la question en vous montrant la balle reçue par ce jeune de 16 ans : le pouvoir est-il à ce point fébrile qu'il en soit réduit à ce genre de provocation ? Que vaut donc un pouvoir politique et quelle est sa légitimité quand il en est réduit à tirer sur ses enfants?
La vidéo de cette intervention est disponible sur wat-point-tv. Elle comporte aussi la non-réponse assez simpliste de monsieur Woerth.
(Actuellement, le lycéen blessé est toujours en attente à l'hôpital Lariboisière, où il ne pourra être opéré que lorsque l'œdème de son visage massacré sera suffisamment résorbé... )
Le jeune homme de 19 ans qui, mardi, "en marge des manifestations" caennaise, a été blessé à la tête après un tir de grenade lacrymogène, a été opéré durant cinq heures:
Selon le père de la victime, le jeune homme a été "durement touché en plein milieu du front. (...) La boîte crânienne a été enfoncée sous le choc, et les parties osseuses ont déchiré la dure-mère". Selon lui, les chirurgiens ont dû "ouvrir la boîte crânienne, réparer la dure-mère et poser une plaque de substitution".
Thierry Lepaon, délégué régional CGT, le jeune homme aurait été touché à la tête par "une cartouche à la suite d’un tir tendu de bombe lacrymogène".
"Il n'y a pas eu de tir tendu car ceux qui lancent des grenades ont devant eux une rangée de policiers. S'ils tirent tendu, ils touchent des policiers. Il n'y a eu que des tirs en cloche, conformes à la réglementation", a répondu Ilham Montacer, directrice de cabinet du préfet de Basse-Normandie.
On a tous remarqué, lors d'un tir de lacrymogène, que la rangée de policiers placée devant le tireur récitait, en chœur, les points du règlement.
"Vous aviez 2.000 manifestants, dont 400 particulièrement virulents parmi lesquels une cinquantaine de cagoulés. Les 60 policiers mobilisés étaient pris en sandwich", a justifié la directrice de cabinet. Au terme des affrontements, qui ont duré une heure, un gendarme a été "fortement commotionné mais pas blessé" par un pétard qui a explosé au niveau de son visage.
Elle ne précise pas si le policier a tenté de fumer le pétard en question.
Il est possible que je me trompe, mais il me semble que, mardi soir et mercredi matin, les médias ont été assez discrets sur cet incident ou accident de tir.
En revanche, on nous a beaucoup parlé des mésaventures de journalistes tabassés au passage par les forces de l'ordre dans les environs de la place de la Bastille, et on nous a fait tourner en boucle le spectacle de monsieur Thierry Vincent, journaliste d'investigation à Canal+, haranguant pathétiquement une rangée de CRS en brandissant sa carte de presse.
Ce monsieur a suffisamment occupé la scène médiatique, tout le monde connaît maintenant son histoire, et il a si bien fait son cinéma que tout en mettant le mot "matraquage" entre guillemets, la préfecture a saisi de son cas la "Police des polices" - qui mérite elle-aussi des guillemets.
Ce qui reste assez curieux de sa part est la volonté de minimiser ses aventures de héros de l'information jeté à terre par des coups de matraque:
"C'est scandaleux ce qui s'est passé, mais je ne veux pas tirer de généralités. Et puis comme événement c'est pas grave non plus... Il se passe des choses bien plus importantes dans le monde. Je ne veux surtout pas devenir le porte-drapeau de je-ne-sais-quelle-cause."
Monsieur Thierry Vincent a décidé de ne pas donner suite...
Les esprits curieux pourront trouver sur la page de JBB - qui n'a probablement plus de carte de presse, mais est un vrai et excellent journaliste - la relation d'une conversation en deux temps entre notre encarté et notre JBB, qui se termine sur cette déclaration d'intention:
"Tu comprends, moi, je fais ça pour protéger les manifestants. C’est pour vous protéger que je brandis ma carte de presse."
Ce que JBB commente avec une remarquable concision:
Mouais... Fin de l’échange.
Quand on est "le porte-drapeau" des faux-culs, il est difficile d'être celui de "je-ne-sais-quelle-cause" qui pourrait être, par exemple, le droit de manifester, avec ou sans carte de presse, sans se faire allègrement défoncer le portrait.
PS: Glané dans le fil du NouvelObs:
18h15 – Paris Alliance, second syndicat de police des gardiens de la paix, évoque des "scènes de guérillas urbaines" lors des dernières manifestations de jeunes, et demande que les autorités leur donnent "des moyens nécessaires" afin de pouvoir maintenir l'ordre.
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