mercredi 27 octobre 2010

Un jeune homme bien audacieux

Tout à fait décomplexé, puisque ce sont des choses qui se font, j'avoue que je n'avais guère, jusqu'à présent, accordé d'attention à l'existence parmi nous de monsieur Benjamin Lancar, que l'on présente comme "fraîchement réélu à la présidence des Jeunes Populaires". Et pourtant, représentant exemplaire de cette "jeunesse qui a confiance dans l’avenir, qui sait que pour s’en sortir et réussir il faut prendre son destin en main et entreprendre", cet entreprenant jeune homme ne néglige rien pour se rendre intéressant. Il touitte et il fèce-bouque, il se démène beaucoup sur tous les fronts, et il va même jusqu'à bloguer.

C'est d'ailleurs grâce au succès médiatique obtenu par son dernier billet, intitulé Une autre forme d'engagement pour la jeunesse, l'engagement pour son pays, que j'ai pu faire la connaissance, toute virtuelle, de cet intéressant penseur précoce.

Il s'agit d'un billet assez court - trois quarts de feuillet environ-, composé dans un style élevé, et avançant des idées qui font preuve de la très grande maturité du jeune auteur. Cette maturité touche parfois à la blétitude, lorsque, pour caractériser "l'engagement" de la jeunesse, il énumère ces "valeurs", "le courage, le réalisme, la liberté, une certaine dose de rébellion", qui ne sont que les fantasmes de vieillards décatis évoquant une jeunesse rêvée et jamais vécue.

Le point de départ de ce texte, on pourrait même dire, je crois, son pré-texte, est tiré du contexte calendaire de sa mise en œuvre: la date du 22 octobre qui est désormais celle d'un événement inscrit dans la routine de l'année scolaire, "un classique du premier trimestre dans les écoles françaises : la lecture de la lettre de Guy Môquet à ses parents". Tellement "classique", en effet, que monsieur Lancar semble oublier que le 22 octobre est d'abord, et surtout, la date anniversaire de la mort de Guy Môquet et de ses compagnons... On pourra, avec indulgence, lui pardonner cet oubli, en l'attribuant à un retour chez lui du fantasque juvénile refoulé, mais il est plus difficile de comprendre l'indifférence de ses ainés en sarkozisme, que l'on trouve signalée par ce commentaire de lecteur dans le NouvelObs:

Juste pour info: aucun représentant de l'état n'était présent cette année aux cérémonies à Nantes en l'hommage des 48 otages fusillés par les nazis à Nantes et Chateaubriant, et ce pour la première fois depuis 1943.

(Voir aussi LePost.)

Otage politique post-mortem.

Cela n'est que de peu d'importance, en réalité, pour monsieur Lancar, dont l'objectif semble plutôt de nous livrer une réflexion en flux tendu sur ce que Guy Môquet, émotionnellement remodelé par l'émotion sarkozienne, incarne pour lui: le "courage". Il s'y emploie avec une certaine ténacité obstinée, et l'on peut relever, dans son court développement, sept occurrences de ce mot, ou de l'un de ses dérivés. Je crois qu'il aurait pu, s'il en avait eu l'audace, résumer son méditation par un sonore "du courage, encore du courage et toujours du courage !"

Il ne faut pas croire, cependant, que notre futur candidat à l'élection présidentielle de 2052 manque de fougue. Comparer les Jeunes Populaires de 2010 avec les Guy Môquet de 1940, cela demande, c'est évident, beaucoup d'audace, et une certaine dose d'inconscience.

Cette inconscience va conduire monsieur Lancar à prendre le risque d'écrire:

En 1940, alors qu’une partie de la jeunesse et de la classe politique, autrefois courageuse – redressement économique de la France par Pierre Laval en 1932 – s’est fourvoyée et a trahi les fondements de la République, une autre France s’est révoltée.

On peut se demander ce qui a bien pu pousser cet éclairé jeune homme à nous révéler ainsi, incidemment, son admiration pour le "courage" politique de Pierre Laval en 1932. Rien, dans son texte, ne l'y obligeait, sauf peut-être le besoin de replacer la jeunesse de 1940 dans une continuité du "courage" national. Pour la pensée sarkoziste, les valeurs ne peuvent être que des valeurs transmises par l'histoire nationale; il était donc probablement important, pour notre penseur sarkoziste, que le "courage" de la jeunesse incarnée par Guy Môquet lui ait été légué en héritage, fût-ce par "une autre France", "fourvoyée" certes, mais "autrefois courageuse".

Or, ceux "qui (...) n’ont pas hésité à sacrifier leur jeunesse" en 1940 sont probablement plus héritiers de l'audace de ceux qui ont fait le Front Populaire en 1936 que du "courage" de Pierre Laval en 1932.

C'était alors l'audace de réclamer et de faire promulguer des lois d'avancée sociale, et cela aurait peut-être gêné monsieur Lancar dans son argumentation pour un soutien indéfectible à "la réforme des retraites", "nécessaire pour l’avenir de notre pays et de notre système par répartition"...


PS: Notre courageux jeune homme, de passage hier soir sur Beur FN, s'est "excusé" "pour son allusion flatteuse à Pierre Laval".

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