samedi 30 octobre 2010

Une lettre modèle du genre

Monsieur le procureur Philippe Courroye est un fort bel esprit - d'ailleurs, il cite René Char -, mais est probablement dénué de tout humour - la preuve, il cite aussi Charles de Gaulle.

Quand il estime, dans l'entretien qu'il a accordé à Stéphane Durand-Souffland, journaliste au Figaro, que son enquête sur les "dossiers Woerth-Bettencourt" est "un modèle du genre", il ne faut pas y voir un clin d'œil adressé aux lecteurs du Figaro. Drapé en sa morgue magistrale, notre haut magistrat ne peut se permettre un tel trait de malice.

Il faut donc admettre que les manières du procureur sont appelées à devenir "un modèle du genre".

Resterait à préciser de quel "genre"...

Monsieur Courroye, posant dans le genre impérial,
le 2 septembre 2010, à Nanterre. Photo AFP.

La veille, le mercredi 27 octobre, madame Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, s'était rendue dans les studios de France Inter pour y faire un peu de "pédagogie" à propos du bon peuple désorienté par cette histoire de "dépaysement". On peut suivre son intervention en vidéo, dans les archives du 7/9.

Ses explications ont suscité une réaction de la part de Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature, qui, au nom dudit syndicat a adressé à madame Alliot-Marie une lettre ouverte qui ne manque ni d'esprit, ni d'humour.

Incipit:

Madame le garde des Sceaux,

Invitée hier matin sur France Inter, vous avez expliqué à votre manière, inimitable, le dépaysement de l’affaire Woerth-Bettencourt.

L’aplomb avec lequel vous leur avez livré ce conte pour enfants sages aura peut-être convaincu certains de nos concitoyens que, décidément, c’est la raison qui l’emporte et l’indépendance de la justice qui triomphe. Nous les invitons pourtant à dévider, avec vous, la pelote de fil blanc dont cette histoire est cousue.

Suit un démontage des propos du garde des Sceaux, qui est un modèle, dans son genre. Sa lecture est exigeante, mais il est bon de lire aussi des textes rédigés sans prendre les futurs lecteurs pour des demeurés.

La conclusion:

Vous le voyez, Madame le ministre, il eût sans doute mieux valu raconter la véritable histoire de ce dépaysement :

* expliquer qu’il devenait impératif de dessaisir Isabelle Prévost-Desprez, non pas à cause de l’inimitié qui l’opposerait à Philippe Courroye et dont la mise en scène ne sert qu’à masquer les enjeux réels de ce dossier, en particulier l’impérieuse nécessité de garantir l’indépendance du ministère public, mais bien parce que ses investigations alarmaient de plus en plus le pouvoir exécutif ;

* expliquer que ce dépaysement devait emporter celui des autres enquêtes et donc (enfin !) la désignation de juges d’instruction, à défaut de quoi l’inégalité de traitement entre les différents volets de l’affaire eût été inexplicable et la ficelle trop visible ;

* expliquer que ce dépaysement général est finalement un moindre mal pour ceux qui ont si longtemps résisté à l’ouverture d’informations judiciaires, compte tenu du temps déjà gagné et de celui qui le sera encore, en attendant que les juridictions désignées, après avoir tout repris « à zéro » et fait face à la guérilla procédurale que le parquet ne manquera pas de continuer à mener, finissent un jour par être en mesure de statuer, idéalement après le printemps 2012...

Terminant en apothéose et bouclant la boucle, vous avez souhaité « que l’on s’abstienne désormais de continuer à vouloir faire de l’ingérence politique dans ces dossiers ».

Plutôt que de relever mesquinement qu’il y a donc bien eu, finalement, « de l’ingérence politique dans ces dossiers », nous vous disons seulement : chiche !

Même la formule de politesse est un modèle:

Nous vous prions d’agréer, Madame le garde des Sceaux, l’expression de la haute considération dans laquelle nous tenons vos fonctions.

2 commentaires:

Anne-Marie a dit…

Un régal cette lettre !

Guy M. a dit…

Il n'y avait aucune raison de s'en priver...