mardi 26 octobre 2010

Les casseurs de grève

Si, en France, on n'a pas beaucoup de pétrole, on a quelques raffineries et beaucoup de lois pour y faire travailler les ouvriers de la pétrochimie contre leur gré. Pour cela, on a suffisamment de petit personnel pour interpréter les grimoires juridiques et en faire appliquer, d'autorité, les savantes exégèses.

Ces petites mains administratives manquent parfois de doigté, comme ce préfet venu en personne réquisitionner du personnel en grève à Grandpuits, au prétexte que le "non-fonctionnement" du site "entraînait des difficultés d'approvisionnement en carburant des points de distribution de la région Ile-de-France et en Seine-et-Marne". L'arrêté de réquisition précisait:

"La continuation de la grève est de nature à entraîner des troubles graves à l'ordre public (pénuries, émeutes…)"

Dans la soirée, ce même vendredi, le tribunal administratif de Melun a suspendu cet arrêté préfectoral estimant qu'il portait "une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève et que son exécution à ce titre doit être suspendue". Le juge adressait au préfet de Seine-et-Marne le reproche d'avoir eu la main trop lourde en réquisitionnant "la quasi-totalité du personnel de la raffinerie", ce qui "a eu pour effet d'instaurer un service normal". Cependant, il estimait, comme pour s'excuser de l'avoir prononcée, que "cette décision" ne devait pas faire obstacle aux pouvoirs du préfet, dans les limites prévues par la loi.

Autrement dit, le tribunal administratif de Melun reconnaissait que le préfet avait tenté par son arrêté de casser la grève des salariés de Grandpuits, par "une atteinte grave et manifestement illégale", mais que, somme toute, c'était peut-être bien son droit à lui, préfet, de casser les grèves, à condition qu'il le fasse avec suffisamment de tact.

Dans la nuit, un second arrêté de réquisition était rédigé à la préfecture de Seine-et-Marne, plus soigneusement que le précédent. Il ne requérait que 14 salariés grévistes à placer en situation de travail forcé. Le tribunal administratif n'a pas jugé cela excessif et n'a donc pas cassé cet arrêté.

Le juge des référés a relevé que "la pénurie existe" et que le nombre de 14 salariés qui ont été réquisitionnés ne paraît "pas disproportionné au point de porter atteinte au droit de grève".

Selon maître Gaétane Carlus, avocate de la CGT, le tribunal a estimé:

"Le fait que les points de distribution qui devaient être approvisionnés par les camions sortant de la raffinerie ne soient pas réservés uniquement aux services publics prioritaires n'est pas suffisant pour entacher l'arrêté d'illégalité."

Ce n'est probablement pas aujourd'hui, je le crains, que je vais (enfin) me sentir pénétré par l'esprit de nos lois...

Un sport de voyous, pratiqué par des gentlemen.
Déblocage de Grandpuits, le 22 octobre,
vu par Benoît Tessier (Reuters).


Le très populaire monsieur Jean-Louis Borloo, qui est peut-être en train de faire son stage de futur premier ministre (mais on s'en fiche pas mal), peut se réjouir de tout cela. Cela lui permet de maintenir, face à l'opinion, la douce fiction du "retour à la normale", histoire de casser doucement le moral des grévistes...

Très discret cependant, il a laissé à monsieur Brice Hortefeux le soin d'annoncer les nouvelles de reprise du travail dans les raffineries.

Sept raffineries sont encore en grève ce mardi. Le raffinage a repris à débit réduit à la raffinerie Esso de Fos-sur-mer, tandis que quatre autres assurent désormais l'expédition de carburant sans avoir repris le raffinage: la raffinerie de Reischstett (Bas-Rhin), celle de Port-Jérôme (Seine-Maritime), celle de Lavera (Bouches-du-Rhône) et celle de Grandpuits (Seine-et-Marne), cette dernière ayant été réquisitionnée en fin de semaine dernière.

Le Figaro, qui nous propose cet état des lieux, ne peut que reconnaître que "le redémarrage des opérations de raffinage dépend largement du déblocage de la situation au port de Marseille" et au terminal pétrolier du Havre, qui sont toujours en grève...

Ce qui fait que la fameuse "pénurie" dont il ne faut surtout pas parler - sauf au tribunal administratif -, elle plutôt devant nous...



PS: Aux voisins belges diversement solidaires, un grand merci.


LE TRANSPORT DE CARBURANT EN FRANCE VIA
LES VOIES NAVIGABLES FLAMANDES.

LA CGSP REFUSE DE COLLABORER
AU CONTOURNEMENT DES BLOCAGES.

La CGSP - Overheidsdiensten a reçu le tuyau selon lequel est prise en considération la piste visant à transporter du carburant en France via les vois navigables belges afin de contourner ainsi le blocage des raffineries françaises. La CGSP refuse d’y collaborer.

La CGSP - Overheidsdiensten est solidaire du combat justifié des syndicats français contre les plans de l’Etat français en matière de réforme des pensions.

Le blocage du carburant constitue dans ce cadre une arme importante pour nos camarades français. L’Etat français veut le casser en s’approvisionnant à l’étranger. Et il pense notamment à la Belgique pour le mazout et l’essence.

Si la CGSP - Overheidsdiensten devait constater la moindre collaboration de l’Agentschap Waterwegen en Zeekanaal (Agence des voies navigables et Canal maritime), elle appellera immédiatement à une interruption du travail sur l’Escaut et sur la Lys.

Hilaire Berckmans,
CGSP – Overheidsdiensten.


Ils peuvent toujours passer un soir à la maison, il y aura toujours quelques tartines et, promis, j'achèterai de la bière...

2 commentaires:

iGor a dit…

Il semblerait que les soutiens extérieurs ne sont pas que belges. Et que les Belges accompagnent le geste à la parole.

Retraite: les salariés allemands et belges solidaires du mouvement français [Bastamag]

Et sur Contreinfo.info un article au titre savoureux: Retraites : les français se battent pour l'avenir de l'Europe, par Mark Weisbrot, qui est un économiste US.

Solidaires salutations d'Helvétie.

Guy M. a dit…

Merci pour ces compléments.

Ça fait du bien de se sentir soutenus, mais actuellement, ce sont peut-être bien nos compatriotes qui lâchent...