Si le concept d'idiot utile retrouve une certaine vogue après un assez long oubli, il est d'autres notions qui persistent longtemps après avoir donné toute la mesure de leur "utilité" historique et déployé toute la gamme de leurs nuisances potentielles.
Aussi, en trouvant dans ma boîtamél un courriel m'invitant à m'intéresser à un appel intitulé
Touche pas à ma nation
fus-je un peu interloqué.
Je dus me rendre à l'évidence, le Bloc Identitaire n'avait pas spammé ma boîte, et cet appel émanait de SOS Racisme et La Règle du Jeu, avec le soutien logistique et spectaculaire du quotidien Libération, qui allait en faire sa "Une".
Il faut vous dire que je suis né avec un gros handicap: il m'est quasiment impossible de métaboliser le moindre sentiment national. Et si je suis bien enraciné dans cette terre normande où je suis revenu vivre, je l'envisage cum grano salis, ayant toujours estimé que les racines, les raves ou les tubercules avaient besoin d'assaisonnement pour relever leur fadeur.
J'aurais pu, l'âge aidant, compenser ce déficit par une adhésion raisonnée à l'idée de nation. Mes bons maîtres n'ont fait l'économie d'aucun effort pour me montrer le rôle majeur de cette idée dans l'histoire des deux derniers siècles. Ils furent sans doute bien maladroits puisque j'ai surtout retenu de leurs sévères leçons l'image de deux siècles ravagés par les efforts des groupes nationaux pour devenir états et par ceux des états pour devenir nations.
Le slogan "Touche pas à ma nation" ne saurait donc me toucher: il me choque.
Et la lecture de l'appel n'est pas de nature à modérer ma réaction.
On peut y lire ceci, où le mot "nation" se majuscule en fanfare:
Pour nous, la Nation, ce n’est pas la recherche frénétique de la mise au ban de citoyens. C’est tout au contraire l’affirmation de la légitimité de tous à participer en pleine égalité aux choix publics.
Pour nous, la Nation, ce n’est pas l’utilisation des étrangers comme boucs émissaires afin de masquer le marasme économique et social de notre pays.
C’est tout au contraire l’attachement à un traitement digne et égal de tous.
On reconnaitra dans cette bouillie conceptuelle un des procédés de détournement paradoxal du sens des mots, couramment utilisé dans les officines où se fabrique la novlangue et les coups de pub.
PS: Cet appel, que vous pouvez signer si cela vous chante, entend s'opposer au projet de loi "relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité" déposé par monsieur Besson le 30 mars 2010.
Un très grand nombre d'associations et d'organisations n'ont pas attendu le sursaut national de SOS Racisme, La Règle du Jeu et Libération pour prendre position contre ce projet de loi, et lancer une pétition (que vous pouvez signer ici).
Sans se payer de grands mots, quelques unes d'entre elles (ADDE, Acat France, Anafé, CFDA, Cimade, Fasti, Gisti, InfoMIE, Migreurop, MOM, Association Primo Levi, SAF, Syndicat de la magistrature) ont rédigé une analyse de ce projet que vous pouvez télécharger ou consulter en ligne.
Cela ne me surprendrait pas qu'on en reparle...
6 commentaires:
Bien d'accord avec toi, le mot "nation" a une histoire glauque et de fâcheuses résonances.
Avec une majucule, c'est encore pire.
Ni mon identité, ni mon front, ni ma révolution ne sont "nationales". (accordé volontairement au féminin puisque deux sur trois des noms concernés le sont, héhé!)
A la réflexion, je m'aperçois que je n'ai pas grand chose de "national(e)", à part ma carte d'identité.
d'accord la lumiere négative portée sur les heures les plus brillantes de notre histoire ne saurait effacer l'histoire glauque de ce qui chaque fois essayait de s'en prendre à ce qui permet de reconnaitre , diagnostiquer les symptomes de la peste multicolore qui fait corps avec le multinational populisme
L'idée de nation, quel que soit l'éclairage, n'est pas un concept à conserver dans la boîte à outils de l'émancipation.
Cause juste mais présentation digne du front national d'ou malaise et non participation pour moi .
Je n'ai pas signé non plus.
Il ne faut pas tout laisser passer de la part des "alliés objectifs".
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