Après s'être recueilli devant les reliques de saint Benoît, le voyageur désireux de varier ses plaisirs pourra faire étape à Jargeau, petite bourgade qui s'enorgueillit d'être la "capitale de l'andouille". Il serait sans doute plus juste de dire que Jargeau est l'une des nombreuses capitales françaises de l'andouille, et l'une des plus méconnues.
L'andouille de Jargeau appartient à la catégorie des andouilles à cuire. Après l'avoir mise à pocher en eau bouillante, on la fait griller vivement, et on peut alors la déguster, craquante à l'extérieur, moelleuse à l'intérieur. Et elle mérite bien d'être connue.
Son origine remonterait à une tradition culinaire gallo-romaine, et plus précisément encore à une méthode de conservation de la viande porc consistant à tasser ladite viande dans un boyau. Il va sans dire que cette pratique, suivie ou non de fumaison, devait générer certaines fermentations, et, par suite, certains fumets que l'andouille contemporaine a totalement oubliés. Du reste, sa composition actuelle demeure assez mystérieuse. Si certains affirment qu'elle est constituée de 60 % de viande de porc et de 40 % de tripes, le Centre d'Information des Charcuteries-produits Traiteurs (CICT), dans un document de 2005, affirme que l'andouille de Jargeau "n'intègre pas d'abats", mais "un mélange de poitrine de porc et d'épaule", concluant: "En réalité, c'est davantage une saucisse qu'une andouille."
Notre voyageur des bords de Loire se moquera éperdument de cette polémique...
Car il est probable qu'il arrivera à Jargeau à l'heure de fermeture des magasins, et devra attendre leur réouverture post-prandiale.
Au moins cela lui permettra-t-il de parcourir les rues à peu près désertes de la ville et d'arriver à la porte Madeleine, percée au XVIIè siècle, à l'endroit même où notre bonne Jehanne de France, pucelle d'Orléans, fut estourbie d'une caillasse jetée des remparts par les perfides anglois qui les tenaient. Une plaque commémorative rappelle cet événement à l'inattentif flâneur.
Non loin de là, à l'entrée d'une propriété, un talentueux zingueur a façonné une tourelle de fantaisie où veille un hallebardier moustachu...
Mais, y userait-il ses semelles, notre flâneur ne trouvera en centre-ville aucune trace commémorative du camp de Jargeau qui occupait deux hectares et demi au lieu-dit du Clos-Ferbois. Sur cet emplacement a été construit un collège. Il faudrait y pénétrer pour lire, sur une plaque inauguré en 1991:
"Ici, 1 700 personnes ont été privées de liberté entre 1939 et 1945 dont Tsiganes, résistants, réfractaires et personnes marginalisées"
Ce camp de concentration fut surnommé "camp des nomades". Il ne fut fermé qu'en décembre 1945, bien après le départ des troupes allemandes, et jusqu'à cette date on continua à y interner les "nomades". On peut trouver sur le site Traces & Empreintes le détail des populations qui y furent "accueillies":
* Prisonniers de guerre Français (900 personnes entre Juin et Octobre 1940),
* Familles Tziganes (1190 tziganes internés entre Mars 1941 et décembre 1945) et forains (suite à l'ordonnance allemande du 22 novembre 1940 interdisant les professions ambulantes),
* Prostituées (Octobre 1941-Novembre 1944)
* Internés administratifs (Novembre 1941-décembre 1945 : décret-loi du 18 Novembre 1939 : « Les individus dangereux pour la défense nationale ou pour la sécurité publique peuvent être astreints à résider dans des centres spéciaux désignés par le gouvernements »).
* Indésirables (durcissement des mesures d’exception à partir de Mars 1942 : « Toutes les personnes suspectes, notamment les vagabonds, doivent être immédiatement arrêtés. »)
* Expulsés du Calvados : Mai 1942-Août 1944 (ressortissants Britanniques, Américains, Norvégiens, Polonais, Grecs, Yougoslaves, Hollandais et Belges, sauf Flamands)
* Réfractaires au Service du Travail Obligatoire en Allemagne (Février 1943-Avril 1944.)
* Internés Politiques (Janvier 1944-Août 1944).
De retour dans sa Normandie natale, avec son paquet d'andouilles sous le bras, notre voyageur pourra découvrir tout cela devant son écran...
PS: Il serait parfaitement inélégant de ma part de laisser croire, avec ces observations superficielles d'un touriste de passage à Jargeau en quête d'andouilles, que les habitants du Loiret, et les gergoliens en particulier, pratiquent l'oubli massif.
Il faut au contraire attirer l'attention sur l'initiative prise, en janvier 2010, d'organiser à Jargeau quatre jours de manifestations et de rencontres autour de la mémoire de ce camp. On pourra en télécharger le programme détaillé sur le site Mémoires-Tsiganes1939-1946.
Fr3-Centre a, pour l'occasion, diffusé ce "sujet", où l'on peut entendre Hélène Mouchard-Zay, présidente du Cercil (Centre d'Etude et de Recherche sur les Camps d'Internement du Loiret), qui a participé à l'organisation de ces journées.
(Signalons aussi que le Cercil a publié Le camp de Jargeau, juin 1940 - décembre 1945, Histoire d'un camp d'internement dans le Loiret, de Pascal Vion.)
jeudi 2 septembre 2010
Seconde escale au bord de la Loire
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4 commentaires:
Et vous n'avez meme pas rencontré une fourmi de quatorze mètres de long?
Et pourquoi pas ?
(Je ne dis jamais tout.)
Des fois, on peut même apprendre le javanais rien que pour se taire en cette langue-là.
Le silence y prend un relief tout particulier...
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