mercredi 8 septembre 2010

Le cortège musarde

Si les ponts de Rouen n'ont pas la notoriété de ceux de la ville de Königsberg, ils ne manquent pas d'agréments et invitent à de charmantes et quiètes promenades revendicatives.

Ainsi, en ce mardi 7 septembre, qui se trouve être, si je ne m'abuse, la veille d'aujourd'hui, la manifestation de protestation contre la "réforme des retraites" partit du cours Clémenceau, sur la rive gauche, pour y revenir après s'être harmonieusement développée sur un sinueux parcours. Elle musarda avec une certaine nonchalance, passant d'une rive à l'autre et empruntant les quatre ponts qui desservent le centre historique de la ville de Rouen. Au terme de son périple, la tête du cortège dut temporiser sur le pont Pierre Corneille en attendant que la queue daigne s'ébranler.

Comme j'arrivai au même moment dans ce secteur, après avoir ménagé les semelles de mes babouches en prenant des raccourcis, je pus entendre une annonce claironnant que nous étions 70 000, puis corrigeant à 50 000... De leur côté, les services de police, qui tiennent à leur crédibilité, ont réussi à compter jusqu'à 21 000.

C'est déjà bien, car, comme on sait, la police manque de bras, donc de doigts.

Le pont Corneille juste avant l'arrivée du cortège.
Camille Pissaro, Rouen, le pont Corneille par temps gris, 1896.

Indépendamment de l'incontestable succès de ce rassemblement populaire, je me suis pris à regretter que ce parcours, pour spectaculaire qu'il ait été, n'ait pas permis aux participants de découvrir les beautés de la ville de Rouen.

On pourra me rétorquer que la seule traversée du célèbre pont Boeldieu, immortalisé par Camille Pissaro sous plusieurs de ses coutures, est une expérience esthétique marquante. On insistera même en me signalant, comme si je ne savais pas, que ce pont est orné d'une série de bustes de grands navigateurs, due aux mains et aux doigts habiles de Jean-Marc de Pas, et financée par "du mécénat d'entreprises". Ces bronzes ont été installés en novembre 2007, le long de la piste cyclable; chacun d'entre eux est monté sur un socle imposant, et chaque socle porte, outre le nom du sculpteur, celui du navigateur et quelques indications pour l'instruction des masses, le nom du généreux mécène.

Je suis resté quelque temps à proximité du buste du célèbre Jean de Béthencourt, ancêtre de la famille fameuse et conquérant des îles Canaries. Le financement en a été supporté par la fondation Bettencourt Schueller, dont l'objectif affiché est de "donner des ailes au talent". Je dois dire que la plupart des manifestants sont restés indifférents à cette agréable curiosité artistique...

Le buste leur a résolument tourné le dos en prenant un air pincé.

Seul un jeune homme entre deux âges a pris le temps de regarder l'œuvre, regrettant qu'elle ne soit en or massif, "comme le godamadame".

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