jeudi 16 octobre 2008

Il faut sauver la Marseillaise



Je ne crois pas que je l'aurais parié, car je ne suis pas joueur (c'est là mon moindre défaut) mais je m'attendais à un éditorial de Laurent Joffrin sur notre Marseillaise huée, et je ne me trompais point.

Pom pom pai poin (bis).

A son habitude, notre éditorialiste préféré démarre sur les chapeaux de roue:

L’indignation surjouée de plusieurs ministres devant cette Marseillaise sifflée confine au ridicule.

Parole d'expert...

Sans surjouer ridiculement son rôle de penseur politique contemporain, Laurent Joffrin commence sa leçon:

(...), quitte à prendre l’affaire au sérieux, il faut le faire de manière politique. En conspuant l’hymne national, une partie du public exprimait aussi une colère devant les promesses non tenues de la République en matière d’intégration. A ceux-là il faut répondre politiquement: ils se trompent de symbole.

Monsieur Joffrin est un redoutable décrypteur: sous les sifflets il a entendu la colère, et sous la colère une immense aspiration à l'intégration au sens sarkoziste. (Joffrin n'interrogeant pas ce vocable d'"intégration", je l'entends au sens le plus courant...)

Mais il va nous expliquer en quoi la colère se trompe de cible:

La Marseillaise, pour l’essentiel, symbolise l’égalité. Chant révolutionnaire, elle fut interdite sous l’Empire et la Restauration et consacrée par les républicains. Elle fut même chantée par les bolcheviks avant l’Internationale, comme un hymne des opprimés. La siffler, c’est siffler aussi les principes qu’elle exprime. Or seuls ces principes, à condition qu’ils soient appliqués, peuvent sous-tendre l’action publique en matière d’intégration et de lutte contre la discrimination. A moins de choisir l’enfermement communautaire, ce que les opprimés d’aujourd’hui ne peuvent souhaiter. Rouget de Lisle? Respect…

Ne boudons pas notre plaisir à voir un représentant éminent du mieux-disant consensuel se référer sans complexe aux choix musicaux des bolcheviks.

Ricanons. Laurent Joffrin ? Respect...

Et demandons lui de bien vouloir nous faire un savant commentaire composé du texte de La Marseillaise afin de nous expliquer en quoi le signifiant maître de ce chant guerrier est « Egalité »...

S'il vous plaît, monsieur Laurent.


Dans l'attente de cette intervention salutaire de monsieur Joffrin, sous la forme (éditorial, causerie, conférence, essai) qu'il lui plaira, je continuerai à considérer La Marseillaise comme l'un des plus mauvais hymnes nationaux actuellement connus.

Le texte est une poésie de la fin de ce dix-huitième siècle qui évoquait pour Paul Claudel, grand connaisseur, une vaste étendue de plâtras inféconde dans le domaine de la poésie lyrique. Autrement dit: pompier de chez pompier.

La musique est d'une platitude assez rare. Il faut faire un très gros effort d'adaptation pour la rendre écoutable.

J'en veux pour preuve ce qu'en a tiré le grand saxophoniste Albert Ayler. Il avait fait son service militaire dans la fanfare d'un régiment étasunien stationné en France et avait eu la joie de participer à un quatorze juillet sur les Champs Elysées. Il en avait gardé un souvenir ému de notre hymne national, qu'il appelait, affectueusement ou malicieusement, je ne sais, "la mayonnaise". Il en interprétait une version assez ébouriffante, dont la diffusion à plein tube pourrait, je pense, tétaniser tout un congrès de l'UMP.

(Il est dommage que son adaptation ne soit pas sur Deezer... Il vous faudra imaginer à partir de ce que je vous ai collé comme illustration musicale...)

Albert Ayler hilare

Il montre la voie: pour sauver la Marseillaise des sifflets, il faudrait avoir le courage de la moderniser, d'y introduire les réformes nécessaires.

Changer les paroles, trop datées historiquement.

Et en profiter pour changer la musique.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Si seulement, elle changeait… Vu la cacophonie générale, elle est plus partie pour être encore davantage sanctifiée : un article de Libé fait état de l'obligation qui sera désormais faite aux joueurs de l'équipe de France de la chanter à pleins poumons. Sinon : goulag !

(http://www.liberation.fr/societe/0101148644-les-bleus-appeles-au-chant-d-honneur)

Anonyme a dit…

En lisant ton commentaire, Charançon, je me demandais si c'était vraiment la Marseillaise le problème. On peut bien remplacer la Marseillaise par le Chant des Partisans, le problème (enfin, le mien, hein) c'est tous les symboles dont on charge le machin, et puis cette obligation d'y adhérer.
Enfin, c'est peut-être pas très clair ce que je raconte (suis un peu fatiguée, pour changer...).

Bises !

Guy M. a dit…

@ Charançon,
Hélas! je sais bien qu'on ne change pas un symbole qui gagne...

@ Flo Py,
Si l'on étudiait tous les discours portés par la Marseillaise, on serait sans doute surpris (l'étude a peut-être été faite...)

tomblands a dit…

Ayler et la Marseillaise. Voir le très beau texte de Marc-Edouard Nabe publié en 1989 à ce sujet. J'en cite des passages sur mon blog.