En lisant la prose, intitulée Les démocraties face au terrorisme, que madame Michèle Alliot-Marie a cru bon de faire paraître dans la rubrique "Point de vue" du journal Le Monde, le 30 septembre dernier, je n'ai pu m'empêcher de penser à ce qu'un excellent jeune homme m'avait raconté, il y a cinq ans, de son passage obligé dans une caserne pour y effectuer sa journée d'appel de préparation à la défense (JAPD).
Un baroudeur en djoguigne, sous-officier de réserve, s'était cru obligé de faire à la belle jeunesse somnolente réunie devant lui une leçon de géostratégie globale, en utilisant un vocabulaire pédagogique qu'il croyait adapté à son auditoire. Regrettant à demi-mot l'époque héroïque où "il y avait les rouges et les autres", il expliqua que désormais "il y avait d'un côté les pays riches, et de l'autre ceux qui sont moins riches", et que, par la force des choses, ces derniers, eh ben, ils étaient "jaloux" (je garantis le mot).
J'ai bien peur que la pensée de madame Alliot-Marie ne dépasse pas de beaucoup cette vision cosmique des choses quand elle constate: "A l'heure où le communisme s'efface, et avec lui une voie politique de contestation, l'intégrisme accueille des personnes frustrées, en quête d'identité, fragilisées (...)" (c'est moi qui ai grasseyé le propos...)
Incipit:
Le terrorisme est l'ennemi commun des démocraties. L'islamisme radical n'est certes pas le seul en cause, il demeure toutefois une priorité. Depuis plus de six ans, comme ministre de la défense puis de l'intérieur, j'en ai suivi les modalités, les évolutions et hélas les manifestations. Certaines réalités ne sont pas inutiles à rappeler.
On attaque tout de suite, passons aux "réalités".
La première est que la France est une cible potentielle, car ses valeurs : liberté, tolérance, respect des femmes, laïcité, droits de l'homme, sont en opposition avec celles de l'intégrisme.(...)
La deuxième réalité est l'extension géographique du terrorisme islamiste. (...) Les conflits irakien, israélo-palestinien, afghan lui servent de terrain d'entraînement. Les zones grises où les Etats ne parviennent pas à imposer leur autorité abritent ses bases arrière et les trafics de drogue ou d'armes qui le financent.
La troisième réalité est l'évolution idéologique du terrorisme. Al-Qaida s'est d'abord identifiée à une radicalisation religieuse appelant à une guerre totale entre monde musulman et monde occidental. Cette motivation est encore mise en avant. Pourtant depuis trois ou quatre ans, l'idéologie l'emporte de plus en plus sur le religieux. (...)
La quatrième réalité, c'est la guerre de la communication. Les terroristes utilisent les images des populations victimes des affrontements au Liban, en Palestine, en Afghanistan, comme propagande contre l'Occident ; celles des otages ou des militaires occidentaux tués comme preuve de leur puissance. (...)
La cinquième réalité, c'est l'évolution tactique. Internet ne sert plus seulement aux échanges internes aux réseaux, ou aux messages destinés aux médias telles les exécutions, les menaces, les revendications... Il est devenu un vecteur d'endoctrinement et de recrutement de populations pour des actions d'opportunité, au-delà des attentats programmés. (...)
On se demande ce qui domine dans cette liste de "réalités", présentées pour la plupart comme des évolutions récentes de la situation: la fausse naïveté ou la véritable ignorance de nos services de renseignements...
C'est peut-être un mélange de deux qui conduit à cet étonnement toujours renouvelé en constatant que ces loquedus, rétifs devant nos si fameuses valeurs, que nous avons tant de facilités à traîner dans le sang et la poussière en Afghanistan, en Irak ou en Palestine, puissent avoir une idéologie, un projet politique, puissent retourner (parfois) les armes du spectacle contre l'Occident, puissent enfin utiliser les technologies de la modernité...
Tout ceci aurait pu être dit le 12 septembre 2001...
Avec la même dose d'incompréhension.
Madame Alliot-Marie termine son "Point de vue" par une belle imitation d'Henri Guaino, scandant son texte d'appels claironnants: "agir, c'est ceci, agir, c'est cela..."
On peut agir après avoir réfléchi, ce sont des choses qui se font...
PS: On pourrait conseiller à madame Alliot-Marie une impressionnante bibliographie en langue française et anglaise, avec une référence récente: Des images et des bombes, politique du spectacle et néolibéralisme militaire, par le collectif Retort (= réplique), qui consacre un chapitre à l'Islam révolutionnaire. Aux éditions Les Prairies ordinaires.
2 commentaires:
Au milieu de cette liste de clichés ministériels débiles, j'adore le "A l'heure où le communisme s'efface, et avec lui une voie politique de contestation, l'intégrisme accueille des personnes frustrées". Entre Rioufol et Pif Gadget, on sent que Michèle est abreuvée aux meilleures sources…
On a vraiment l'impression que ces gens n'ont jamais consulté une étude sérieuse sur l'histoire de l'Islam, et que leur ignorance alimente un mépris qui renforce leur ignorance...
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