samedi 11 octobre 2008
Sans parachute doré
Il s'agit sans doute d'une information mineure.
Elle se trouve dans un article du Quotidien des Sans-papiers, et sur les sites qui l'ont repris.
J'ai vainement tenté de faire des recoupements avec les journaux en ligne, ils sont muets. Seule une dépêche AFP, datée du 1er octobre, rapporte l'événement.
Elvis Akpa, Nigérian de 47 ans, est mort en tombant de la fenêtre de son appartement, situé au 7ième étage, 97 boulevard de la Villette, à Paris.
Sauter du 7ième étage, c'est risqué...
Selon la dépêche de l'AFP, Elvis Akpa est tombé au moment même où des policiers venaient l'interpeller.
On précise que les policiers "de la PJ de Meaux agissaient sur commission rogatoire d'un juge d'instruction de Meaux, dans le cadre d'une information judiciaire ouverte en avril 2007 sur un trafic de stupéfiants de dimension internationale". Elvis Akpa était "soupçonné de trafic de stupéfiant et d'association de malfaiteurs".
On précise aussi que "l'inspection générale de la police nationale (IGPN) a été chargée de l'enquête (...) et devra déterminer les circonstances dans lesquelles l'homme est tombé par la fenêtre et s'il s'agissait bien de la personne que les policiers venaient interpeller".
Enfin, on peut lire que notre "Nigérian de 47 ans" était "probablement en situation irrégulière".
Je vous le disait bien: il s'agit sans doute d'une information mineure...
Aucun petit reporter n'a quitté précipitamment les locaux de sa rédaction pour recueillir d'autres informations. Sauf l'auteur anonyme de l'article du Quotidien des Sans-Papiers "Silence on tombe" qui peut préciser que "Elvis Akpa était bien sans-papiers, et sous le coup d’une “Obligation à quitter le territoire français” depuis 2007."
Extrait de cet article:
Nous avons cherché à connaître les circonstances de la mort brutale d’Elvis Akpa en allant interroger sa veuve, Huguette Ahouavoeke, la mère de ses quatre enfants.
Nous avons ainsi rencontré madame Ahouavoeke – et sa sœur Estelle – dans son appartement. La première est en état de choc, et toutes deux sont révoltées par la façon dont la police est intervenue ce matin du 1er octobre.
Madame Ahouavoeke nous a donné le récit de cette intervention : tôt le matin (à 6h45, semble-t-il) le couple a entendu des coups à la porte, et l’ordre d’ouvrir. A suivi un moment de confusion dans l’appartement :
« J’entendais tellement de bruit, que j’ai eu peur ! Mon mari m’a dit : “N’ouvre pas, c’est sûrement pour les papiers !” ». « Je ne veux pas t’abandonner une deuxième fois. Je ne veux pas y retourner », a-t-il ajouté avant de se réfugier dans la chambre des enfants au fond de l’appartement, avec ceux-ci. Et c’est par le balcon de cette chambre qu’Elvis Akpa a essayé de s’échapper…
Madame Ahouavoeke, entendant les policiers défoncer la porte, a fini par leur ouvrir, son bébé de deux mois dans les bras :
« J’ouvre, ils m’ont dit : “Connasse ! Où est le monsieur qui vit avec vous, c’est votre mari, il est où ?” J’ai demandé ce qu’ils voulaient, ils avaient leurs bâtons noirs. Ils ont commencé à chercher, puis ont reçu un coup de fil et m’ont dit : “Votre mec il s’est cassé la gueule à cause de vous, il fallait ouvrir vite fait la porte !” Je ne savais pas quoi faire, ils m’ont ordonné de ne pas bouger, ils sont allés chercher les enfants, leur ont dit de ne pas bouger. J’avais le bébé dans les bras. Je demandais ce qu’il se passait, je pleurais, personne ne me disait rien. Ils m’ont dit “C’est ça ! Faîtes votre innocente !” Ils sont descendus, ils sont revenus, ils ont fouillé la maison, ils ont pris des affaires, je ne sais même pas quoi. Ils ont mis mes affaires par terre, ont demandé où était le portable, j’ai dit que je ne savais pas, ils m’ont dit “C’est ça, ça ne se passsera pas comme ça !”. Ils m’ont mise par terre devant mes enfants, et ils m’ont fouillée ».
Les policiers n’ont trouvé ni drogue ni argent dans l’appartement. Avant de partir, ils rédigent un rapport qu’Huguette Ahouavoeke refuse de signer. « Puis, ils sont partis. Ensuite, les pompiers ou les gens du Samu sont venus me voir. Ils ont dit qu’ils n’avaient rien pu faire pour sauver mon mari. »
Pendant tout le temps qu’a duré cette perquisition, Huguette Ahouavoeke n’a pu à aucun moment quitter l’appartement pour aller voir le corps de son mari. Sa sœur, prévenue par téléphone et présente sur les lieux dès 7h45, n’a pas eu l’autorisation de monter la voir. Les enfants, présents dans la chambre lorsque leur père est tombé, ont assisté aux événements. Les deux aînés, 11 et 7 ans, ont été interrogés par la police dans une pièce à part, une heure chacun, séparément, sans aucun témoin – ni leur mère, ni aucun psychologue ou médecin. Depuis, les enfants se cachent dès que quelqu’un frappe à la porte, craignant un retour de la police et suppliant la mère de ne pas ouvrir.
Toujours pendant la perquisition, avant la levée du corps, les policiers de l’IGPN sont arrivés sur place. Ils ont interrogé Huguette Ahouavoeke à nouveau, ainsi que sa sœur, et les voisins.
Avant de partir, des policiers lui ont donné le téléphone de la PJ de Meaux au cas où elle désirerait des informations complémentaires. Depuis, celle-ci a appellé à plusieurs reprises mais n’a jamais pu obtenir d’explications :
« On ne veut pas m’éclairer. Quand j’appelle ils me font balader. Jusqu’à aujourd’hui je ne sais pas ce qu’ils lui reprochaient. C’est par le journal que j’ai su qu’il recherchaient un trafiquant de drogue ».
C’est le lendemain, jeudi, que Huguette Ahouavoeke était enfin autorisée à se rendre à la morgue pour voir le corps de son mari. Celui-ci ayant subi une autopsie le matin même, à la demande de la police et pour une raison qu’elle ignore, elle n’aura pu voir que son visage.
J'espère que vous irez lire en totalité l'article du Quotidien des Sans-Papiers, mais je voudrais encore en extraire, pour les toujours-pressés, cette "petite histoire":
Un événement étrange survient le lundi matin.
Ce jour-là, Huguette Ahouavoeke se rend à la mairie du Xe arrondissement pour y chercher l’acte de décès de son mari. Le document remis par la fonctionnaire de mairie qui a établi le certificat de décès contient deux aberrations manifestes, l’ignorance de la date du décès et le lieu où se trouvait le corps : « Nous avons établi le décès de Iheanacho, Elvis Akpa, (…) dont la date n’a pu être établie (…). Le corps a été trouvé en son domicile (…). Dressé sur la déclaration de Philippe Guilbert, commandant de police du 8e arrondissement (…) qui, lecture faite et invité à lire l’acte, a signé avec nous (…) ».
Je lis cela (et la relation des "explications" obtenues par Huguette Ahouavoeke...) en fronçant des sourcils dubitatifs.
Il y a peut-être un soupçon qui pourrait passer pour injurieux dans mon regard... je ne sais pas.
Mais pourquoi donc la police s'est-elle arrangée pour que cette affaire soit si peu limpide ?
En attendant, le Quotidien des Sans-Papiers lance un appel à solidarité pour Huguette Ahouavoeke.
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4 commentaires:
“Votre mec il s’est cassé la gueule à cause de vous, il fallait ouvrir vite fait la porte !”
Gnnniihh… Dis-moi que ce n'est pas possible, ils ne peuvent pas pousser l'infamie à ce point ?
Entre le déroulement de l'intervention et le maquillage du certificat de décès, ce qui est raconté là est tellement honteux que ma réaction a d'abord été de ne pas y croire. Et que j'ai dû me persuader que c'était vrai tant ça me semble incroyable de se comporter ainsi.
"Ne pas y croire" a été aussi ma première réaction, c'est pourquoi j'ai cherché des recoupements dans la presse. Sans succès.
Comme l'AFP ne donne que la version policière des faits, c'est donc parole contre parole... Mais j'ai du mal à imaginer un "montage" aussi tordu de la part du QSP ou de la veuve, qui a bien d'autres préoccupations.
Que ce soit incroyable est un indice de vraisemblance...
"Que ce soit incroyable est un indice de vraisemblance..."
On est d'accord. Et ça fout les jetons.
(Enfin… pas le fait d'être d'accord, hein…)
Non, non, le fait d'être d'accord rassure plutôt..
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