Si je laissais s'exprimer en tout liberté le beauf qui est en moi, je pourrais dire, en reposant bruyamment mon blanc limé sur le comptoir, que c'est plus vite fait de remettre Jean-Marc Rouillan en prison à plein temps que de décider de ne pas extrader Marina Petrella.
Mais je sais bien que le sort de Marina Petrella ne sera décidé qu'en haut lieu, et qu'en haut lieu on est tellement occupé qu'on en arrive à annuler des discours... alors que le sort de Jean-Marc Rouillan peut être provisoirement réglé par un juge de l'application des peine...
En milieu de semaine, les "Unes" de nos quotidiens se sont ornées de titres catégoriques et péremptoires: Jean-Marc Rouillan ne regrette rien.
A l'origine de cette révélation se trouve un entretien de JM Rouillan avec Gilles Rof, journaliste indépendant, publié dans Lexpress.fr, puis dans l'Express.
Cette nouvelle ne peut étonner que ceux qui s'attendaient à trouver un Jean-Marc Rouillan en autoflagellant repentant, battant sa coulpe, cendre sur la tête et proclamant bien fort: "j'ai changé".
Malgré une vingtaine d'années de prison, ponctuées de tentatives d'humiliation et de mises au pas qu'il a racontées par ailleurs, malgré une nourriture intellectuelle assez indigente, à base de télévision et autres médias anesthésiants, on n'a pas rendu le cerveau de Rouillan disponible au reniement total de ses convictions révolutionnaires.
Il était suffisant de lire ses chroniques de prison pour s'en apercevoir...
Le passage de l'entretien qui lui a valu un retour rapide en prison est la dernière réponse de cet échange:
Question: Etes-vous prêt encore à jouer votre liberté personnelle pour vos idées?
Mais je la joue actuellement. Avec cette interview... Je sais que je ne suis qu'en "semi-liberté". Et s'il y a une amélioration, ce sera une liberté sous condition. C'est-à-dire que je ne serai jamais plus un homme libre. On me l'a marqué sur un papier.
Dans Le Monde, Françoise Besse, la veuve de Georges Besse, a évoqué à votre propos un "honteux recrutement". Regrettez-vous les actes d'Action directe, notamment cet assassinat?
Je n'ai pas le droit de m'exprimer là-dessus... Mais le fait que je ne m'exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu'on avait fait, je pourrais m'exprimer. Mais par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique.
Réponse assumée,Jean-Mars Rouillan n'a pas hésité: en ayant pleinement conscience des conséquences possibles, il assume sa réponse.
Le parquet non plus n'a pas hésité.
Il reste que la dernière phrase demeurera inentendue dans le battage qui va suivre: un vrai bilan critique de ce que fut ce moment de notre histoire ne sera pas possible avant longtemps.
PS: Parmi les petites choses amusantes que l'on peut relever dans la presse, ce petit encart pleurnichard dans Liberation.fr, assaisonné d'un joli coup de glotte déontologique:
Ce n’est pas qu’on veut se plaindre, mais on a l’air couillon : l’interview de Jean-Marc Rouillan, on l’avait aussi, à Libé, mais on s’est fait griller par L’Express, qui l’a balancé plus tôt, mercredi, sur son site. Bien joué ? Sans doute : tous les médias ne parlent, depuis, que de «l’interview de Rouillan à L’Express». Une interview que Libération a également eue et que nous avions envisagé de passer dès samedi dernier. Avant de la retarder. Car on avait rencontré le cofondateur d’Action directe à Marseille, comme L’Express. Et comme tout le monde était d’accord pour une parution de ses propos le même jour, soit hier, histoire de ne pas faire la chasse au scoop. Libé a respecté l’accord. Pas L’Express. C’est comme ça que se créent les fausses exclusivités, avec un côté un peu voyou. Mais finalement, la vraie question est celle-là : quand, à la suite d’une interview, un homme est menacé de perdre sa semi-liberté, comme l’a réclamé le parquet de Paris mercredi après la parution sur le site de L’Express, quelle est la responsabilité du journaliste ? (...) (signé Michel Henry)
C'est beau, hein...
Et la réponse de Gilles Rof:
La suspension de la semi-liberté de Jean-Marc Rouillan a été provoquée par sa réponse à l’une de mes questions. Cette réponse est complexe et, visiblement, sujette à interprétation. Le parquet a estimé qu’elle enfreignait les termes des conditions de sa semi-liberté. Le débat sur le fond aura lieu le 16 octobre. Pour Rouillan, qui a validé l’entretien – ce qui était la seule condition à la réalisation de l’interview – je pense que cette phrase était un commentaire, non pas sur les faits et gestes d’Action Directe, mais sur l’interdiction qui lui est faite de parler globalement de ces faits historiques. Rouillan explique que, selon lui, cette interdiction empêche un «bilan critique» de l’expérience d’Action Directe et que s’il « crachait sur tout », il pourrait parler. L’emballement médiatique a réduit cette réponse à «Rouillan ne regrette rien». Ce qui a provoqué, dans l’opinion publique, une réaction épidermique et l’embrasement que tu sais.
Pour conclure, la rapidité de la réaction de la justice pose aussi plus globalement la question de la liberté d’expression. En remettant provisoirement Jean-Marc Rouillan en prison a-t-on voulu l’empêcher de s’exprimer encore ? Après l’Express, après Libération, craignait-on qu’il donne encore une interview ? A-t-il le droit, après 21 ans de détention, de parler aux journaux ? Aujourd’hui, en tant que journaliste, en tant qu’homme, je me pose la question. Il me semble d’ailleurs que c’est la plus importante.
2 commentaires:
A ce propos ce matin sur France Inter la chronique du triste sir Thomas Legrand sur la remise en détention de Jean Marc Rouillan est à la hauteur de ce qu'est devenu cette "radio de service public" que l'on peut presque baptiser : la voix de son maitre !
le lien du texte édiffiant et pétri de certitudes à la con...
http://www.radiofrance.fr/franceinter/chro/edito/
Merci du tuyau, je vais chausser mes grandes oreilles et aller écouter cela...
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