Avant hier, pour rendre compte du résultat de la rencontre entre le préfet de Lorraine et une délégation du collectif de soutien à la famille Vrenezi, Stéphane Mazzucotelli intitulait son article du Républicain Lorrain:
Handicapé expulsé : le préfet assume.
Et il expliquait que:
Loin de faire machine arrière, le représentant de l'État continue de justifier cette décision administrative de reconduite à la frontière malgré la vague d'indignation qui a suivi la médiatisation de cette affaire.
En somme:
Pour l'instant, l'Administration fait front et assume.
L'administration est grande, majeure et probablement vaccinée contre les états d'âme; qu'elle assume donc...
De leur côté, les soutiens d'Ardy et de sa famille assumeront leur refus de cet acte de pure barbarie légale qui consiste à expulser de notre territoire - car, savez-vous, c'est aussi le nôtre - un enfant gravement malade, sans avoir, à l'évidence, de garantie de prise en charge de son affection dans le pays d'arrivée.
Le 11 mai, plus d'une semaine après l'arrestation d'Ardy au centre où il était soigné, le Républicain Lorrain publiait un entretien avec le docteur Isabelle Kieffer, qui l'a suivi en pédiatrie, et qui est sans doute le médecin connaissant le mieux son dossier. Ses propos ont été recueillis par le journaliste Stéphane Mazzucotelli à qui l'on doit la quasi totalité des informations paraissant dans la presse, trop peu reprises par les médias nationaux.
Ces mots, prononcés par quelqu'un qui assume pleinement son rôle de médecin, méritent qu'on les lise:
Q: Docteur, pouvez-vous nous dire de quelle maladie souffre Ardy Vrenezi ?
R: On a beaucoup parlé de maladie dégénérative, mais ce n'est pas le cas. Ardy souffre de complications graves suite à une maladie infectieuse de l'enfance. Ces complications sont très handicapantes et elles iront en s'aggravant, surtout si la prise en charge n'est pas adaptée. Il y a deux ans, Ardy est arrivé en France dans un état quasi comateux. Il convulsait constamment mais, au Kosovo, aucun médecin n'a posé de diagnostic précis. (...)
Q: Comment la famille Vrenezi s'est-elle retrouvée en Moselle-Est ?
R: Sur demande de la Ddass, l'association Horizon a été chargée de trouver un logement aux Vrenezi. Ils sont donc arrivés à Valmont courant 2009. Le neuropédiatre de Metz qui suivait Ardy a donc transmis son dossier au neuropédiatre d'Hospitalor Saint-Avold. Puis une place s'est libérée à l'Institut d'éducation motrice de Freyming. Elle a été attribuée tout à fait officiellement à Ardy. (...)
Q: De quoi a besoin Ardy Vrenezi pour se soigner ?
R: Il a besoin d'un suivi neuropédiatrique, d'un suivi de rééducation fonctionnelle pédiatrique et d'un suivi pédiatrique classique avec conseil de nutrition notamment.
Q: Aujourd'hui, vous vous dites surprise par les informations rassurantes de la préfecture concernant la prise en charge d'Ardy au Kosovo ?
R: Effectivement je m'interroge. La préfecture n'arrive pas à me donner d'emblée le nom de l'équipe médicale qui s'occupe d'Ardy depuis son retour au Kosovo. Cela semble montrer qu'aucun réel relais n'était organisé, et que la France s'est simplement contentée de voir s'il était en état de voyager... Pourquoi n'ai-je pas reçu une demande officielle pour transmettre le dossier médical ? Nous avions fait fabriquer une coque pour son confort. On voudrait l'envoyer au Kosovo. Mais on ne sait même pas à qui livrer le matériel médical. (...)
Q: Les nouvelles du Kosovo seraient peu rassurantes. Ardy ferait des crises de convulsions.
R: C'est possible. C'est terrible car Ardy avait fait des progrès énormes. Il recommençait à marcher un peu avec de l'aide. Mais pourquoi, d'après sa famille, Ardy n'était-il toujours pas hospitalisé vendredi alors que la préfecture parle d'un accord de soins gratuits ? Cela ne tient pas debout. (...)
Depuis cet entretien, dix jours se sont écoulés, et des actions ont été engagées par le comité pour le retour d'Ardy Vrenezi. Plusieurs manifestations ont eu lieu, dont une, le samedi 15 mai, est partie de l'Institut où était accueilli Ardy, avec, "à l'avant du cortège, un fauteuil roulant muni d'une coque. Symboliquement vide". Un fauteuil roulant comme celui dont Ardy aurait besoin...
Quelques contacts ont pu enfin être pris avec les équipes médicales du Kosovo par les médecins français: ils sont bien loin de confirmer le "tout va bien, nous avons tout prévu" ressassé par l'Administration...
Inlassablement, Isabelle Kieffer continuera à dénoncer, avec calme, précision et détermination, cet optimisme de façade. Il suffit de lire ses commentaires dans le blogue du comité de soutien.
Elle faisait partie de la délégation reçue lundi soir par monsieur Bernard Niquet, préfet de Lorraine, pour une réunion où il a répété, de son fauteuil préfectoral, ce que ses collaborateurs avaient déjà soutenu:
«Le préfet continue de dire qu'il n'y a pas de problème, qu'il a reçu l'assurance qu'Ardy serait bien soigné au Kosovo.»
Pouvait-elle déclarer à la sortie de cette entrevue, ajoutant:
«Or, les quelques informations dont nous disposons nous disent le contraire.»
Et Alain Cocq, du collectif des démocrates handicapés pouvait préciser:
«Nous avons une lettre du ministère de la Santé kosovar qui dit noir sur blanc, contrairement à ce que soutient la préfecture de Moselle, que les services qui accueillent Ardy sont primaires, inadaptés pour lui. Il est même dit qu'un seul médicament est disponible, sur les trois que doit prendre impérativement le gamin.»
Ces documents, présentés au préfet lundi, devaient faire l'objet de "vérifications" de la part de ses services.
Les collaborateurs de la préfecture doivent être d'une célérité confondante dans les "vérifications", car la réponse n'a pas tardé. On la trouve dans un article du Républicain Lorrain, réservé aux abonnés, mais reproduit en format image sur l'indispensable blogardy.
La première partie de cet article permet de bien apprécier l'optique de l'Administration:
Lors d'une réunion en préfecture lundi soir, des documents ont été fournis au préfet par le collectif. Selon des soignants français d'Ardy et Alain Cocq, du groupe des démocrates handicapés, ces lettres qui témoignent du manque de moyens au Kosovo pour soigner la maladie visée "ont reçu le tampon officiel des Nations unis et de l'Etat kosovar". A la préfecture de Metz, on balayait l'argument d'un revers de main lundi matin: "Nous avons soumis ces documents à notre ambassade de France à Pristina qui a contacté le directeur de la Santé du Kosovo. Il en ressort que ces documents n'ont aucune valeur officielle ou juridique".
Si vous vous attendiez à ce que l'on s'interroge sur la valeur médicale de ces documents, c'est que vous n'avez aucune idée des "valeurs" qui doivent prévaloir dans l'Administration.
(Vous pouvez toujours faire médecine...)
Forte de cette non-"valeur officielle et juridique" de ces premiers documents, la préfecture ne va tout de même pas se soucier "d'un énième courrier signé de médecins qui ont soigné Ardy", admis ce ouiquende à l'hôpital universitaire de Pristina...
Et pourtant, selon Isabelle Kieffer:
«Le Dr Zeka, neurologue pédiatre référent du Kosovo, le Dr Gërguri, pédiatre, le professeur Dr Zejnullahu, pédiatre généticien, assurent, dans cette lettre, qu'en raison de l'évolution de la maladie, de la nécessité d'un traitement multidisciplinaire, l'enfant aurait besoin d'une prise en charge ultérieure à l'étranger.»
Dans la seconde partie, "une porte-parole de la préfecture" développe, en toute bonne conscience, probablement, ce tableau définitif:
« L'enfant est parti avec deux mois de médicaments. Avant sa reconduite nous nous sommes évidemment assurés que le Kosovo était prêt à le recevoir et à le soigner. Et l'Etat souverain du Kosovo a dit oui. Des gens de l'ambassade se sont même assurés que les médicaments nécessaires étaient disponibles dans les pharmacies de la ville. C'était le cas. Maintenant, la préfecture ne peut pas surveiller les faits et gestes des Vrenezi dans leur pays. Nous nous sommes engagés à faciliter le contact entre les médecins français et kosovars. C'est à la famille de faire ce qu'il faut maintenant. L'adolescent doit désormais faire une demande au ministère de la Santé de son pays pour bénéficier d'un protocole de soins gratuits, puis il doit passer devant une commission médicale. Si cette commission déclare que son état de santé ne peut effectivement pas être pris en charge là-bas, rien n'empêchera la famille de passer par une procédure légale pour demander à ce que l'enfant soit soigné dans un autre pays. »
Il y aurait beaucoup à dire de ce parfait morceau de prose déshumanisée.
Mais je ne le ferai pas.
Au moment où je terminais de le mettre en page, un message du docteur Kieffer a été posté sur le blogue du comité de soutien, et il me semble plus important de le relayer que d'ajouter mes subtils commentaires de second degré au texte préfectoral, dont l'ignominie apparaît assez clairement à qui sait lire .
Voici le message d'Isabelle Kieffer:
Nouvelles dramatiques
Je me permets de revenir vers vous en raison de nouvelles que je viens d'avoir directement auprès de Mimoza, la grande sœur de 17 ans d'Ardi, ce jour (20 mai) vers 15h10.
J'ai été également à l'instant (16h) en contact avec la cousine d'Ardi, qui réside habituellement en Allemagne, et qui est actuellement au Kosovo. Elle confirme la dégradation de son état. Elle m'a appelée pour me dire qu'il y aurait eu des pressions sur les médecins de Pristina pour ne plus transmettre de données alarmantes et de ne plus dire qu'ils n'ont pas les moyens pour le soigner.
Ardy a de nouvelles crises d'épilepsie fréquentes, depuis que les médicaments sont épuisés.
Et Mimoza, la grande sœur, et la nièce, confirment qu'ils n'avaient qu'un stock de médicaments pour à peine une semaine, et les ordonnances faites ne permettent pas d'obtenir les médicaments qui ne sont pas disponibles au Kosovo (cf précédent mail, je vous joins les justificatifs originaux et traduits). Il s'alimente difficilement, avec des aliments moulinés. Son épilepsie s'aggrave "de jour en jour" avec des crises plus longues et plus fréquentes.
Les médecins de Pristina ont dit au papa qu'"ils ne peuvent rien de plus pour lui, qu'il doit se faire soigner en France". Cf document joint avec demande de soins à l'étranger, signée par 3 médecins, dont le Dr Naïm Zeka, référent au Kosovo pour la neuropédiatrie d'après le Dr Banlu Anlar de la Société européenne de neurologie pédiatrique ( PJ "CR Ardy clinique pédiatrique Pristina")
La situation médicale est vraiment préoccupante, cette expulsion était une erreur à tous les niveaux, et l'enfant risque de la payer très cher - et le paye déjà très cher! - ainsi que toute sa famille.
Savez-vous qui est en charge du dossier, pour obtenir une "réparation" rapide de cette erreur?
Dr Isabelle Kieffer
(Tous les documents joints sont sur le blogardy, je ne reproduis que la traduction du "rapport pour un traitement médical à l'étranger".)
7 commentaires:
Merci Guy de rester avec nous...
Nous ne pouvons rien sans le secours des uns pour les autres...
Harpo
Depuis le 4 mai, nous crions de toutes nos forces seul l'écho de ce cri nous revient, merci à vous. Ardy a des yeux magnifiques, ils sont clairs avec des cils très très longs. Un regard spécial, unique. Comment vais-je pouvoir accepter l'impensable,l'innommable, comment faire sans révolte impossible de garder cette colère, impossible de ne pas continuer!
Je me demande encore quel type d'humain a pu regarder Ardy en face au moment de son arrestation ou de son embarquement, et rencontrer alors ce regard dont vous parlez, et que j'imagine.
Là, oui, c'est bien l'impensable.
Je me souviens de cette chanson de Ferré/Aragon : "Tu n'en reviendras pas" où la musique était comme une berceuse tendre,
tandis que le texte disait des horreurs...
Ton billet est pareil.
Tu n'y es même pas grossier,
mais c'est à hurler.
Je hurle aussi des horreurs, en privé, au fond de mon trou normand, mais en sachant très bien (et ça a été ma première réaction) que "ces gens-là" sont au-dessous de toute invective.
Nous n'abandonnerons pas ...J'ai côtoyé Ardy en tant que chauffeur GIHP et plus le temps passe plus ma colère s'accentue......
Pourquoi toutes les Associations de la régions ne ce mobilise pas ? pourquoi tant d'indifférence de la population ?
En tant que Président d'Handisol j'ai tenté de mobilisé mais sans succès ....
Pourtant j'ai TOUJOURS soutenus et participé au combats des uns et des autres ...
Je continue avec vous...
Avec un nouveau billet aujourd'hui, face au silence.
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