Dans un silence médiatique de mort, j'en arrive à me demander si je n'ai pas raté quelque chose, qui rendrait indéfendable le cas d'Ardy Vrenezi...
Et, pour résumer la situation, s'impose à moi un face-à-face exemplaire, en montage parallèle, avec deux personnages, un homme, une femme.
J'imagine que le premier, chaque matin, investit son bureau pour retrouver ses dossiers, rasé de frais et revêtu d'un costard-cravate de bonne coupe, mais sans ostentation. Fonction oblige. Ce titulaire d'une maîtrise de Droit a longtemps œuvré dans les cabinets, zone indécise entre politique et administration. On le présente souvent comme l'ancien "bras droit" de madame Bernadette Chirac, et depuis que la dame aux pièces jaunes a retrouvé l'usage de ses membres, il a intégré le corps préfectoral. Il administre maintenant une région, et, ainsi qu'il est écrit au grand livre de la Loi républicaine, il y est le principal représentant de l'État.
A la même heure, ou un peu plus tôt, j'imagine que la seconde enfile sa blouse blanche, en vérifiant la présence dans ses poches des bricoles nécessaires. Elle aussi va s'occuper de ses dossiers urgents ou "en souffrance": docteur en médecine, elle occupe un poste de pédiatre en milieu hospitalier, et ses dossiers à elle ont un visage, une voix, un sourire, et un regard qui se lève souvent vers elle, éclairé d'un increvable espoir. Cet increvable espoir de guérison qu'elle sait parfois être illusoire...
Il s'agit d'un souvenir du passage de Docteur Sourire
en 2008, à Hospitalor Saint-Avold,
où travaille le docteur Isabelle Kieffer.
Le premier a décidé de l'expulsion d'Ardy Vrenezi, polyhandicapé de 15 ans, et de sa famille, et pour lui l'affaire est formellement close; la seconde a soigné Ardy avant qu'on l'arrête, et elle continue, maintenant qu'on l'a renvoyé au Kosovo, de prendre soin de lui.
Il y a là, assurément, une grande différence d'éthique professionnelle, ou encore, plus généralement, de sens de la responsabilité que l'on peut avoir à assumer face à un être humain dont la vulnérabilité est évidente.
que l'on ne prononce pas dans la fonction publique.
Même si les témoignages qui nous parviennent ne sont pas revêtus de suffisamment de tampons ministériels, ou autres, pour avoir, au sens de la préfecture de Lorraine ou de "notre ambassade de France à Pristina", "valeur officielle ou juridique" (voir ici, ou encore là), nous savons maintenant que cette expulsion a eu pour conséquence la mise en danger de la vie d'Ardy.
Et, plus, nous savons que l'Administration, elle aussi, le sait.
N'est-ce pas ce qui transparait dans cette déclaration d'"une porte-parole de la préfecture", que j'ai déjà retranscrite, où l'on semble envisager, avec beaucoup de discrétion, la possibilité d'une issue fatale à l'expulsion d'Ardy dans un pays où les structures hospitalières ne peuvent prendre en charge convenablement l'évolution de sa maladie ? Comment autrement interpréter cet accent subitement mis sur la souveraineté de l'Etat kosovar ("Et l'Etat souverain du Kosovo a dit oui"), ou encore cette insidieuse mise en cause des parents d'Ardy ("La préfecture ne peut pas surveiller les faits et gestes des Vrenezi dans leur pays" ou "C'est à la famille de faire ce qu'il faut maintenant") ?
Ce risque, implicitement reconnu, a été dénoncé dès le début par le docteur Kieffer, et par le collectif de soutien pour le retour d'Ardy.
Et il me vient comme une envie de hurler, du fond de mon trou normand, devant cette misérable tentative de faire endosser à d'autres les conséquences du risque qui a été pris...
causées par un trou normand vers le Grand Nuage de Magellan.
(J'habite au centre, c'est pourquoi ma voix est si faible.)
Encore faut-il peut-être voir en cette tentative comme un reste de scrupule moral, avec une légère coloration d'hypocrisie, comme il se doit...
Car dans cette affaire, tout s'est passé comme s'il était de la responsabilité de hauts fonctionnaires de décider si une vie fragilisée par la maladie méritait d'être ainsi "risquée" dans une expulsion légale.
Cette considération aurait pu conduire nos philosophes de l'éditocratie à poser la question plus générale de savoir s'il entre bien dans les attributions de l'État, ou de ses représentants, de décider quelles vies sont dignes d'être vécues et protégées, et quelles vie ne le sont pas...
Ils ont dû juger que la question de l'interdiction (ou pas) des apéros géants posait un problème éthique plus urgent.
6 commentaires:
Après un court passage par la Normandie, moi, c'est depuis mon trou breton que je suis (verbe suivre) tout ça, grâce à mes anciens amis de Saint-Avold...
Et... j'attends toujours avec grande impatience, cet escalier qui bibliothèque.
Ma voix étant encore plus faible puisque bien plus éloignée du point central,j'ai fini par ne plus côtoyer que Desnos, Eluard, Gracq et Reverdy, en regardant pousser les petites choses de mon jardin...
Même plus envie de hurler !
On peut ne pas hurler... l'important est de se faire entendre.
Bon, ça, alors... de René Char
"Mais attention que les pardonnés
Ceux qui avaient choisi le parti du crime
Ne redeviennent nos tourmenteurs
A la faveur de notre légèreté et d’un oubli coupable.
Ils trouveraient le moyen, avec le ponçage du temps,
De glisser de l’hitlérisme dans une tradition,
De lui fournir une légitimité,
Une amabilité, même."
René Char
Un René Char étonnamment limpide...
D'où cela vient-il ?
(Je me noie très vite dans le Pléiade: si je commence à chercher quelque chose, je me mets à (re)lire, et ne (re)trouve rien.)
Trou bourguignon saluer ses semblables.
Tenez : pour ne pas s'exténuer à chialer, Jacques Bertin*, ici, sur un autre blog qui, lui aussi, est beau parce que c'est nécessaire.
*«La nuit de la vie est si longue
Et dur à l'âme le manteau...»
Merci pour ce superbe Œil des chats, entre chien et loup...
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