En matière de commentaire littéraire, je n'ai jamais été très bon; et quand il s'agissait de poésie, j'avais, et j'ai toujours, tendance à trancher: Lisez, et si ça ne vous dit rien, passez à autre chose; et n'en dégoutez pas les autres.
Dans les articles critiques, je saute au-dessus des présentations, paraphrases et gloses savantes pour picorer les citations, et parfois - et ceci rassurera les critiques littéraires - j'emprunte le livre dans une bibliothèque.
Une fois, cela commençait ainsi:
A travers des arbres qui sont des érables le beau temps va les fleurir en rouge
quelqu'un a promené longtemps l'histoire
d'un amour qui s'en va minuscule avec
de grands gestes comme une fureur et la mélancolie la voilà partout
le paysage éteint son bleu dans l'herbe dure.
Est-ce que l'amour brille pas quand même ? un village ancien
(tuile et des pruniers) s'emmêle à la couleur ensoleillée des maisons
poème comme une colère avec la joue tendre
ça fait qu'on marche on sait pas où par exemple un pied
dans la Nouvelle Angleterre l'autre au Poitou.
Je n'ai eu aucune envie de passer à autre chose, et, "un pied / dans la Nouvelle Angleterre l'autre au Poitou", j'ai continué d'avancer dans cette poésie qui me disait quelque chose de familier...
Le vert qui devient plus vert des pelouses
d'en parler dans un poème c'est tellement
banal je sais bien
mais si ça fait plaisir parce que
voilà qu'on croirait l'expérience montrée d'un cœur
(tant de vert avant l'orage
et la solitude qui attend des maisons c'est
à nouveau les arbres défaits d'un pays d'enfance lesquels sont comme
d'anciennes photos cornées qu'on distingue plus
si c'est de la pluie ou l'impression mal jaunie sur le papier
qui fait l'image empruntée de silence à peine reconnaissable)
si quand même ça fait plaisir est-ce que
c'est pas suffisant pour qu'on essaie d'un poème ?
Ces poèmes me disaient bien sûr la familiarité d'un "pays d'enfance" qui n'est pas si éloigné du mien, dans le temps et dans l'espace - James Sacré est né en 1939, en Vendée, où il a passé son enfance.
Je pense à un village où c'était que des fermes que des gens
à travailler tous les jours dans les champs dans
les cours les bâtiments qu'on y chapuse;
plus loin après l'espace que peut mesurer par exemple une pluie
d'autres villages pareils puis les chemins
deviennent une route on arrive au bourg qui a encore
des paysans mieux convenablement mis,
avec des granges prises dans la compacité urbaine;
dans ce village auquel je pense est-ce que c'était
comme une espèce de liberté ou seulement la pauvreté une habitude
qui faisait qu'on portait longtemps le même gilet déchiré
et des guenilles pour avoir les pieds canigés bien dans les bottes ?
Et tant pis si l'on butte quelquefois sur des manières d'un parler pas très parisien.
Y m'en vas dans le mot paysan façons d'écrire qu'on maîtrise mal
te t'en vas le s'en va comme si
t'effeuillais les choux un matin le temps
renfourne dans l'insignifiance au loin son froid avec la fatigue;
on a été un paysan ça veut dire quoi plus
qu'un mot on l'a depuis longtemps quelque part comme
un caillou dans sa botte ça gêne un peu aussi
te peux jouer avec, o m'arrive en tout cas, o fait
comme un cœur sali entre les orteils.
Ces quatre extraits sont tirés du livre de James Sacré, Quelque chose de mal raconté, publié en 1981 aux éditions Ryôan-ji - qui ne sont autres, sauf erreur de ma part, que les édition André Dimanche .
Il s'agit bien du premier livre de James Sacré que j'ai lu, après l'avoir emprunté à la "médiathèque" municipale. C'était il y a une vingtaine d'années, et je ne compte plus le nombre de libraires qui m'ont promis de l'obtenir, le trouvant encore "disponible" sur leur base de données...
Aucun n'a réussi.
Après avoir hésité à le voler à la "médiathèque", j'ai jugé préférable de le photocopier avant de le remettre dans les rayons.
Je ne sais pas si monsieur André Dimanche, qui est un honorable éditeur, mesure à quelles extrémités, à la limite de l'illégalité, il m'a réduit en ne réimprimant pas, ainsi qu'il devrait le faire de toute urgence, ce livre qu'on lui a confié.
A sa place, je me sentirais la conscience bien chargée...
Il faut attraper au vol les livres de James Sacré, car, s'il a publié, à ses débuts, chez Gallimard et au Seuil, il semble préférer donner ses textes à des éditeurs de poésie, qui sont aussi ses amis - mais cela ne devrait pas l'empêcher de tancer d'importance ce monsieur André Dimanche. Les tirages sont donc assez limités, n'envahissent pas les tables des marchands de papier imprimé en gros, et tardent à être réimprimés, quand ils le sont.
Vous ne pourrez dons pas trouver Quelque chose de mal raconté, mais vous pourrez trouver, chez votre libraire, d'autres livres de James Sacré, tel le très beau Portrait du père en travers du temps, qui est paru en 2009, aux éditions La Dragonne.
Ce recueil, illustré de cinq lithographies couleur de Djamel Meskache - peintre, mais également "patron" des éditions Tarabuste -, regroupe des poèmes écrits par James Sacré au fil des années depuis 2001, depuis la mort de son père.
Si je crois pouvoir penser
Te garder vivant dans ces mots
C'est évidemment pas vrai, c'est
Que du plaisir ou de la peine
Qu'on entendra dans mon poème, ça n'est que moi
Qui reste vivant.
Tes derniers gestes vers mes yeux
Pour mettre ensemble nos cœurs silencieux
S'ils pensaient pas déjà
A cet aujourd'hui sans toi ?
(aéroport de Genève, 22 mars 2001)
Dans ce livre aussi, je retrouve quelque chose de familier, qui est pourtant quelque chose de difficile à raconter, mais qu'on ne saurait autrement dire que dans le trébuchement des mots et le boitement des rythmes.
Un peu comme cela, peut-être:
2 commentaires:
J'aime bien ton blog, j'ai du mal à y faire des coms mais le coeur y est .
Merci...
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