Il n'est pas impossible qu'en un conseil de professeurs, un participant gaffeur ait lâché, à la fin de l'examen minutieux du cas de l'élève Alex Türk, qu'on pouvait en confiance l'admettre en classe supérieure, parce qu'à l'évidence il avait "une bonne tête, ce Türk !"
Ce type de jugement n'était pas rare à l'époque, qu'il soit volontaire ou non. Les plus mémorables d'entre eux constituaient une anthologie qui participait de manière essentielle à la "culture d'établissement". Les appréciations piquantes et les bourdes célèbres y voisinaient avec les fameux motifs de retenue qui atteignaient parfois à la pure poésie. Telle cette mention motivant, au début des années 1960, une "colle" à l'internat d'un lycée où j'eus l'honneur d'exercer: "Pète au dortoir comme on pète en rase campagne".
L'art de péter au dortoir est, hélas ! tombé en désuétude... Quant à celui de péter en rase campagne, il semble toujours pratiqué bien que notre écocitoyenneté nous recommande de contrôler sévèrement nos émissions de méthane.
Monsieur Alex Türk, président de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), a été cette année l'heureux élu des Big Brother Awards France, dans la catégorie "Mention spéciale" qui "distingue épisodiquement un candidat qui n’a pas obtenu le prix dans sa catégorie mais que le jury tient tout de même à récompenser", avec l'appréciation suivante:
[Prix Spécial du Jury 2000-2010.] Pour tromperie et dissimulation. Alex Türk endosse les habits du défenseur tout terrain de la vie privée et des libertés alors qu’il en est parfois le fossoyeur et souvent le facilitateur.
Cette appréciation globale est suivie d'un exposé des motifs qui, tout en admettant que "la CNIL dans son ensemble aurait pu être nominée", tient à rendre "à Türk ce qui est à Türk" et détaille les points forts de son action de diversion complaisante à la tête de la Commission.
Les qualités de monsieur Alex Türk l'ont également classé parmi les concurrents de la catégorie "Orwell Novlang", où on lui a préféré monsieur Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur. Son dossier de candidature est néanmoins très honorable dans la catégorie. On pourra y découvrir quelques extraits méritant de figurer dans une anthologie de la "novlangue pur jus".
Selon le jury des Big Brother Awards France, monsieur Alex Türk serait
"celui qui affirme que la CNIL protège les libertés des citoyens, des enfants, des salariés, des immigrés, tout en avouant se contenter de veiller au respect d’obligations légales dont il dénonce parfois l’insuffisance (lorsqu’il a besoin de redorer l’image de l’autorité pour justifier l’augmentation de son budget)."
Je ne sais pas si l'opération "coup de poing" et "poudre aux yeux" lancée par la CNIL le 27 mai lui permettra d'obtenir une substantielle "augmentation de son budget", mais elle aura au moins permis de faire entendre à l'opinion que la Commission existait encore, et qu'elle était encore capable de faire résonner les tambours et les trompettes médiatiques, tout en jouant son petit air de pipeau.
On pouvait donc lire:
Le 22 avril 2010, la formation contentieuse de la CNIL a décidé d'adresser un avertissement public à l'encontre de la société AIS 2, exerçant sous l'enseigne ACADOMIA. Cette société, spécialisée dans la mise en relation d'enseignants avec des parents d'élèves, a fait l'objet d'un contrôle sur place en novembre 2009. Ce contrôle a permis de relever, parmi d'autres manquements à la loi "informatique et libertés", la présence dans ses fichiers de milliers de commentaires excessifs, voire injurieux, tels que "gros con", "saloperie de gamin", "cancer du poumon tant mérité" ou encore " élève retourné en prison". Ces commentaires concernent des enseignants, des parents ou des élèves.
Le lecteur, par l'odeur alléché, pouvait découvrir de nouveaux commentaires aussi appétissants dans le corps de l'article, et plus encore dans le texte de la délibération n°2010-113 du 22 avril 2010 qui en propose un assortiment à déguster avec indignation, et un filet de jus de citron.
La société AIS2 reverra ses méthodes de travail, apprendra à ne pas laisser trop longtemps ce type de mention sur le fichier de l'entreprise, mettra au point un mode de communication privé de ces renseignements, ou reviendra à la bonne vieille technique des dossiers papier étoilés de post-it aussi amovibles que confidentiels.
Quant à "l'enseigne Acadomia", elle continuera à faire son abattage sur le soutien scolaire et continuera à nous faire croire qu'elle "croit au potentiel de chaque enfant".
Contrairement sans doute aux membres de l'Éducation Nationale, trop occupés à renseigner les fichiers (irréprochables, forcément irréprochables) de leur administration, également lauréats des Big Brother Awards France 2010, dans la catégorie "Orwell État & Élus", avec cette mention:
Jamais une administration n’avait accumulé en si peu de temps de nouveaux fichiers nominatifs, de Base élèves (dès 3 ans) au "livret de compétences", en passant par ceux qui "décrochent" du système éducatif...
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