Le bourgeois, de quelque variété qu'il soit, n'aime pas trop faire les poubelles, mais il aime assez "chiner". Aussi fréquente-t-il assidûment, avec de grands airs de connaisseur, les diverses foires-à-tout et vides-greniers des culs terreux, ou, s'il est parisien, les marchés aux puces de la capitale.
Quand il désire s'encanailler, on voit opérer le tropisme de l'est parisien, et dépassant largement la Courtille, Belleville, Ménilmontant et Charonne, il va baguenauder aux puces de Montreuil.
Car, nous dit-on, "voilà bien le plus puce des marchés aux puces de la capitale". Et MarieClaireMaison.com nous prévient, dans un articulet qui doit dater du siècle dernier:
Inutile de leur chercher du charme. C'est plutôt la rudesse des crocheteurs de poubelles du siècle passé qu'on y rencontre. Si, ici, avec un peu de chance, on peut encore payer un objet un euro, il faut d'abord s'armer de patience et traverser des allées entières de fripes, de quincaillerie, de pièces détachées, de babioles clinquantes et de foule intense avant d'arriver sur la petite place où se regroupent les brocanteurs, au bout de l'allée longeant le périph'.
Un "objet" à un euro, ça se mérite...
Le petit chiffonnier appuyé contre une borne,
photographie de Charles Nègre, 1851.
(Image RMN (Musée d'Orsay) / Béatrice Hatala,
empruntée au site du Mheu.*)
La vente à la sauvette est pratiquée, et quasiment tolérée, depuis toujours aux environs des marchés aux puces parisiens; et cela fait leur charme, même pour le bourgeois encanaillé qui aime à raconter comment il a retrouvé, en vente sur le trottoir, le sac qu'on venait de lui arracher sur le passage piétonnier.... (S'ensuit un récit épique et trépidant que je vous épargne.)
Cependant...
Selon un petit article d'Indymédia Paris-Ile-de-France, le samedi 8 mai, aux abords des puces de Montreuil, "d’étranges slogans écrits sur des draps blancs" pendouillaient aux fenêtres des riverains. On pouvait y lire: "AU SECOURS POLICE"; "INDÉSIRABLES"; "DU BALAI"; "POLLUEURS"; "NON AUX PUCES SAUVAGES"...
Et l'article ajoute:
Une rumeur inquiétante circule : les commerçants des puces "officielles" voisines prépareraient une manifestation contre les puces libres ! pour ce LUNDI 10 MAI 2010.
Cette manifestation a bien eu lieu, ce lundi.
Le Parisien en donne un compte-rendu un peu sec, mais suffisant:
Les riverains et les associations de commerçants des Puces de Montreuil ont manifesté ce lundi matin au côté de la maire du XXe arrondissement, Frédérique Calandra, pour protester contre la présence des vendeurs à la sauvette aux alentours du site. La manifestation a rassemblé environ 300 personnes, entourées par un important dispositif policier.
P*** T***, dans 20minutes.fr, donne largement la parole aux mécontents, commerçants patentés et riverains agacés, et nous la joue trémolo allusif:
(...) «C'est infernal, soupire Mustapha. Le week-end, on n'invite même plus nos amis.» Un vendeur est installé devant sa porte. Il est impossible de passer, à moins d'enjamber son stand. De sa fenêtre, une vieille dame fait signe. Elle n'est pas sortie depuis deux jours. Comme tous les week-ends.
Mais de quoi a-t-elle peur ?
L'engagement de madame Frédérique Calandra, maire du XXe arrondissement, dans cette affaire est explicité par une dépêche de l'AFP, reprise par le Figaro. On y apprend qu'elle a poussé un véritable "cri d'alarme":
« Il y a de la contrebande de cigarette, du trafic de drogue, du recel de vol. Les biffins sont mis en danger face à des gens qui s'auto-proclament "placiers" et qui rackettent les autres. Tous les trottoirs sont occupés, les riverains ne peuvent plus rentrer chez eux dans des conditions normales. »
(Bigre, à l'entendre, il ne manquerait plus que la prostitution...)
Son déchirant "cri d'alarme" est parvenu aux oreilles du préfet de police, monsieur Michel Gaudin, qui a promis des renforts de police.
Madame Calandra peut reposer sa voix, et respirer un peu.
Il est souhaitable qu'elle en profite pour examiner d'un peu plus près la situation de la porte de Montreuil, et pour tenir compte de ces informations données par Rimb dans son article d'Indymedia : il se trouve que les banderoles accrochées aux fenêtres s’adressent aux divers marchands de rue, mais surtout, parmi eux, aux vendeurs Roumains qui sont désignés par les riverains et les commerçants comme responsables de tout, et invectivés, et déjà pourchassés par les policiers...
Que madame Calandra ne respire pas trop fort : il semble bien qu'elle ait mis le pied dans une matière à dominante brune (comme certains matins), qui colle aux semelles et qui sent très mauvais.
PS: Et puisqu'on parle de "marché de la misère"...
Léo Ferré, à Bobino en 1969.
* Sur le site du Mheu (Musé historique environnement urbain), ce cliché est accompagné d'une notice sur une pratique que j'ignorais, celle de la médaille du chiffonnier:
A-t-il seulement sa médaille, ce jeune chiffonnier ?
Car le métier de chiffonnier est règlementé à partir de 1828 : l'ordonnance royale prévoit que les chiffonniers doivent porter une médaille délivrée par le Préfet de Police et être munis d'un petit balai pour « relever les ordures quand ils auront fouillé un tas » et d'une lanterne.
Ces médailles sont d'abord distribuées aux anciens forçats et repris de justice en contrepartie de « renseignements » (ce qui n'améliora pas la réputation de la profession) puis aux vieillards, aux estropiés, enfin à tous ceux qui en font la demande, et même aux enfants.
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