Du fond de sa cuvette, la belle ville de Grenoble regarde résolument vers l'avenir.
Son maire, monsieur Michel Destot, est docteur-ingénieur en physique nucléaire, et il ne doit pas être peu fier d'avoir soutenu sa thèse devant un jury présidé par Louis Néel, prix Nobel. Au vu de sa carrière, il est peu probable que lui-même ait un jour le prix Nobel, mais il peut toujours tenter sa chance aux Big Brother Awards, où sa détermination à équiper la ville de Grenoble en caméras de vidéo-surveillance devrait bien se trouver récompensée un jour.
C'est à ce propos que monsieur le maire a donné la preuve de l'ultra-modernité de ses conceptions de la démocratie. A un habitant qui, au cours d'une réunion publique, lui posait avec insistance la question de savoir si la population grenobloise serait consultée sur ces installations de caméras de vidéo-surveillance, il aurait répondu, sur un ton que l'on imagine:
"Si on faisait un référendum, c’est simple on le gagnerait, et même si on le gagnait pas, je le ferais quand même; il en va de mes compétences régaliennes en tant qu’élu d’assurer la sécurité..."
De fait, la ville a fait installer du 18 janvier au 8 mars, treize nouvelles "caméras-dôme 360°", sans en informer grand monde. Les seules informations disponibles paraissent en feuilleton sur Indymedia-Grenoble, et dans le Postillon - voir par exemple les articles du 2 février, du 7 février et du 21 février (qui donne un plan localisant les douze premières caméras installées).
Il n'est pas trop étonnant de constater que la remarquable aptitude au dialogue démocratique de notre savant atomiste ait rencontré la détermination de quelques électrons libres bien décidés à défendre leurs libertés, en contrant, au coup par coup, les développements pédagogiques louvoyants de monsieur Michel Destot et de son adjoint à la sécurité, monsieur Jérôme Safar. L'article d'Indymédia-Grenoble intitulé Un 1er mai sans caméras permet de suivre les grandes lignes de cette résistance, qui, elle, ne louvoie pas.
L'annonce assez tardive, par la municipalité, de l'installation d'un "comité d'éthique" ad hoc, après l'installation matérielle des 13 nouvelles caméras, est accueillie par un premier tract, daté du 25 avril, intitulé "Démontons les caméras". Il reprend en 10 points les bonnes raisons d'être contre la mise en place de ces caméras. (Pour télécharger ce tract, le recto est ici, et le verso est là.)
Le vendredi 30 avril, un "Démontons les caméras #2" est mis en ligne.
On peut supposer que ce tract a été distribué au cours de la manifestation du lendemain dans les rues de Grenoble.
Avec un peu de chance, au soir de cette manifestation du 1er mai, on pouvait apprendre, par une dépêche de l'AFP, qui le tenait d'une "source policière", que:
Une jeune femme appartenant à la mouvance anarchiste a été interpellée et placée en garde à vue samedi à Grenoble en marge de la manifestation du 1er mai après la dégradation de quatre abribus et d'une caméra de vidéosurveillance (...).
On y apprenait aussi que tous ces dégâts étaient "intervenus (...) après le passage d'un groupe de 70 personnes appartenant à la mouvance 'anarcho-libertaire'", et que la "jeune femme" avait "été arrêtée à la fin de la manifestation par les policiers alors qu'elle venait de casser une caméra de vidéosurveillance en se hissant sur une échelle".
La "source policière" a tenu à préciser, avec l'aide des pompiers:
Lors de l'interpellation qui a été "mouvementée", une personne, dont l'identité n'a pas été communiquée et qui s'opposait aux forces de l'ordre, a été blessée, ont ajouté les policiers.
Elle a été transportée "consciente" à l'hôpital de la ville, ont pour leur part indiqué les pompiers sans préciser la gravité de la blessure.
(Photo publiée par Indymedia-Grenoble.)
Le lendemain, la presse locale publie sur cette arrestation un article gratiné à la mode du Dauphiné (Libéré).
V.L., qui signe ce compte-rendu, commence très fort:
Au cours de la manifestation, quatre panneaux publicitaires appartenant à la société Decaux ont été volontairement dégradés dans le centre-ville et des policiers ont été la cible de projectiles pour le moins insolites, à savoir des fruits et des légumes, lancés par un groupe d'environ 70 personnes, portant capuches, écharpes et dont certaines étaient même grimées en clowns.
On reconnait là le ton du témoignage de première main, avec cette part d'étonnement qui fait le grand journalisme ( "certaines étaient même grimées en clowns" !), mais on regrette tout de même que l'état de maturité "des fruits et des légumes" ne soit pas davantage précisé.
Après cette mise en bouche, l'article apporte des précisions sur les circonstances du délit et de l'interpellation de la présumée coupable.
L'auteur raconte, en un récit précis et alerte, que "deux jeunes filles" sont "montées sur un feu de signalisation" et que "l'une d'entre elles a cassé le globe de protection d'une caméra de vidéosurveillance de trafic".
Cette dernière indication, "de trafic", éclaire les incrédules sur la réelle utilité des caméras.
La délinquante aurait été "repérée par des policiers", et surtout "vue se changer précipitamment et cacher ses vêtements dans un chariot de supermarché".
On regretterait presque que tout ceci n'ait pas été filmé...
"Plus tard", elle a été reconnue et arrêtée.
Et ouala !
L'article signale enfin qu'un "mouvement de foule" a eu lieu au moment de l'interpellation et qu'un "homme de 46 ans a reçu un coup à la tête" dans la bagarre; et A.L. a l'honnêteté de signaler l'existence d'un communiqué de l'union départementale de la CNT-Isère et des ses syndicats.
Le communiqué, publié en réponse à la dépêche de l'AFP, est le suivant:
Grenoble, le 1er Mai 2010, 18h00.
L’union départementale de la CNT Isère et ses syndicats dénoncent l’arrestation arbitraire d’une militante syndicale à l’issue de la manifestation du 1 mai 2010 à Grenoble et le matraquage d’un de nos camarades actuellement hospitalisé. Pour la 2e année consécutive la police grenobloise cible des militants de nos organisations. Les accusations telles que relayées par la dépêche AFP parue ce jour sont sans fondement.
Les syndicats de la Confédération Nationale du Travail-Isère.
PS: A lire, pour une information au plus près de la réalité grenobloise, les récits, moins journalistiques, du démontage des caméras (deux, et non pas une seule) et de l'arrestation de la militante (relâchée le soir même), rédigés par des témoins directs, anonyme et JCBG, et publiés par Indymedia-Grenoble.
2 commentaires:
Je ne vous apprends pas qu'en novlangue, on dit videoprotection et pas videosurveillance: Nous sommes si précieux, nos élus ne savent plus comment nous flatter la croupe, ils ne voudraient pas être indiscrets oh ça non! Et puis ça fait de belles images pour le journal de 20 "délat" heures!
Ce qui manque encore, en fait, ce sont les caméras qui filment les caméras que les vandales veulent détruire. Et, bien sûr, d'autres caméras pour "protéger" ces caméras de surveillance des caméras qui nous sont destinées, ad libidum. A moins que ces caméras ne finissent par s'épier entre elles!
J'arrête là, j'ai le vertige...sécuritaire! J'en arrive à me dire que, pour mieux me protéger, la caméra devrait être armée! Elle ne sera pas pire, car plus tempérante, qu'un gardien de la paix! Et puis, allez retrouver le programmateur qui lui a collé des instructions anti-basanés hein!
Cette dernière réflexion pourtant: Autrefois, la caméra, c'était la chambre noire des premiers appareils de prise de vue, voisine étymologique de la camériste des bonnes familles. Aujourd'hui elle mérite encore ce nom, mais il renvoie de plus en plus à la chambre bleue des asiles où il faudrait enfermer nombre de journalistes et de petits chefs à la grosse tête, qu'ils y soignent leur névrose.
Pour éviter la regressio ad infinitum qui pointe son nez, nos "protecteurs" entendent bien renforcer la police de proximité.
A proximité des caméras, évidemment.
Des travaux sur l'optimisation des réseaux sont en cours...
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