La psychosociologie à moindre frais et à très bas coût aime assez, en France, recourir à la notion de la nécessaire "figure paternelle" comme élément structurant de l'ordre politique et social. Bien que notre état républicain ne puisse honorer des "pères fondateurs" incontestables comme certains autres, nous nous flattons de posséder, dans la courte liste de nos présidents de la cinquième république, deux bonnes figures bien paternelles, voire paternalistes, en les personnes de Charles de Gaulle et de François Mitterand, le premier dans le genre héroïque, le second dans le genre florentin.
La puissance explicative du fameux "manque du père" est telle que la déploration consensuelle de la société sans pères et sans repères suffit à n'importe quel éditocrate, même peu talentueux, pour expliquer un vaste éventail de disharmonies sociales, allant de l'absentéisme scolaire aux émeutes des banlieues, en passant par la constitution de bandes dans les cages d'escalier et l'éthylisme géant des inscrits Facebook.
Assaisonnées de quelques tours de moulin à paroles d'un pseudofreudisme de dictionnaire des idées reçues, la dissolution de la figure paternelle dans la famille, ou pire encore, son absence, permettent de pointer et dénoncer les graves dangers qui, de nos jours, si l'on n'y prend garde, menacent la cellule sociale élémentaire que constitue la Famille.
(Pensez à certains débats sur les possibilités d'adoption par des couples d'homosexuels, où le retour aux "fondamentaux" de certains pouvait se résumer par: on a toujours besoin d'un vrai papa chez soi, sinon on devient schizophrène, c'est mon psy qui me l'a dit.)
Il est bien possible que nos compatriotes continuent d'ignorer encore longtemps qu'il y a, selon les cultures ou au sein d'une même culture, de multiples manières de fabriquer de la parenté et de la filiation. Cette ignorance, ou cette volonté d'ignorance, fait probablement partie de notre génie national.
Au regard de ce qui fait norme implicite, l'histoire* de Nadia et Mohamed n'avait rien de vraiment extravagant. Quand ils se sont rencontrés, Nadia s'occupait seule de son jeune fils Noufel, et après leur mariage, Mohamed a pris la décision de reconnaître Noufel, et de devenir son père.
Arrêté le 15 avril 2009, Mohamed, époux d'une française et père d'un enfant français, a été expulsé vers la Tunisie le 7 mai suivant.
Naturellement, puisqu'il était sans-papiers, chacun de ses actes, et particulièrement ce geste de reconnaissance en paternité, ont été disséqués, suspectés et interprétés à charge par une administration qui avait à répondre à une mobilisation forte et résolue autour de Nadia et Noufel, soutenus par le Réseau éducation sans frontières.
Ces insinuations, fausses révélations et contre-vérités, diffusées auprès des organes de presse par des "sources proches de l'enquête", ou ce genre, ne laisseront bientôt que le souvenir d'un immense dégoût.
Car depuis plus d'un an, le combat de Nadia et de ses amis du RESF pour le retour de Mohamed n'a pas faibli, fidèlement ponctué par les rassemblements hebdomadaires au kiosque de Montrouge, chaque vendredi soir, à 18h.
Le vendredi 2 avril, une excellente nouvelle arrivait enfin: une décision du Conseil d'État enjoignait au Ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale et le consulat de France en Tunisie de réexaminer la demande de visa de Mohamed.
Comme aucune tracasserie administrative ne saurait être épargnée à la famille Allouche, afin de bien éprouver sa patience, il aura fallu un mois et demi aux autorités tunisiennes pour renouveler le passeport de Mohamed, et le consulat de France à Tunis a besoin d'une bonne semaine pour y apposer, sans doute à contre cœur, le visa...
Demain soir, espérons-le, on pourra annoncer, au kiosque de Montrouge, la date et l'heure du retour de Mohamed chez lui, auprès de son épouse Nadia, et de son fils Noufel.
* Voir, au fil de ce blogue, les billets du 7 mai 2009, du 9 mai 2009, du 15 mai 2009, du 22 mai 2009 et du 9 juin 2009, et le blogue des soutiens à Nadia, Mohamed et Noufel...
Post-scriptum (29/05/2010):
Mohamed est bien arrivé vendredi soir à Montrouge.
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