jeudi 17 décembre 2009

Routine d'une expulsion

Avec monsieur Frédéric L., orfèvre en touiteries plus grosses que lui, il est devenu inutile de lire en détail les commentaires que les braves gens viennent déposer au pied des articulets de la presse en ligne.

Il arrive à en synthétiser toutes les essences les plus nauséabondes.

Sans doute moins doué pour l'aphorisme puant, ou disposant de plus de loisirs dans l'exercice de sa charge de "représentant spécial du président de la République pour l'Afghanistan et le Pakistan", monsieur Thierry M., député UMP du Vaucluse, a pris le temps de rédiger un communiqué pour émettre à peu près la même insanité...

Qu'il prend bien soin de souligner, comme s'il craignait que l'odeur ne suffise pas.


Capture d'écran réalisée par LeFigaro.fr

Ces deux grands guerriers par procuration, qui reprennent en douce l'accusation de "désertion", déjà utilisée par un certain nombre de galonnés et étoilés, permettent aux gazettes d'engraisser leurs colonnes qu'une communication gouvernementale plutôt ascétique n'alimentait guère, et d'accorder moins de place aux protestations et contestations de ceux "qui ont fait de l'indignation permanente leur fond de commerce"*, pour citer l'expression de monsieur Mariani, commerçant en patriotisme.

Un grand effort a justement été fait pour faire passer, aux yeux de l'opinion, cette indignation de l'opposition et des associations pour une anomalie incompréhensible devant une procédure d'expulsion à la normalité garantie par l'Etat Français.

Dès le mardi matin, sur RTL, monsieur Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, et, par conséquent, approximativement numéro deux de l'Etat, feint de tout ignorer de ce qui se prépare en coulisse, où pourtant il a établi ses quartiers:

"Je ne sais pas si c'est ce soir qu'il y aura des retours d'Afghans dans leur pays mais, sur le principe, je remarque que le Royaume-Uni reconduit chaque année plus d'un millier d'Afghans dans leur pays avec d'ailleurs un accord de la commission européenne des droits de l'homme**", a ajouté Claude Guéant. "Je ne vois pas pourquoi la France ne le ferait pas".

Avec lui, on ne peut pas dire que c'est l'imagination au pouvoir.

S'il ne voit pas, c'est qu'il ne voit pas...

On devait apprendre qu'en partageant croissants et chocolatines avec ses disciples, le chef de l'Etat avait apporté un "soutien très appuyé" à son ministre de l'Identité Nationale, dont il a salué le "courage" et la "détermination à appliquer la politique du gouvernement", face aux attaques et aux critiques venant même "d'amis de son propre camp".

Monsieur Besson a dû être gêné de tant d'amabilités, mais il a dû en profiter pour faire, sous sa serviette, des doigts d'honneur en direction de ses petit(e)s camarades moins apprécié(e)s pour cause de ralliement moins précoce.

Rien ne sert de trahir, il faut trahir à temps.

Et ce fut un coup de maître...

Notre ainsi distingué ministre pouvait en toute quiétude reprendre ses activités, sans donner de détails superflus concernant l'expulsion de routine en cours. Ce silence allait durer jusqu'au lendemain.

Malgré ce silence officiel, ou à cause de lui, allaient filtrer quelques informations dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles suscitaient un certain nombre d'interrogations sur la stricte régularité de cette opération.

On pouvait ainsi apprendre, en consultant le site de France-Info, que

(...) deux migrants devraient échapper à l’expulsion, car des juridictions du Nord et du Pas-de-Calais ont estimé insuffisants les documents produits par les autorités françaises pour justifier cette expulsion. La France s’arrogeait en effet le droit de délivrer des laissez-passer pour Kaboul à la place des autorités afghanes. Dans ces conditions, l’expulsion des deux clandestins était donc illégale, ont estimé la cour d’appel de Douai et le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer.

On peut encore télécharger ces deux décisions de justice afin de les décortiquer.

Mieux, on apprenait que, devant le refus de l'ambassade d'Afghanistan de délivrer des laisser-passer consulaires aux neuf migrants restés dans les filets de monsieur Besson, la France envisageait de les munir d'un laisser-passer européen, procédure jusque là utilisée pour les ressortissants de pays considérés en vacance d'état ou placés sous administration internationale.

Etrange attitude face à un état que l'on veut reconnaître comme souverain, et dirigé par un gouvernement que l'on prétend démocratique...

On sait ce qu'est devenue la suspension des retours forcés de ressortissants afghans vers Kaboul demandée mardi par l’ambassade d’Afghanistan, qui souhaitait prendre le temps de clarifier les procédures d’expulsion.

Mercredi matin, l'ambassade signalait:

"Il n'y a pas d'accord entre Paris et Kaboul permettant un laissez-passer européen."

Du côté de monsieur Besson, on entendait plutôt ceci:

Eric Besson a reconnu avoir délivré des laissez-passer européens, et non des documents afghans, tout en assurant avoir eu l'accord de l'ambassade. "Ça n'est pas exceptionnel lorsqu'il y a accord et ça n'a posé aucune difficulté", a-t-il dit.

J'avoue ignorer si le principe du tiers exclu s'applique dans l'univers logique bessonien...

Mais on y pratique parfaitement l'expulsion des tiers indésirables.

Amusons-nous un peu avec monsieur Besson.


Monsieur Sarkozy ne s'embarrasse guère de tous ces détails:

Nicolas Sarkozy a estimé mercredi que la France ne fait qu'appliquer une loi "parfaitement respectueuse du droit des gens" en renvoyant des immigrés clandestins Afghans dans leur pays. "Ramener un Afghan en Afghanistan alors qu'il ne veut pas rester en France, en accord avec la Cour européenne des droits de l'Homme et en accord avec un gouvernement européen, où est est le problème ?", a dit le chef de l'Etat sur Canal+.

Il est juriste de formation.

Ça aide.

Les vrais amateurs de nuances subtiles se reporteront avec profit aux déclarations de monsieur Henri Guaino, conseiller spécial du président de la république, et méditeront sur cette belle sentence:

"Les Afghans qui sont expulsés sont en dehors de nos règles de droit, donc on applique le droit, toutes les procédures judiciaires sont respectées."

Quel droit s'applique à ceux que le droit a placés en dehors des règles du droit ?

Il y a peut-être là de quoi rendre fou un juriste qui serait aussi un logicien conséquent...



* Ah, si j'avais su faire de mon indignation un fond de commerce, j'aurais pu m'offrir au moins dix Rolex avant d'avoir atteint l'âge de vingt ans, savez-vous...

** Késako ? Vous connaissez ?

4 commentaires:

JBB a dit…

Si les militaires recommencent à peser sur les discours des politiques, c'est qu'on est tombé très bas (je sais : ce n'est pas nouveau). Pour parfaite illustration, ce reportage de Mon Oeil (que tu as dû voir, je pense), avec un galonné débitant ses insanités à la tribune : http://www.youtube.com/watch?v=pZs6fVqdCvU&feature=player_embedded

Guy M. a dit…

Non, je n'ai pas vu...

J'y cours.

(Avec prudence, vu les conditions météorologiques.)

JR a dit…

A propos de l'inutile Lefebvre, tu peux aller le soumettre à la question sur Le Figaro cet après midi.
Je te le signale car je ne suis pas sûr que le journal de Dassault aie la prévenance de te prévenir.

Guy M. a dit…

Tu sais bien que Le Figaro a décidé de couper tout rapport avec les guignols de toute espèce...

Quant à adresser la parole à Lefebvre... j'hésite.