mardi 8 décembre 2009

Œufs interdits à Rennes

En entendant parler de "grève des chômeurs", monsieur Qui-c'est-qui-paye et madame Ça-nous-coûte-cher ont bien ricané au bout du comptoir.

Et puis le monsieur a demandé à Pierrot de leur remettre "la même chose".


Paris, samedi 5 décembre 2009.
(Photo Flo Py)

Pourtant, je suis convaincu que ces deux amoureux de bonne soupe et de beau langage n'ignorent pas que "grève" et "chômage" ont quasiment échangé leurs significations. Ils savent que le mot "grève" dérive du nom de la place parisienne, sise vers l'actuel Hôtel de Ville, où se rassemblaient les ouvriers sans emploi en quête d'un travail, et que "être en grève" (au sens ancien) signifiait "être au chômage" (au sens moderne).

Ils savent aussi, ces ricaneurs, que c'est probablement à partir de 1848 que le mot "grève" a désigné un arrêt volontaire de travail, dans un but revendicatif, ou même révolutionnaire et que, de manière éphémère, on a dit que l'on mettait le patron "en grève", pour exprimer qu'en abandonnant son poste de travail, on l'envoyait faire du recrutement parmi les loqueteux en place de Grève.


La place de Grève sur le plan de Bâle,
ou plan de Truschet et Hoyau (circa 1552
)

Dans un pays dont le président se vantait il y a quelque temps d'avoir rendue invisibles les grèves des travailleurs, il est évident qu'une "grève des chômeurs", pour se faire entendre, doit au moins recourir au degré zéro de l'expression publique: la manifestation.

La journée du samedi 5 décembre devait ainsi comporter un certain nombre de cortèges, à Paris et en régions.

La manifestation parisienne, dans laquelle la préfecture a parcimonieusement dénombré 1400 personnes, a rassemblé entre 4000 et 5000 participants, selon mes sources qui, sans vouloir me vanter, sont très fiables.

Rennes, samedi 5 décembre 2009.
(Photo Benjamin Keltz et Pierrick Sauvage)

A Rennes, les 500 personnes qui se sont réunies, vers 15h, à l'appel de l'assemblée régionale des chômeurs et précaires en lutte, se sont d'abord trouvées devant le mur formel d'une interdiction de manifester, et les murs plus concrets de compagnies de CRS en ordre de gazage et matraquage.

Selon le Mensuel de Rennes:

Motif avancé : «aucune déclaration n’a été faite en préfecture et la techno-parade a lieu au même moment.» Officieusement, les forces de l’ordre craignent un Poitiers bis où des militants d’extrême gauche avaient ravagé le centre-ville.

Le motif officieux n'est là que pour corroborer une rumeur qui avait déjà été insinuée dans la presse quelques jours auparavant.

On notera que les relations parues dans les journaux locaux ne signalent ni dégradations, ni casse, mais plutôt une stratégie de blocage systématique de la part des forces de l'ordre, avec sa conséquence:

Les premières échauffourées naissent. Une pluie d’œufs remplis de peinture noire et d’huile de moteur tombe sur les forces de l’ordre. Les policiers contiennent la foule et usent parfois de leur tonfa et de gel lacrymogène pour éloigner les militants les plus énervés.

Nous retrouverons ces "œufs" patiemment remplis...

Policiers en danger usant de leur insecticide,
avec discernement.


Vers 17h, les derniers manifestants, une centaine, tentent de rejoindre une salle promise dans la maison des associations.

Selon le communiqué de l'assemblée régionale des chômeurs et précaires en lutte, mis en ligne le samedi soir, l'accès à cette salle leur aurait été refusé par "la responsable des lieux", sur "l'ordre de la mairie de Rennes"*.

C'est à ce moment qu'on put assister à l'intervention des ultimes sauveurs de l'ordre public, un groupe de jeunes gens musculeux appartenant à la brigade anti-criminalité qui, après tabassage tous azimuts, procédèrent à quatre interpellations.

Placés en garde à vue, les quatre manifestants interpellés ont été libérés hier soir. Selon Ouest-France, le parquet avait décidé de les faire juger en comparution immédiate pour violence sur policiers. Ils ont décidé de demander un délai pour préparer leur défense. Le procès est fixé au 18 janvier 2010.

Une centaine de personnes étaient là pour les accueillir, "malgré le froid, la pluie et surtout les pressions humiliantes des flics", ainsi que l'indique un témoin.

Dans les charges retenues contre les personnes arrêtées reparaissent les curieux "œufs" offensifs:

L'accusation reproche aux prévenus des violences contre les policiers qui contenaient la manifestation des chômeurs et précaires. Des œufs d'encre noire, contenant un produit visqueux et toxique, ont été jetés sur les forces de l'ordre. «C'est un liquide corrosif qui a provoqué des brûlures, expose le procureur. Des policiers ont dû être transportés au CHU de Pontchaillou.» Des analyses sont en cours pour savoir ce que contenaient exactement les œufs.

Le complément d'information demandé par la défense a, bien sûr, été rejeté par le tribunal.

J'ignore si monsieur Hortefeux envisage d'interdire les œufs dans les manifestations.


* Le vendredi 27 novembre, la mairie de Rennes avait fait évacuer le chômeurs et précaires qui occupaient une partie de ses locaux. La police municipale, assistée de la BAC, avait fait ce "travail".

Hier soir, le maire de Rennes s'est encore livré à un exercice démocratico-sécuritaire assez douteux, lors de la réunion du conseil municipal. On pourra en lire le compte-rendu sur Ouest-France.

L'intervention que chômeurs et précaires n'ont pu faire est en ligne sur le site du CIP-IDF.

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