«Les peuples d’Europe sont accueillants, sont tolérants, c’est dans leur nature et dans leur culture. Mais ils ne veulent pas que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturés»
Je crains fort que le drapeau national ne fasse pas partie de mon "cadre de vie" habituel, n'influe en rien sur mon "mode de pensée" et ne joue, en réalité, qu'un rôle anecdotique dans mes "relations sociales".
Pourtant, j'ai reçu dans ma prime jeunesse une éducation républicaine approfondie à l'école communale et participé assidûment aux cérémonies patriotiques où notre maître, hussard noir en blouse grise, impérativement nous conviait.
Parmi les rescapés des diverses guerres qui regroupaient leurs bonnes trognes couperosées autour du monument aux morts de la commune, c'était le porte-drapeau qui attirait le plus mon attention.
Mais, et c'est désolant, bien sûr, ce n'était pas du tout à cause du drapeau qu'il portait, mais plutôt à cause du dispositif qui lui permettait de le porter.
Cet accessoire, le baudrier porte-drapeau, ressemble à une ceinture herniaire, munie d'un étrange étui pénien, reposant dans la région inguinale, dans lequel s'insère la pointe de la hampe du drapeau.
Ce harnachement me paraissait très malcommode, inconfortable et légèrement obscène...
Baudrier porte-drapeau en cuir noir.
(En vente dans toutes les bonnes maisons, environ 90 €)
(En vente dans toutes les bonnes maisons, environ 90 €)
Profondément marqué, et à jamais, par ce traumatisme républicain, qu'il faudrait bien sûr analyser à l'aide des concepts de déplacement et de condensation, je n'aurais jamais l'idée de brandir le moindre drapeau, grossier et évident substitut phallique, dans une salle des mariages...
Mais cela se fait...
Car tous les goûts sont dans la Culture.
Et tous les dégoûts également, ainsi qu'on peut en juger par ce projet de loi visant à interdire tout pavoisement étranger lors des mariages en mairie, qui a été rangé dans les tiroirs de l'Assemblée au début du mois de novembre, et que 103 députés de droite entendent soutenir.
Déposé par monsieur Elie Aboud, député UMP de l'Hérault, ce texte entend donner aux maires la possibilité d'"interdire aux participants d'arborer des drapeaux ou signes d'appartenance nationale autres que ceux de la République française".
Comme j'ai beaucoup de mal à comprendre en quoi la présence d'un drapeau étranger dans une mairie peut perturber l'ordre public, j'ai jeté un coup d'œil rapide aux embryons d'argumentaires donnés par la presse.
Monsieur Elie Aboud évoque des perturbations "de plus en plus fréquentes" lors de mariages, en particulier dans le sud de la France:
"Les invités arrivent dans ces cabriolets ou des voitures que je ne pourrais pas me payer. Ils ne respectent pas le code de la route, roulent avec de la musique orientale à fond, les drapeaux algériens ou marocains agités à l'extérieur. Ils font des allers-retours dans tous les sens à toute allure. Et à l'intérieur de la mairie, il y a des cris et des drapeaux ."
Monsieur Jean-Claude Bouchet, député UMP du Vaucluse et maire de Cavailllon, qui, depuis six mois, a inventé de faire signer aux futurs époux une charte de "bonne conduite" républicaine avant la cérémonie, s'en explique ainsi:
"On faisait face à des débordements importants, avec des convois qui prenaient des ronds-points en sens interdit, avec des tambours dans la mairie, avec des drapeaux. C'était le souk."
A les entendre, on pourrait croire que l'interdiction du drapeau étranger va résoudre un problème de circulation à contre-sens que la police municipale, voire nationale, pourrait sans doute régler.
Mais leur franc-parler décomplexé, avec ces nauséabondes allusions à la "musique orientale à fond" et au "souk", lui aussi oriental, cela va de soi, trahit la motivation assez détestable de ces bonnets de nuit, pisse-froid et peine-à-jouir nationaux qu'offensent l'expression débordante d'une joie familiale que rien, en général, n'interdit de partager.
La petitesse de ces gens-là nous donnerait presque envie de le leur faire bouffer, leur drapeau.
Avec la hampe.
PS: Je me permets de dédier aux 103 parlementaires amoureux du drapeau tricolore, les dernières strophes du fameux pastiche Le salut du drapeau, écrit par Paul Reboux et Charles Müller, à la manière de Paul Déroulède.
La scène se situe sous les murs de Metz, en 1870.
Un bruit se fait jour: «La France est trahie!»
Et Bazaine écrit: « Livrez les drapeaux!»
De quel deuil alors son âme est meurtrie!
Faut-il donc remettre, ô chère patrie,
Ta plus pure gloire aux mains des Pruscos?
Un bruit se fait jour: « La France est trahie!»
Et Bazaine écrit: «Livrez les drapeaux!»
Dans ses doigts il tient l'étoffe sacrée;
Sur sa face mâle ont coulé des pleurs.
«Jamais a-t-il dit, ô race abhorrée,
Jamais, moi vivant, les rives de Sprée
Ne verront l'éclat de nos trois couleurs!»
Dans ses doigts il tient l'étoffe sacrée;
Sur sa face mâle ont coulé des pleurs.
Il étend sa lèvre à moustache blonde
Comme pour baiser le noble étendard,
Lorsque, tout à coup, un éclair l'inonde:
« Si je le mangeais? .. Il n'est pas au monde
Contre les uhlans de plus sûr rempart!»
Il ouvre sa lèvre à moustache blonde
Comme pour baiser le noble étendard.
Il mangea le bleu, le blanc, puis le rouge;
Son cœur est trop haut pour un haut-le-cœur.
Sur son front d'airain pas un pli ne bouge;
Masque qu'on dirait sculpté par la gouge,
Du festin sublime il reste vainqueur;
Il mangea le bleu, le blanc, puis le rouge;
Son cœur est trop haut pour un haut-le-cœur!
Puis, après la soie, il mangea la hampe;
Ce fut le plus dur, le plus valeureux:
On l'avait taillée en chêne d'Étampe;
Mais lui, de l'aubier surpassait la trempe,
Étant de ce bois dont on fait les preux.
Donc, après la soie, il mangea la hampe,
Ce fut le plus dur, le plus valeureux.
Il murmurait: France! et mangeait, quand même!
Lorsque tout à coup son cœur s'arrêta:
L'aigle de Sedan!... Il devint tout blême,
Et le coq gaulois, de ce cœur l'emblème,
N'admit point l'oiseau qui capitula.
Il murmurait: France! et mangeait, quand même ...
Et puis, d'un seul coup, son cœur éclata!
Paul Reboux et Charles Müller, A la manière de..., Les Cahiers Rouges, Grasset, 1998.
4 commentaires:
Je me permets de citer un chouïa (joli mot, non?) plus largement la parole présidentielle, parce que, sérieux, elle vaut son pesant de pesanteur révélatrice (explicite et assumée, je suppose):
"Les peuples d’Europe sont accueillants, sont tolérants, c’est dans leur nature et dans leur culture. Mais ils ne veulent pas que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturés."
...leur nature... ...dénaturés... C'est comme pour tout, hein, pédophiles et malades mentaux, tout ça c'est des histoires de nature, de code génétique...
Ou comme pour les réformes, encore des histoires de loi de la nature.
Je vais rétablir la citation dans toute son ampleur. Vous avez raison, elle est beaucoup plus explicite comme cela, avec son recours insistant à cette vieille valeur culturelle de la droite: la nature...
("chouïa" est un joli mot, je le trouve aussi)
"j'ai jeté un coup d'œil rapide aux embryons d'argumentaires donnés par la presse."
C'est à ça qu'on reconnaît le blogueur conscienceux :-)
(Libération citait aussi Estrosi sur cette question, lequel expliquait "dans un discours fin novembre avoir gardé un souvenir pénible de l'entrée fracassante dans la cour de l'hôtel de Ville d'une Ferrari décapotable avec des drapeaux étrangers, il a décidé qu'on ne l'y reprendrait pas."
Si les immigrés se mettent à rouler en Ferrari, hein…)
Ma conscience n'a pas dépassé Le Monde. Trop peur qu'on me demande de payer sur Libé.
(Les bagnoles leur font de l'effet, aux décomplexés bling-bling !)
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