vendredi 18 décembre 2009

Bruit de fond

Monsieur Jean-François Copé, éminent penseur parlementaire contemporain, émettait, il y a quelque temps déjà, mais on sait que sa pensée est coulée dans le bronze de l'intemporalité, cette profonde remarque:

"On va libérer la parole. Point."

Il parlait bien sûr de la tenue du Grandébat lancé par monsieur Eric Besson sur le thème de l'Identité Nationale.

Je ne suis pas loin de penser que l'initiative de l'omniprésent ministre de ladite Identité n'a fait qu'amplifier un bruit de fond, déjà largement repéré, dont se détachent quelques insanités, volontaires ou non, aussitôt répercutées par les médias qui s'en amusent un peu, enregistrant explications et démentis, avant de les renvoyer rejoindre la bouillie sonore ambiante.

Tel sera le sort des considérations de madame Nadine Morano, traumatisée par les longues heures passées devant la télévision...

A propos du débat sur l'instauration d'une loi interdisant la burqa, [Nadine Morano] a répondu qu'elle était pour, le port de ce vêtement faisant «un peu Belphégor» et «peur aux gens». (...)

La secrétaire d'Etat à la Famille est revenue brièvement sur le débat sur l'identité nationale qu'elle trouve «passionnant», assumant une nouvelle fois ses propos qui font polémique depuis plusieurs jours.


Belphégor (1965), ou la burqa vue par madame Morano.

On ne s'étonnera pas de constater que, dans ce brouhaha, certaines informations et certains commentaires ne nous parviennent qu'assez difficilement.

Dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 décembre, la mosquée de Castres a été profanée par un groupe de crétins encore inconnus. Ils ont dessiné une croix gammée sur la façade et sur le portail, et inscrit sur les murs "Sieg Heil", "White Power" et "La France aux Français", le tout étant accompagné d'un cryptique "K288".

Ces sombres brutes ont également accroché des pieds de cochon à la poignée du portail, et agrafé des oreilles de porc sur l'un des deux vantaux.

Ils n'ont pas oublié de punaiser des affiches avec le drapeau français.

On peut préférer Belphégor...
C'est moins effrayant.

Comme le remarque Antoine Menusier, rédacteur en chef du Bondy Blog, pour apprendre ce qui s'était passé à Castres, il ne fallait surtout pas regarder la télévision: ni TF1, ni France 2 n'ont jugé bon d'en faire un "sujet"...

TF1 a cru bon de s'en expliquer, en réponse à une question d'internaute, prétextant avoir voulu "éviter l'effet recherché par les profanateurs, à savoir la diffusion à la télévision de leur odieux message". La recherche effectuée par Johanne Burgell, sur le site d'@rrêt sur images, permet de relativiser cette explication...

Je ne suis pas expert en stratégie éditoriale, mais je me demande si un tel "sujet" n'aurait pas dû aussi se faire l'écho des réactions de responsables du culte musulman, certes modérées mais un peu dérangeantes.

Il était difficile de ne pas donner le point de vue du responsable de la mosquée de Castres, monsieur Abdelmalek Bouregba, qui a déclaré à J-M.G et G.C, de La Dépêche:

«A Castres, les choses se passent plutôt bien d'habitude. Mais là, c'est grave. Il ne faut pas banaliser. Le débat sur l'identité nationale qui se tient actuellement en France et cette semaine à Castres ou celui sur les minarets en Suisse exacerbent ces comportements. Encore une fois, on nous montre du doigt. C'est un acte de lâcheté mais prémédité et réfléchi. Nous espérons que les coupables seront vite retrouvés.»

Et il aurait fallu compléter avec les propos de monsieur Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, que l'on ne peut soupçonner de porter sa casquette à l'envers.

[Dalil Boubakeur] (...) dit avoir "appris avec stupeur et consternation la profanation de nature raciste et islamophobe" de la mosquée. Il déplore "un contexte où l'Islam et les musulmans de France et d'Europe se trouvent confrontés à des débats frisant une polémique malsaine de stigmatisation et de rejet".

Dalil Boubakeur, alors président du Conseil français du culte musulman,
accueille Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur,
le 28 septembre 2006, à la Mosquée de Paris
pour partager le repas de rupture du jeûne.
(Photo AFP.)

Il y a peu de chance que ces deux voix soient entendues distinctement.

Même si cela était, il est probable qu'on leur répondrait dans des termes assez proches de ceux qu'emploie monsieur Frédéric Cabrolier, tête de liste Front National aux prochaines élections régionales, dans son communiqué du 14 décembre:

Les propos de Monsieur BOUREGBA, responsable de ce lieu de culte, reliant ce geste inqualifiable aux débats sur l’identité Nationale ou au Référendum Suisse sur les minarets sont inadmissibles, et montrent le peu de considération de ce monsieur pour la démocratie qui s’est manifestée lors de cette votation citoyenne suisse ou lors du débat de bonne tenue sur l’identité Nationale qui s’est déroulé à CASTRES dans un climat serein qui fait honneur à cette ville.



PS: Sur cette "sérénité" du débat, cette brève de L'Humanité:

(...) Le 8 décembre, quatre jours avant la profanation, se tenait le débat sur l’identité nationale. Frédéric Cabrolier, chef de file du FN aux régionales, apostropha un jeune homme supposé être musulman: «L’identité nationale s’hérite ou se mérite. (…) Vous n’avez pas le choix, vous devez vous assimiler  !»

2 commentaires:

JBB a dit…

"La secrétaire d'Etat à la Famille est revenue brièvement sur le débat sur l'identité nationale qu'elle trouve «passionnant»"

Si j'étais vulgaire (mais je ne le suis jamais, hein…), je dirais que ça me troue le cul… "Passionnant"… C'est un peu comme Sarko trouvant "très noble" le débat sur l'identité nationale : c'est à se demander si ces gens-là savent ce que les mots veulent dire…

Guy M. a dit…

On a les passions et la noblesse que l'on peut.

Et la vulgarité réside rarement dans les mots que l'on emploie.