mercredi 6 janvier 2010

Grande braderie de l'aide aux étrangers

Le samedi 26 décembre, Patrick Peugeot, président de la Cimade, s'est vu interdire l'entrée du Centre de Rétention Administrative d'Hendaye, sur décision de monsieur Philippe Rey, le très zélé préfet des Pyrénées Atlantiques.

Une demande officielle avait été adressée à la préfecture le 22 décembre. Demande de pure courtoisie, si l'on songe que la Cimade était encore à cette date la seule association habilitée à intervenir auprès des sans papiers dans les centres de rétention... Le préfet a fort courtoisement répondu en décidant que Patrick Peugeot n'était pas le bienvenu.

On peut noter un léger flottement quant aux motifs invoqués par la préfecture. Le communiqué de la Cimade Sud-Ouest indique:

Le préfet prétend que le centre était fermé. Il ment. Le règlement du CRA prévoit les visites pour les retenus TOUS LES JOURS de 9 h à 11h 45 et de 14 heures à 18 h. Il n'y est nullement question du samedi et du dimanche.

Le représentant de la CIMADE qui assurait la permanence au CRA le samedi 26 décembre a été témoin de la fin de non recevoir opposée à son président.

Un article de Sud-Ouest permet de prendre connaissance de l'ajustement effectué par la préfecture:

«Le préfet a envoyé une lettre à M. Peugeot afin d'expliquer sa décision». Dans cette lettre, «le préfet rappelle à l'association qu'elle doit appliquer les missions qui la lient à l'État via une convention. Et pour le préfet, cette convention doit être d'application stricte. En l'occurrence, la convention ne prévoit pas de possibilités de visite dans le CRA d'Hendaye en dehors des permanences assurées par des membres agréés. Or, M. Peugeot n'était pas agréé.»

Il n'est pas interdit de penser qu'un jour prochain, monsieur le préfet des Pyrénées Atlantique soit statufié dans un vaste groupe allégorique, sculpté dans le marbre d'Arudy, représentant l'inflexibilité administrative défendant les droits des étrangers contre les intrus non agréés.

La pose, pour l'éternité.

Interdire à la Cimade l'entrée de la plupart de nos prisons pour étrangers, c'était là un grand rêve de monsieur Hortefeux, qui fut le premier ministre des Expulsions du sarkozisme triomphant. En reprenant le flambeau, monsieur Besson hérita de ce grand dessein qu'il poursuivit avec détermination, et certaines méthodes d'un fair play assez douteux.

Après une longue bataille juridique, la réforme voulue par le gouvernement est entrée en application au 1er janvier 2010, et la Cimade a dû quitter 13 centres de rétention où elle est remplacée par d'autres associations.

Elle en prend acte, avec lucidité:

La Cimade manifeste à nouveau son opposition à cette réforme qui rendra plus difficile l’accompagnement et la défense des étrangers retenus, placera les différentes associations ou «personnes morales» qui interviendront en rétention dans une situation de concurrence absurde en matière de défense des droits de l’Homme. Cette réforme supprime une vision nationale de la situation des migrants en instance d’expulsion et affaiblit le rôle fondamental de témoignage et de contrepoids de la société civile.

Mais n'abandonne pas le terrain:

(...) Elle réaffirme également qu’avec ses partenaires associatifs, elle poursuivra quoi qu’il advienne sa présence et son action pour le respect des droits et de la dignité des étrangers dans ou hors des centres de rétention.

Et nous, nous continuerons d'affirmer avec la Cimade qu'il n'y a pas d'étrangers sur cette terre.

Cliquez sur l'image pour télécharger la brochure
retraçant l'histoire de la Cimade,
éditée pour son soixante-dixième anniversaire.


La nouvelle distribution du "marché"(sic) de "l'information juridique" n'a pas encore, à ma connaissance, fait l'objet des profondes analyses dans nos journaux, sauf dans le Figaro, où l'on explique, avec tout l'ingénuité dont on est capable, que "beaucoup [de migrants retenus] [étaient] relâchés par les juges administratifs, qui [donnaient] suite aux recours formés par ces migrants avec l'aide de la Cimade" et que "cet activisme a fini par irriter Brice Hortefeux, lorsqu'il était ministre de l'Immigration".

Il est peut-être un peu tôt pour juger de "l'activisme" des associations qui remplacent la Cimade. Monsieur Besson ne manquera pas de faire un point de presse là-dessus quand il aura suffisamment de chiffres à manipuler...

Cependant nous disposons déjà de quelques nouvelles, transmises par des militant(e)s aux côtés des sans-papiers, sur ce qui se passe notamment à Vincennes, où la Cimade est remplacée par l'Assfam (sur cette association, il faut consulter le billet de Pascale Lallement, sur l'indispensable blogue Combats pour les Droits de l'Homme, animé par Serge Slama).

Pour que nous sachions, partagée entre un sourd désespoir et une colère évidente, S. transcrit les témoignages des retenus et relate ses propres tentatives pour intervenir sur des dossiers qu'elle a suivis.

Celui-ci, en pointillés:

Le 4 janvier. Un mineur vient de se voir récuser sa minorité , car sa famille a faxé un extrait de naissance : le fax pour le président de la cour d'appel du 35bis, samedi matin, n'a pas valeur...
J'ai demandé aux personnes QUI REMPLACENT LA CIMADE , un référé suspension au Tribunal administratif, gros blanc...: jamais entendu parler! (...)

J'ai suggéré la saisine du juge des tutelles qui avait fait le placement (...), et surtout de téléphoner au père de ce jeune afin de lui demander d'envoyer par courrier urgent, un original d'extrait de naissance. Réponse: interdiction de téléphoner! ce jeune n'a pas de carte , ni d'argent pour
téléphoner au pays !

Le 5 janvier. Ce matin je retéléphone à la permanence (...) pour le jeune mineur qui a déjà fait deux tentatives de suicides. Il a présenté , à nouveau au médecin et infirmières son extrait de naissance. J'ai demandé aux A.S. si elles avaient envoyé le référé pour sa libération immédiate au T.A. comme je leur avais demandé hier.

Réponse :" nous avons beaucoup de dossiers".

Certes , ai-je répondu , mais ce dossier est une mesure d'urgence absolue: ce mineur ne doit pas être en détention au CRA.
Puis question fatidique : avez-vous son extrait de naissance ? " - Non , mais nous avons la preuve de sa majorité , nous avons l'examen osseux"...la perle des perles a été prononcée! Donc les A.S. se rangent du coté du Parquet : une radio pour déterminer l'âge osseux! Quel élément probant, face à un extrait de naissance!

Le 6 janvier. Le jeune retenu, mineur, qui a fait deux tentatives de suicide, vient d'être lâché, pardon relâché, dans les bois de Vincennes, juste ses baskettes aux pieds ( mais avec ses lacets, quand même!)

(...)

Ce jeune est parti sans un sous en poche , paumé (...). Il est sorti, disant aux codétenus, qu'il ne
savait pas où aller, qu'il allait traîner vers le 18ème pour savoir s'il pouvait trouver un squat ou un abri.

Voilà ce que donne, dans ce cas, l'ouverture du "marché" (resic) de l'aide aux étrangers: une incompétence évidente dans le domaine de l'aide juridique et une relative insouciance devant le poids des drames humains, réduits à de la gestion de "dossiers".

Chaque dossier a un visage.

Ici, celui d'un gamin perdu qui n'en peut plus, lâché dans le bois de Vincennes.

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