lundi 11 janvier 2010

Amères agrumes de Calabre

Pour une fois, personne ne contestera que le titre le plus révélateur sur ce que Libération nomme "les violences anti-immigrés en Calabre" a été trouvé par le spécialiste des gaffes-en-tous-genres du journal Le Progrès:

Une chasse aux immigrés dans le sud de l'Italie vire au drame

A l'automne, le même journal avait peut-être titré: Une battue au sanglier dans le Jura tourne à la tragédie...

Je ne sais pas, je ne suis pas abonné.

Oranges de Rosarno en attente de cueillette.
(Photo empruntée au blogue en italien Fortress Europe)

A Rosarno, en Calabre, dans ce pays où fleurit l'oranger, la chasse aux immigrés est peut-être ouverte dès que commence la saison de la cueillette des agrumes, principale production de la région. Quand ils ne servent pas d'occasionnel gibier à quelques jeunes locaux en manque de divertissement, les immigrés, avec ou sans papiers, sont surexploités, légalement ou illégalement, par les propriétaires de plantations.

Leurs conditions de vie et de travail nous sont rappelées par divers articles, comme celui d'Anne-Sophie Legge (de l'AFP), ou celui de Charles-André Udry (sur le site de A l'encontre) où l'on peut lire:

Les travailleurs immigrés qui arrivent dans cette région sont les survivants d’une odyssée durant laquelle ils ont été contraints d’assister à la mort de leurs congénères : dans les déserts, dans la mer ou dans les «camps de rétention extracommunautaires» financés par l’Union européenne et la Suisse.

Ils ont quitté des pays rongés par des guerres – derrière lesquelles se camouflent des conglomérats miniers ou des groupes pétroliers – et détruits par l’exploitation néocoloniale prenant appui sur des «élites» corrompues, alliées de leurs corrupteurs.


Ils arrivent dans une terre où, par milliers, ils ne seront que des bras pour cueillir des agrumes dès novembre et repartiront en mars après la récolte des oranges, migrant en Italie d’une région à l’autre, selon les récoltes. Sans toit, sans eau, sans électricité, sans sanitaires, reclus parfois dans des bâtiments industriels désaffectés. (...)

Pour reprendre la formule d’un des leurs : «Nous vivons entre les rats et la peur.» Un autre, originaire du Maroc, confie au journaliste Attilio Bolzoni du quotidien La Repubblica : «Je vis dans la peur, la peur de faire savoir à ma fa mille comment je vis en Europe.»

En fin d’année dans la région de Rosarno, chaque matin, des «contremaîtres» arrivent devant les baraques avec des camionnettes pour engager ces travailleurs immigrés qui n’ont littéralement plus rien si ce n’est leurs bras – de jeunes hommes – pour travailler 12 à 14 heures par jour, pour 20 euros, en payant 5 euros pour le «transport».


(Vous pouvez aussi retrouver l'intégralité de cet article sur le Jura Libertaire.)

Studettes à poutres apparentes...

...avec coin cuisine.
(Ces deux photos datent de janvier 2009,
et ont été empruntées à Fortress Europe.)

Face aux événements qui ont suivi, les médias sont si peu précis sur leur déclencheur immédiat que la presse d'extrême droite en ligne peut se permettre d'y trouver des "prétextes fallacieux".

Il est possible qu'un groupe de jeunes (ou moins jeunes) calabrais, en mal de divertissement, ait décidé de "faire un carton" sur un groupe de travailleurs... On a parlé, sans trop de précisions, de deux blessés par des tirs provenant d'une arme à air comprimé.

La violente manifestation de la colère des ouvriers immigrés, jeudi 7 janvier, dans les rues de Rosarno, a été davantage médiatisée:

La télévision italienne a diffusé abondamment des images des violences, montrant une dizaine d'immigrés brisant les vitres des voitures à l'aide de barres de fer. (Le JDD)

On peut trouver aussi des images et des vidéos sur les sites de par chez nous, et consulter les commentaires de nos compatriotes inspirés.

Je préfère ce commentaire-ci, qui conclut l'article de Charles-André Udry:

Ils se sont défendus comme des êtres humains dont la rage adoucit la souffrance – en cassant quelques voitures et vitrines de magasins – et ont été réprimés par la police comme «des animaux».

Rosarno, 7 janvier 2010.

Ce qui a suivi, alors que la police était déjà sur les lieux, s'inscrit dans la plus pure tradition du déchaînement raciste.

Plus d'un millier d'immigrés ont quitté la région de Rosarno.

Sans doute plus d'une trentaine de blessés parmi eux, par des moyens divers, et rarement précisés dans les dépêches...

Que ceux qui s'attendent à un réveil assez nauséeux en Italie se rassurent. Les Italiens ont une excuse imparable: C'est pas nous, c'est la mafia.

Quant au racisme, il n'existe pas plus en Italie que chez nous:

Dans un éditorial, Il Giornale, le quotidien de droite de la famille Berlusconi, adresse dimanche un appel provocateur aux habitants de Calabre: "plutôt que sur les nègres, tirez sur les mafieux".

"Pourquoi les Calabrais ne tirent-ils pas sur la mafia? Les immigrés sont pauvres et faibles, laids et sales, des cibles idéales. Le crime organisé, qui tient en échec les forces de l'ordre est fort, violent, avec un esprit de revanche et donc il convient de ne pas le toucher", estime le quotidien.

Une autre preuve irréfutable peut être trouvée dans ce poignant témoignage:

"Nous ne voulons pas qu'ils reviennent", déclare à l'AFP Giuseppe, propriétaire terrien à Rosarno, entouré de plusieurs amis. "Les nègres, nous les avons habillés et nourris, nous leur avons même offert des plats cuisinés à Noël", affirme-t-il, surpris qu'"on (les) prenne pour des racistes".

Cet article de l'AFP, publié par Le Matin, est intitulé Italie: sans immigrés africains, l'agriculture de Rosarno risque de mourir, et il est illustré d'une photo légendée

Des mandarines tombent au sol faute d'avoir été récoltées, le 10 janvier 2010 à Rosarno (Italie)

Cela me rend bien triste pour le pauvre Giuseppe...

Je lui souhaite de crever au plus vite, la gueule grande ouverte, sur son tas de mandarines pourries.

13 commentaires:

JR a dit…

«Je vis dans la peur, la peur de faire savoir à ma famille comment je vis en Europe.»
Et ainsi survit la légende de l'eldorado occidental...
As-tu remarqué – toi qui est un grand littéraire – qu'il y a beaucoup plus de littérature coloniale que d'écrivains de l'immigration ? Comme si dans le premier cas le mythe survivait à travers la prose qui le détruirait dans le second…
Hypothèse.
Quant au journal Le Progrès, il fait partie de la revue de presse de l'institution qui me paye pendant que j'écris ces lignes (ce qui prouve au passage que les fonctionnaires sont bien payés à rien foutre…). Et je te confirme : il mérite bien son nom et renforce mon désir de ringardise.
Sourires

Guy M. a dit…

Intéressante question littéraire...

A laquelle je ne puis répondre, sauf cette banalité: une certaine forme haute de littérature a souvent à voir avec l'exil.

Mais nous voilà bien avancés !

(Autant que Le Progrès, peut-être.)

JBB a dit…

Pour Le Progrès (Mazette, que ce nom est bien choisi…), je ne comprends même pas comment c'est possible. Un tel titre devrait valoir à son auteur une interdiction absolue de s'approcher à nouveau d'un ordinateur, d'un stylo ou d'une machine à écrire. En tout cas, bravo pour l'avoir déniché.

J'aimerais bien me rassurer en me disant que les Italiens sont à part, que ce qui arrive chez eux ne pourrait survenir chez nous. Mais voilà : j'en suis de moins en moins sûr…

Guy M. a dit…

Le Progrès est en train de se faire un nom: si j'ai bien suivi, c'est dans un entretien accordé au Progrès que Fadela Amara a ressorti le fameux Kärcher...

Rassure-toi: les Français sont des Italiens comme les autres.

Anonyme a dit…

le 17 aout 1893 des ouvriers italiens sont tués par des ouvriers français lors d'une émeutes à Aigues-Mortes:
http://www.ot-aiguesmortes.fr/FR/Conflits.htm
Le massacre des Italiens
Aigues-Mortes, 17 août 1893, de Gerard Noiriel, editions Fayard
la bêtise et la haine raciste n'ont pas de frontière

Guy M. a dit…

Nous en sommes bien d'accord.

Et on se passerait bien de cet internationalisme-là...

luc nemeth a dit…

Bonjour. A l'insu de son gré, ce propriétaire terrien dénommé Giuseppe attire l'attention sur un précédent historique : les grands domaines du Mezzogiorno (plaine des Pouilles, principalement) furent parmi les premiers où le patronat, craignant de voir les ouvriers agricoles continuer de s'organiser, eut recours dès la fin de l'été 1920 aux "expéditions punitives" -sur ce point précis la mémoire collective s'est montrée en partie amnésique, en ne retenant que la plaîne du Pô comme lieu d'origine de la violence squadriste. Cordialement

Guy M. a dit…

On aurait pu se passer des événements de Rosarno, mais je constate qu'ils sont l'occasion de combattre cette amnésie. Des articles commencent à paraître ici ou là.

Floréal a dit…

"Les Italiens ont une excuse imparable: C'est pas nous, c'est la mafia."

Non. C'est AUSSI la maffia. Vous etes bien mal informé où vous ne connaissez pas grand chose à une situation que vous prétendez comprendre et décrire.

Il y a deux sortes d'exploitations. Les grandes, qui sont des latifundias qui s'en sortent toujours d'une manière ou d'une autre.
Et il y a les petits producteurs, qui sont souvent eux-meme d'anciens émigrés. Ceux-ci ont le choix entre:
- embaucher de préférence ceux qui ont un permis de séjours
- s'ils n'en trouvent pas ou pas assez, embaucher des clandestins. S'ils les mettent en règle, ceux-ci s'en vont vers le nord dès qu'ils sont en règle et les producteurs en sont pour leurs frais, parce qu'ils ne peuvent pas s'aligner sur les salaires du nord..
- n'embaucher personne et laisser les agrumes pourrir s'ils ont la possibilité d'obtenir des subventions agricoles de l'UE.

Les habitants du sud ont globalement un niveau de vie inférieur d'un bon tiers à celui du nord. Une caissière de supermarché précaire à temps partiel évidemment non choisi ne gagne pas davantage qu'un immigré saisonnier.
Le taux chomage dans le sud est le plus haut d'Europe occidentale: plus de 25% de la population active. Pas vraiment la richesse ni l'opulence. Le niveau général d'instruction n'est pas très élevé. Le sud présente des carences énormes au niveau des services sociaux et des infrastructures (routes, hopitaux, écoles etc...).
Enfin, ces habitants que vous fustigez avec une hargne et un plaisir si évident sont les seuls qui ont qui ont apporté une aide réelle durant deux décennies à ces immigrés que vous défendez systématiquement parce qu'immigrés et qui ne sont pas tous des anges, loin de là.
D'où croyez-vous que venait l'eau des jerricans des baraquements sans eau ni électricité où logeaient les immigrés? Pas de chez leurs employeurs.

laformiotodidac a dit…

Rois maudits


Déferlantes esclaves
Aux mains
Volontaires
Vos nuits de cartons
Réveillent
Le partage
Dans les rues
Vos Rois maudits
Secouent
Nos lits
De gouvernances.

De Anick Roschi
Rosarno le 07.01.10

Guy M. a dit…

@ Floréal,

Vous avez raison, je ne connais pas la situation italienne mieux que n'importe quel lecteur des journaux français, mais vous avez tort en croyant que prétends la "comprendre" et la "décrire": je ne fais que citer des médias, et réagir à des informations.

Merci d'apporter des précisions socio-économiques intéressantes.

Mais cet état des lieux ne me conduit pas à accorder les circonstances atténuantes à des actes xénophobes et racistes.

Enfin, pour en terminer, nous savons tous que les anges porteurs de jerrycans peuvent être aussi racistes que les casseurs de "nègres".

@ laformiotodidac,

Merci.

(traduit de l'italien ?)

Floréal a dit…

Oui, certainement. La charité peut-tout à fait etre raciste. C'est le cas de cette bonté imbécile gérée par l'Eglise. Si pour autant vous croyez que ces cohortes d'immigrés masculins sont angéliques et traitent leurs femmes mieux que les autochtones les leurs, vous vous trompez lourdement. Donc, je ne suis pas charitable et je n'éprouve aucun plaisir à les voir s'installer. Je ne perçois nulle part "l'enrichissement culturel" censé arriver avec.

Guy M. a dit…

"je n'éprouve aucun plaisir à les voir s'installer"

On avait à peu près compris, merci.

Et bonjour chez vous.