vendredi 7 novembre 2008

Sur les bords du lac Kivu



Si l'on vous parle des malheurs de la République Démocratique du Congo, prenez un air pénétré et relancez la conversation sur les voies bien balisées du "scandale géologique" et de la "mosaïque ethnique". Vous serez à peu près au niveau du lecteur moyen du Monde.fr qui aurait parcouru l'article "Kivu: les clés du conflit".

En utilisant ces deux expressions, vous aurez fait par surcroît une discrète allusion au passé colonial de ce territoire (vous savez, toutes ces vieilles histoires) puisque c'est ainsi que les colonisateurs exprimaient leur étonnement devant, d'une part, la diversité et l'abondance des ressources minières du pays, et, d'autre part, l'enchevêtrement des cultures, ethnies et clans qu'il comportait...

Sur le premier point, les colons ont bien compris comment cela pouvait s'organiser...

Sur le second, à part quelques ethnologues égarés, les colons n'ont jamais bien tout compris. Qu'importe, ils ont fait semblant et ont tenté d'utiliser pour leurs profits les dissensions ethniques.

Un ouvrage essentiel sur les "vieilles histoires":
Les Fantômes du roi Léopold, de Adam Hochschild,

Bien sûr, l'actuel conflit du Nord-Kivu peut être éclairé par ces deux lieux communs, mais c'est loin d'être suffisant.

Plus qu'un enchevêtrement d'ethnies, le Nord-Kivu est le lieu d'une superposition de conflits non résolus, traité on ne sait comment par les organisations internationales. D'où la présence probable, aux côtés du CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple) des troupes rwandaises du président Kagamé, que Laurent Nkunda a soutenu; d'où la présence, aux côtés des troupes gouvernementales congolaises des rebelles Maï-Maï et des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), issues des anciennes milices Interhamwe responsables du génocide rwandais. Il faudrait ajouter l'Angola et ces étranges milices Rastas, dont parle l'article du Monde...

Et ne pas oublier la présence de la Monuc qui regroupe les forces de l'ONU et dont le mandat précise ceci:

Le mandat de la MONUC est placé sous le Chapitre VII de la Charte de l'ONU. Il l'autorise à utiliser tous les moyens nécessaires, dans la limite de ses capacités et dans les zones de déploiement de ses unités, pour dissuader toute tentative de recours à la force qui menacerait le processus politique, de la part de tout groupe armé, étranger ou congolais notamment les ex-FAR et Interahamwés, et pour assurer la protection des civils sous la menace imminente de violences physiques.

La MONUC peut, conformément à son mandat, utiliser des tactiques d'encerclement et de recherche pour prévenir des attaques contre les populations civiles et contrer les capacités militaires des groupes armés illégaux qui continuent de faire usage de la violence dans ces régions.

L'impuissance et l'incompétence des troupes onusiennes est également un lieu commun, hélas! Et dans le cas du Nord-Kivu, les déclarations du colonel indien Chand Saroha (ex-commandant au Nord-Kivu) tenus à la mi-avril 2008, au cours d'une cérémonie d'adieu en présence de Nkunda et de son état-major sont pour le moins étranges: il qualifie Nkunda de frère combattant pour une noble cause et Laurent Nkunda le remercie pour son amitié et son soutien... L'ONU a ouvert une enquête.

REUTERS/STR
Dans une maison de Kiwanja,
les corps de plusieurs civils tués lors du massacre.
(Voir LeMonde.fr)

Sans surprise, le sommet de Nairobi, qui s'est tenu aujourd'hui, appelle à un cessez-le-feu immédiat et à la mise en place d'un couloir humanitaire.

Faites-le!

J'aurais envie de le hurler, mais je ne suis pas objectif.

J'ai passé au bord du lac Kivu, à Goma, les jours les plus tendus de mon existence: les rebelles katangais avaient pris Kolwezi, les nouvelles étaient rares et peu fiables, les rumeurs parlaient de soulèvements au Kivu, de massacres ici ou là... J'étais un peu inquiet, et plus aucun avion ne permettait de rejoindre Kinshasa...

Malgré les propositions d'hébergement qui m'avaient été faites par des membres de la communauté blanche, j'avais tenu à rester dans un petit hôtel de la ville. Je traînassais dans les rues et je ne passais pas inaperçu... Je n'ai pas compté le nombre de gens qui m'ont dit: "Le jour où ça sera mauvais pour les blancs, je te trouverai et te le dirai..." et qui l'auraient fait.

Ils n'ont pas eu à le faire, le Kivu ne s'est pas embrasé, et j'ai pu m'embarquer pour Kinshasa.

Mais eux, vers quel futur ont-ils embarqué ?


PS: Sur la situation au Congo-Kinshasa, on peut visiter le blog de la journaliste Colette Braeckman, et consulter les sites de Jeune Afrique et France24 (merci Karine).


6 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai cliqué sur le lien vers le Monde, sous la photo…
Et j'ai eu envie de hurler, en toute objectivité.
En arrivant sur la page de l'article, un bruit de balle m'a accueilli, un bruit de mitraille. J'ai cru au mauvais goût d'un reportage multimédia, sonorisé ou je en sais quoi.
Non, ce n'était qu'une pub pour une… bagnole, un 4x4 qu'il n'est pas besoin de "protéger"… et le bruit des balles, c'était le son des bulles du papier éponyme, celles qu'on fait claquer sous les doigts.
Obscène.
La pub nous envahit chaque jour un peu plus sur Internet.
Mais c'est un autre débat.

Guy M. a dit…

Comme mon premier ordinateur était muet et que maintenant je suis sourd, je surfe sans le son la plupart du temps... aussi n'avais-je point remarqué cette "sonorisation".

On n'arrête pas le marché qui gagne !

Anonyme a dit…

L'image (voir ici la copie d'écran) est assez stupéfiante également…
Apparentement terrible titrerait le Canard enchaîné.

Guy M. a dit…

Le lien n'a pas l'air de fonctionner...

Anonyme a dit…

Pour avoir des infos sur la RDC au quotidien, et pas seulement en temps de crise quand la conscience internationale se réveille,il est possible de se connecter aux deux sites ci-dessous :

http://www.jeuneafrique.com/pays/congo_rdc/congo_rdc.asp

http://www.france24.com/fr/afrique

Question : Joseph Kabila se rend-il compte qu'il est dans la même position que Mobutu, quand son père, soutenu par le Rwanda, s'est emparé du pouvoir ?

Guy M. a dit…

Merci pour les liens, je vais tenter de les insérer dans le post-scriptum...

Kabila père est arrivé au pouvoir avec le soutien des Tutsi (pour dire ça vite) dont il s'est ensuite débarrassé... et parmi eux, si je ne me trompe, il y avait Laurent Nkunda. Les conflits se nourrissent des conflits précédents.