C'est un scoupe très impressionnant: l'homme d'une cinquantaine d'années, retrouvé mort dans le bois de Vincennes samedi dernier, ne serait pas mort de froid, mais d'une intoxication au gaz.
On respire mieux, n'est-ce pas: on a trouvé le coupable, et, puisqu'il est mort asphyxié, on se sent moins responsable.
Seulement voilà:
Un sans-abri a été découvert mort ce mardi après-midi, selon Emmaüs, qui faisait une maraude dans le secteur. L'homme, qui semblait «mort depuis un bon moment» a été découvert «pas très loin de l'esplanade du château de Vincennes», a précisé Didier Cusserne, délégué général de l'association. (daté du 25/11/08)
(Je n'ai pas vérifié chez mon copain Robert, celui qui tient les dictionnaires, l'emploi du mot "maraude".)
La ministre du Logement et de la Ville, Christine Boutin, a immédiatement décidé de se rendre sur place.
C'est gentil, ça, madame.
Elle en est revenue avec d'impérissables impressions qu'elle a confiées à son blogue avant qu'elles ne périssent, et que notre ami le Charançon a étudiées de près avec ce délicieux mauvais esprit (critique) qui le caractérise...
Et une riche idée (ou une idée de riche dame patronnesse ?) : rendre l'hébergement obligatoire pour tous les sans-logis.
Il y a deux ans, époque où je fréquentais, avec une régularité de métronome, un café ébroïcien aux banquettes accueillantes, j'y croisais tout aussi régulièrement une grande femme qui venait s'y réchauffer les mains autour d'une tasse de café, après avoir déposé à ses pieds un antique sac à dos sur lequel pendouillait un duvet de la même époque.
La plupart du temps, un client réglait discrètement son café avant de partir, et quand le garçon l'en informait, je l'entendais protester, affirmer bien haut qu'elle avait de quoi payer, et elle sortait une poignée de monnaie.
Elle était taciturne, fumait en silence à sa table.
Elle disait s'arranger avec de prétendus amis qui lui laissaient occuper une pièce pour la nuit...
La pièce en question ne devait pas être trop chauffée.
Lorsque que je l'ai revue, hier, assise sur le bord d'un bac à fleurs, je me suis surpris à faire l'inventaire sur son visage des marques laissées par sa vie dans la rue... Elle n'a pas répondu à mon bonjour, et en acceptant une cigarette, elle s'est lancée dans un discours violent et bien incohérent...
Comment se défendre du sentiment qu'il est trop tard ?
Ce sentiment du "trop tard" inéluctable est à la base de tous nos deuils, et le sentiment du deuil est à la base de notre humanité.
Je ne parle pas là de cette notion de "deuil", travail qui doit être fait sous peine d'anomalie, que mettent en avant les marchands de psychologie à deux sous...
Le Collectif Les Morts de la Rue ne parle pas non plus de deuil, mais de dignité et affirme:
Aucune personne de la rue ne doit être oubliée une deuxième fois, dans sa mort.
Cela me réconforte de voir que ce collectif ne tient pas un simple décompte statistique des morts de la rue, ce n'est pas un ministère... Le collectif les accompagne dans leur sépulture et "interpelle la société en honorant ces morts".
Les listes des morts de la rue leur rend une identité et dresse un modeste monument à la mémoire de ceux que nous n'avons pas toujours voulu voir.
Le collectif a publié hier cet appel, qui mérite d'être lu (et entendu):
Appel à nos gouvernants et élus (du 26 novembre 2008)
Comme tous les six mois à l’entrée de l’hiver, nous célébrons la mémoire des 158 morts dans la rue depuis l’été dernier. Ce week-end Francis est décédé seul, dans le Bois de Vincennes, dernier refuge et ultime demeure. Il survivait là, le long des périphériques, dans ces zones inhabitables qui deviennent le mouroir des SDF. Combien d’autres sont condamnés à cette même errance qui s’achève par la mort ?
Depuis le début de l’année 2008, le collectif a dénombré plus de 265 personnes mortes dans la rue, dans des voitures, dans des cabanons, dans des conditions indignes d’un pays comme la France. Nous pouvons ajouter également les personnes qui se sont défénestrées, se suicidant pour éviter une expulsion, pour fuir la misère.
Cette année, à l’aube d’une crise dont on ne mesure pas encore les dramatiques conséquences sociales, le collectif rejoint les autres associations qui lancent un cri d’alerte : malgré quelques promesses et d’insuffisants progrès, le scandale de la mort causée par la rue persiste et s’amplifie.
A terme, nous demandons aux pouvoirs publics la définition rapide d’une véritable politique nationale de la grande pauvreté qui n’existe pas. Elle s’inscrirait dans une politique du logement social, mais joindrait deux exigences indissociables, logement adapté et accompagnement. Car l’expérience des associations démontre que rien ne se fera sans les deux.
Mais dans l’immédiat, nous souhaitons la mise en œuvre, au plus vite, d’un véritable plan d’urgence permettant l’hébergement, l’accueil et le dialogue avec la personne en situation de détresse sociale.
Plus de 100 000 personnes vivent à la rue, plus de 600 000 vivent dans des conditions de logement difficiles. La crise, la récession et le chômage accentuent les précarités. Chacun d’entre nous est désormais concerné. Les menaces n’épargnent plus ceux qui se pensaient pourtant à l’abri de la précarité.
A quelques jours de la célébration du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il convient d’affirmer que les valeurs de la démocratie sont en cause lorsqu’elle ne parvient plus à maintenir le lien social en assurant la dignité, la sécurité et la justice pour l’ensemble des citoyens.
Ceux qui meurent dans la rue, sous le regard indifférent d’une société qui se détourne de ses obligations morales, en appellent à de nouvelles formes de solidarités. Faute d’initiatives immédiates et de réponses adaptées, notre société se rendrait complice de leur mort par abandon.
Nous attendons un signal fort, une mobilisation à la hauteur des enjeux, la mise en œuvre d’une politique enfin soucieuse des principes d’égalité et de fraternité.
Collectif les Morts de la rue
2 commentaires:
Pourtant, la Mairie de Paris est "prévenante" pour ceux qui craignent le froid... Si tu te balades/maraudes dans les rues de cette belle capitale hausmanniene, tu y verras sur les panneaux d'information électroniques municipaux un message très clair et chaleureux, incitant les gens à bien se couvrir et à ne pas rester dehors le soir, parce qu'il fait froid.
On n'avait pas remarqué!
Ils n'ont qu'à rentrer chez eux, aussi... Un "chez soi", c'est toujours chauffé, non?
J'en ai eu le souffle (déjà froid) coupé, quand j'ai lu ça. Là, je suis incapable de retrouver la phrase exacte, mais c'était puant...
Je rumine une réaction collective à proposer sous-peu. (ouh la, non, sans bloc de béton dedans...)
Pour le sentiment qu'il est déjà trop tard, je connais, mais desfois il y a des bonnes surprises. Untel, que tu ne voyais plus sur les marches d'un métro, et pour qui tu t'inquiétais, un jour, tu le croises tout pimpant, rasé et fier dans la rue, fier de pouvoir dire "je viens de me faire embaucher dans tel restaurant à côté"... Bon, alors on ne se verra plus toutes les semaines, mais c'est une bonne nouvelle. (oui ce boulot avait dû lui ouvrir qq portes, ou juste lui permettre de s'acheter un rasoir, et d'accéder à une douche, et d'être fier de lui, c'est important, ça.)
Tu as raison, il y a des "reprises" qui sont étonnantes et réconfortantes...
Comment se produisent-elles, et pourquoi ? difficile de le savoir, mais c'est rarement l'effet du discours "officiel" et bien pensaant...
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