mercredi 12 novembre 2008

Charters pour Prix Goncourt



«Parler, ça ne suffit pas, mon frère, si on ne t'entend pas, c'est comme des larmes… »
Atiq Rahimi, Terre et Cendres, traduit par Sabrina Nouri, P.O.L 2001



On sait que l'académie Goncourt a prévu d'éjecter ses membres trop vieux pour manger proprement à la table du restaurant Drouant où, par ailleurs, l'on faisait valoir depuis des années que, vu le niveau des charges sociales, il est impossible d'avoir suffisamment de personnel qualifié pour faire manger ces messieurs ou dames à la petite cuillère.

C'est donc une compagnie pétulante qui a décerné lundi dernier le prix Goncourt à Atiq Rahimi pour son roman Syngué sabour. Pierre de patience. (Editions P.O.L.)

Comme d'habitude, je ne l'ai pas lu. C'est la malédiction de l'escalier qui bibliothèque: toujours rater le Goncourt.

Escalier sans bibliothèque, chez Drouant.

C'est en 2001 que j'ai lu le premier roman d'Atiq Rahimi, Terre et cendres, publié par les éditions P.O.L., mais qui a été écrit en persan d'Afghanistan en 1997.

Après l'attaque et la destruction d'un village par les troupes russes, deux survivants, le grand-père et le petit-fils entament le voyage qui doit les conduire près du père du gamin qui travaille dans les mines... L'enfant est devenu sourd pendant le bombardement, il a faim, soif, et suit le vieillard qui s'obstine à rejoindre son fils pour le mettre au courant.

La construction du récit est presque schématique. L'histoire est d'une absolue simplicité, racontée en phrases courtes, descriptives, et en dialogues. Et pourtant peu de récits atteignent ce niveau de vérité et d'émotion, car le schéma de ce récit est universel, et les phrases sèches et sans effets littéraires sont des phrases qui s'étranglent dans la gorge... Chacun des mots est presque une larme.

Le dernier livre d'Atiq Rahimi a été écrit directement en français. Il n'y a pas de raison que son suprême talent se soit évaporé.

Donc, pour une fois, je lirai "le" Goncourt.


Atiq Rahimi, réfugié afghan et écrivain français.

Cela va sans dire, mais il faut évidemment le dire, et assez fort: si Atiq Rahimi arrivait maintenant en France, on peut imaginer qu'il se ferait refouler, et qu'on lui trouverait une place dans un charter en direction de Kaboul...

Il le sait, et a déclaré hier:

La présence en France de ces 54 jeunes afghans témoigne de la situation que connaît actuellement l’Afghanistan.

Les renvoyer dans leur pays c’est les condamner à un avenir incertain, c’est prendre le risque de les laisser aux mains des fondamentalistes qui détournent le désespoir de cette jeunesse à des fins religieuses extrémistes.

Pour combattre l’obscurantisme , les armes à notre disposition sont multiples ; mais la plus sûre et la plus efficace est l’éducation. En offrant l’asile à ces jeunes, comme elle le fit pour moi en 1985, la France les aidera à poursuivre leurs études et à ne pas tomber dans l’abîme de l’ignorance.

Atiq Rahimi

Lauréat du prix Goncourt 2008

Tierno Monenembo, réfugié guinéen et écrivain français.

Comme le prix Renaudot a été attribué à Le Roi de Kahel, de Tierno Monénembo (Seuil), je redoute qu'un nouveau scandale n'éclate à propos des prix littéraires: les jurys ne seraient-ils pas noyautés par des associations droits-de-l'hommistes ?

Voyez ce communiqué de France Terre d'Asile, et voyez comme ils se réjouissent:

« La langue d’adoption, la langue de la liberté »

Paris, le mercredi 12 novembre 2008 - Cette année 2008 aura vu deux distinctions littéraires de premier plan remises à deux personnes d’origine étrangère en France.

Le prix Goncourt 2008, la plus prestigieuse récompense littéraire du pays, a été attribué lundi à l'auteur franco-afghan Atiq Rahimi pour « Syngué sabour. Pierre de patience ». Il a quitté son pays après ses études à Kaboul pour cause de guerre au milieu des années 1980. Il émigre au Pakistan avant de demander l'asile politique, puis la naturalisation, en France.

Le prix Renaudot est, lui, attribué au guinéen Tierno Monénembo pour « Le roi de Kahel ». Monsieur Monénembo a quitté son pays, la Guinée, à la fin des années 1960 pour fuir la dictature de Sekou Touré.

Faut-il y voir un symbole ? Faut-il y voir un message ? Ou simplement deux parcours d’intégration réussis ?

Le droit d’asile fait partie de la tradition et des valeurs qui font la grandeur de la France. Souvent anonymes, parfois reconnus, ceux à qui on accorde le droit de vivre dans ce pays mettent généralement en œuvre les efforts nécessaires à leur intégration, bien qu’ils ne soient pas tous primés.

Reprenons cette très belle phrase de Monsieur Rahimi, qui affirme que « la langue d’adoption est la langue de la liberté ».

Rappelons-nous également, en réfléchissant à la Conférence de Vichy de la semaine dernière, que, pour qu’une intégration soit réussie, il est nécessaire que la société d’accueil en manifeste la volonté et en dégage les moyens.

Je trouve ça louche.

Mais vous ne pouvez pas savoir à quel point ça me fait plaisir...

10 commentaires:

Anonyme a dit…

D'habitude, je suis plutôt indifférent à la petite musique des prix littéraire. Mais là, tout d'accord avec toi : pour une fois que ces prix signifient davantage que des éternelles compromissions éditoriales, il faut s'en féliciter. Donc : chouette !

Guy M. a dit…

Je n'ai pas lu Monenembo, mais je suis sûr que Rahimi a beaucoup de qualités littéraires...

Alors ne boudons pas notre plaisir.

Anonyme a dit…

Ca faisait longtemps aussi que je n'avais lu un Goncourt AVANT qu'il n'ait le prix…
Depuis que j'ai quitté le monde de l'édition en fait.
Atiq Rahimi a glissé dans une interview: "Ecrire dans une autre langue est un plaisir".
C'est vrai que son rapport au français donne une certaine attention délicate à ce qui se dit.
Comme en plus ce qu'il écrit, des rapports de l'homme et de la femme, de la guerre et de l'amour, de la vie et de la mort, est fort beau, le livre est superbe.
Jusqu'au dernier paragraphe.
Mais ne boudons pas le plaisir partagé.
Ni celui du pied de nez et de la langue tirée au désintégrateurs qui nous gouvernent.

Flo Py a dit…

C'est pas tellement mon truc d'habitude de lire un auteur "sous prétexte" qu'il a eu le prix machin ou le prix truc, mais là ça me donne envie de les découvrir tous les deux.

Bises et bonne soirée !

Guy M. a dit…

@ JR,
C'est vrai que si j'ajoute à la "tenue" de Terre et cendres cette attention à la langue dont tu parles, le goncourt 2008 est peut-être encore mieusse que je ne l'imagine...

@ Flo Py,
En général, je ne lis les prix que bien longtemps après (ceux qui restent), mais cette année, je vais faire une exception...

Anonyme a dit…

Moi aussi, tiens !

Anonyme a dit…

oh oui, Flo py, sois exceptionnelle... Ça te va bien !
Gut, tu me donnes envie de lire Terre et cendre que j'avais tellement aimé au ciné
Bonne journée à tous.

Guy M. a dit…

@ Lucide,
Les prix vont faire un sacré tabac cette année!

@ JR,
Je n'ai (évidemment) pas vu le film, mais j'ai les images dans la tête...

Anonyme a dit…

une fois encore,
un article fort de sens,
avec des mots justes...
j'avais lu "terre et cendres",
j'avais vu le film,
j'avais fait fonctionner les tambours pour signaler aux amis
la beauté grave de ce texte...

je n'oublie pas qu'il y a eu d'autres réfugiés primés:Andrei Makine ( goncourt?), gao xianjian ( nobel),qui sont des écrivains, au sens fort...
je ne connais pas le statut de Kourouma (livre inter), était il réfugié? en tout cas il a écrit de vrais livres, avec de vraies questions...

merci donc de rappeler encore et encore tout ce qu'on a à perdre
à nous refermer sur nous même..
et les artistes reconnus ne sont que l'écume de cette élan vivifiant..

Guy M. a dit…

Merci, Marie.

Et merci aussi de faire remarquer que la langue n'est pas une composante hexagonale de l'identité nationale (au sens de mr Hortefeux).

Je pense que Kourouma a écrit l'essentiel de son œuvre en Côte d'Ivoire et n'est venu en France qu'à cause de la guerre civile...