vendredi 4 février 2011

Logique de la déchéance

J'aime assez, je l'avoue, imaginer les trépignements sur talonnettes de notre bon président à l'annonce de certains désagréments. Cela ne me prend pas beaucoup de temps, une demi-minute tout au plus, mais cela me permet de commencer la journée dans un état de suave béatitude.

Les motifs de déconvenues ne manquent pas actuellement pour le chef de l'État, comme si tout le monde se liguait pour lui faire de la peine.

Même les sénateurs, jadis si respectueux, ne veulent plus voter, ne serait-ce qu'à reculons, les mesures proposées :

Le Sénat a infligé jeudi un revers au gouvernement en refusant l'extension de déchéance de nationalité à certains meurtriers de représentants de l'autorité de l'État, une mesure phare du projet sur l'immigration, préconisée par Nicolas Sarkozy.

Par 182 voix contre 156, les sénateurs ont repoussé cette disposition annoncée, à grand renfort de roulement de mécaniques, par monsieur Nicolas Sarkozy dans un discours à grand spectacle sécuritaire prononcé, l'été dernier, à Grenoble.

Il était prévu d'étendre la déchéance de nationalité aux personnes ayant acquis la nationalité française depuis moins de 10 ans et qui ont été reconnues coupables d'un crime à l'encontre de personnes dépositaires de l'autorité de l'État. A l'automne, monsieur Éric Besson avait fait au mieux pour introduire cette mesure dans le projet de loi "relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité". En première lecture, les dévoués députés avaient voté pour, sans trop d'états d'âmes. Et la commission des Lois du Sénat en avait, la semaine dernière, accepté le principe, mais en avait limité la portée, la liste des "dépositaires de l'autorité publique" se réduisant aux magistrats et aux forces de l'ordre.

Les sénateurs ont refusé d'instaurer "l'idée qu'il y a deux catégories de Français" et de rompre "avec tous les critères d'égalité de la République", sans hésiter à évoquer de manière explicites les références qui s'imposent :

Nathalie Goulet a pris la parole de façon plutôt solennelle pour les sénateurs centristes: "c'est le régime de Vichy qui a inventé la dénaturalisation !", a-t-elle déclaré en racontant comment sa famille, à qui le régime de Pétain a retiré la nationalité française en 1941, avait été parmi les premières à être déportée vers Auschwitz.


On sait pourtant que c'était une mauvaise question.

En l'absence de monsieur Brice Hortefeux, c'est le ministre en charge des collectivités territoriales, monsieur Philippe Richert, qui représentait le gouvernement.

Manifestement peu en forme, il a mollement indiqué :

"On n'est pas en train d'inventer la déchéance de nationalité, elle existe déjà !"

Et, implicitement, il a reconnu l'inutilité de la mesure, avant d'asséner son ultime argument :

Soulignant que sur les 90.000 personnes qui acquièrent chaque année la nationalité par naturalisation, bien peu seraient concernées par la mesure, M. Richert a fait valoir qu'il n'était pas "illogique que quand une de ces personnes se retourne, par meurtre, contre le symbole de cette autorité de l'Etat, on puisse lui retirer sa nationalité".

Cet appel à la logique est assez intéressant.

D'autant plus qu'on le retrouve dans la réaction du ministre de l'Intérieur et des Expulsions vers l'Extérieur :

Dans un communiqué publié à l'issue du vote, Brice Hortefeux a aussi estimé qu'il n'y avait "rien de scandaleux ni de choquant à ce que le gouvernement, sur avis conforme du Conseil d'Etat" propose cette mesure. "Il ne s'agit de rien d'autre que de tirer les conséquences logiques d'un acte qui, par sa nature même, met son auteur en dehors de la communauté nationale", a-t-il ajouté.

Il faut admettre qu'a dû se développer, dans l'entourage intellectuellement si fertile du président de la République, une conception non-standard de la logique, qui nous échappe encore partiellement. Car en suivant le fil des propositions "logiques" ou non-"illogiques" de nos deux ministres, on arriverait, en bonne logique classique, à établir, en corollaire, qu'un de-souche né de-souche de chez de-souche ad infinitum, tel que je le suis, serait plus autorisé, en droit, à assassiner, si le besoin s'en faisait sentir, un juge ou un policier, que son voisin naturalisé depuis moins de dix ans...

Or cela m'étonnerait fort que monsieur Hortefeux ne trouve "rien de scandaleux ni de choquant" dans cette proposition...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Guy! pour ce billet encore plus frais que les précédents..
Comment on s'organise pour pouvoir respirer, tant l'air est envahi de relents putrides ?
Michel

Guy M. a dit…

Mon grand-père a laissé derrière lui un masque à gaz...

Il va falloir que j'en vérifie le fonctionnement.