If it is not the world, it is what the world might be with a minor adjustment or two.
According to some, this is one of the main purposes of fiction.
Let the reader decide, let the reader beware. Good luck.
— Thomas Pynchon
Texte de présentation pour Against the Day.
La plupart des maisons d'édition, au moment dit "des fêtes", font un effort de packaging et vous proposent, sous un emboîtage cartonné du plus bel effet, des séries de deux ou trois livres de poche de grands auteurs, et vous pouvez ainsi offrir, sans avoir l'air trop radin, trois Marc Lévy pour trois fois le prix d'un.
Malin !
C'est durant cette période que j'ai eu la divine surprise de découvrir que les éditions du Seuil avaient eu l'excellentissime idée de rééditer en poche (Points, collection Signatures) la traduction française du pénultième roman(1) de Thomas Pynchon, Contre-jour.
Au Seuil, les radins(2) n'ont pas jugé utile, ou rentable, de le livrer en emballage festif, mais ce n'est pas grave: 1500 pages, 1 kilogramme, c'est tout de même un beau cadeau.
Je l'ai gardé pour moi.
Si mes souvenirs sont bons, Honoré de Balzac, dans son fameux avant-propos à la Comédie humaine, était très fier de "faire concurrence à l'état-civil"(3).
C'était là assigner à l'auteur de romans une ambition bien modeste. Quoi de moins romanesque qu'un registre d'état-civil ? L'annuaire des téléphones, peut-être.
Pynchon dépasse largement cet objectif mesquin, et s'il rivalise avec qui que soit, c'est évidemment avec Dieu lui-même.
Il faut être réaliste: Thomas Pynchon est très probablement Dieu lui-même, c'est-à-dire un signifiant dont on ne peut rien prédiquer, pas même qu'il n'existe pas.
Comme beaucoup des Dieux uniques qui se respectent, Thomas Pynchon, s'il existe, proscrit toute représentation: pas de photos, pas d'images.
Ce qui étonne, c'est que cet interdit soit respecté. On raconte qu'une équipe de CNN aurait réussi à filmer un présumé Pynchon à Manhattan en juin 1997 et que, redoutant un procès, la direction de chaîne aurait renoncé à diffuser les images. Pour moi, c'est la preuve, non du pouvoir divin de Pynchon, mais de l'esbroufe de CNN: ces images n'ont jamais existé.
Quelques photographies anciennes, remontant aux années 1950, représentant un jeune homme un peu timide, qui, de toute évidence, n'a pas eu la chance de rencontrer un orthodontiste compétent, nous sont présentées comme des portraits de Thomas Pynchon dans sa jeunesse. Cette maigre collection ne prouve pas grand chose: Dieu s'amuse toujours un peu à égarer les hommes...
J'ignore si Thomas Pynchon s'amuse à l'idée d'égarer ses lecteurs, mais je suis à peu près certain qu'il s'est beaucoup amusé à écrire Contre-jour, et à mettre au point cette merveilleuse machine romanesque méticuleusement agencée avec tout le soin et toute la minutie que peut y mettre un ingénieux ingénieur, diplômé de la section "savants fous". Comme ce bricoleur de génie se double d'un conteur virtuose, capable d'étourdir nos narratologues les plus distingués, qui mène ses récits avec une aimable fausse désinvolture, il suffit au lecteur d'entrer dans les mondes et contre-mondes de Thomas Pynchon pour y trouver son plaisir assuré.
N'attendez de moi nulle autre incitation à vous aventurer dans cette lecture un peu décalée.
Décalée comme la double image que donne le fameux cristal biréfringent, nommé "spath d'Islande"...
La traduction française, somptueuse, a été réalisée par (Christophe) Claro, écrivain-traducteur et "propriétaire d'un clavier bi-moteur" (dont on peut prendre des nouvelles sur le blogue Le Clavier Cannibale II).
J'imagine que l'on doit bien s'amuser en traduisant du Pynchon, mais peut-être pas toujours. Notre auteur fait grand usage de vocabulaires spécialisés, notamment dans le domaine scientifique, où il pousse le scrupule jusqu'à utiliser les vocables de l'époque maintenant tombés en désuétude.
A scrupule, scrupule et demi. Assez sensible aux imprécisions dans ce domaine, je n'ai sursauté qu'une seule fois en trouvant une "partie véritable" qui ne saurait être qu'une "partie réelle"...
Et je me demande si Pynchon n'a pas voulu s'amuser en introduisant une légère distorsion, ou un ajustement mineur(4)...
(1) Le dernier, Inherent Vice, est paru en août 2009 aux Etats-Unis, et si l'on veut frimer, on peut en lire les premières pages ici.
(2) On pourrait peut-être suggérer aux gestionnaires du Seuil que cela serait une excellente idée de rééditer L'arc-en-ciel de la gravité en collection de poche.
(3) Notre boursouflé estimait cette tâche plus difficile "que de mettre en ordre les faits à peu près les mêmes chez toutes les nations, de rechercher l'esprit de lois tombées en désuétude, de rédiger des théories qui égarent les peuples, ou, comme certains métaphysiciens, d'expliquer ce qui est."
(4) En réalité, je ne crois pas, puisqu'à la suite, figure une réelle et véritable erreur sur la fonction zêta. Ne me demandez pas la page, je ne l'ai pas notée: c'est plus drôle comme ça.
4 commentaires:
"dont on ne peut rien prédiquer"
Je crains bien de passer pour le dernier des ignorants. Mais : ça se dit ?
Je constate en outre (note l'usage de cette brillante locution) que personne n'a réagi sous cet (excellent, comme à l'ordinaire) billet. Et je veux croire que cette absence de commentaire n'est que le reflet de ma propre incapacité à lire plus de dix pages d'un ouvrage de Thomas Pynchon : je n'ai jamais réussi à me plonger dans l'un de ses bouquins. Honte sur moi...
Heu, enfin, moi je le dis, quand j'ai l'occasion. En fait, ce qui ne se dit pas c'est "signifiant", il faudrait dire "sujet"; mais Dieu, dont je ne puis assurer ni l'existence, ni la non-existence, m'apparait aussi comme un non-sujet.
Alors, vois-tu, j'ai préféré rester prudent.
Je ne suis pas un pynchomaniaque (alors que j'avoue être un maniaque de Lowry ou de Perec, capable de fouiller dans les bibliothèques pour élucider un passage), mais une fois plongé dans n'importe lequel de ses bouquins, sauf Mason & Dixon, il faut que j'aille jusqu'au bout, pour voir où ce timbré génial veut en venir...
Jamais rien lu de Pynchon, dont le nom revient pourtant en volutes dans ma vie comme le chocolat dans le marbre du quatre-quarts.
Entre ce billet et ses liens, je viens de faire une balade superbe. Ça valait le coup de lâcher Internet une semaine et d'y revenir directement par l'Escalier.
Je me renseignerai plus tard sur la question de savoir si Sarkozy en a toujours autant (heu, pardon : si l'on peut mettre des attributs au sujet, enfin, prédiquer le signifiant, quoi...)
Tu as croiser des pynchomanes, il y en a pas mal à Belleville...
Revenir par l'escalier, c'est quasiment la voie royale, surtout si tu enchaînes, par exemple, avec Vente à la criée du lot 49.
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