jeudi 28 janvier 2010

Feux et contrefeux sur un air de pipeau

Pas étonnant que l'Etat n'apprécie pas trop la beauté convulsive, c'est lui qui fait construire les prisons.

Avec l'argent du contribuable.

Et le contribuable n'a aucun sens de la poésie.

Incendie de la prison pour étrangers de Vincennes
(euphémiquement nommée "centre de rétention administrative"),
le 22 juin 2008.


Quand une prison, et surtout une prison pour étrangers, brûle, le contribuable pleure; ce sont des choses qui se font.

Pour le consoler, il faut trouver des futurs coupables, et les envoyer en correctionnelle; ce sont aussi des choses qui se font.

Je présume qu'une enquête minutieuse et une instruction rigoureuse ont permis de poursuivre les "dix étrangers en situation irrégulière" pour "destruction de bien par incendie" et/ou "violences sur agents de la force publique avec incapacité totale de travail de moins de huit jours". Le procès, qui devait se tenir sur trois après-midi, a commencé ce lundi devant la 16ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, dans une "ambiance tendue", selon Sophie Makris, de l'AFP.

Fait-elle allusion à la présence d'un public trop nombreux ?

Pour soutenir les dix étrangers en situation irrégulière accusés d'avoir participé aux faits, plus d'une centaine de personnes ont fait le déplacement lundi au Palais de justice de Paris à l'appel de diverses associations (MRAP, Gisti, LDH, Solidaires...). (...)

Faute de place, seule une poignée de personnes ont pu accéder à la salle, entraînant une montée de l'exaspération à l'extérieur et le démarrage de l'audience sous les cris de "justice à huis-clos", lancés par les manifestants de l'autre côté de la porte.

(Selon d'autres témoins, la cour se serait transportée dans la salle de la 31ème chambre "à peine plus grande" que celle de la 16ème, sans pouvoir accueillir la totalité du public.)

Ou bien fait-elle allusion au premier cafouillage du procès ?

L'un des inculpés, "le plus jeune des prévenus", toujours évidemment sans papiers, s'est fait contrôler à la gare du Nord, et a été diligemment placé en garde à vue. L'audience commençait à 13h30, mais ne pouvait avoir lieu sans lui. Il a finalement été libéré vers 14h et l'audience, suspendue, a pu reprendre vers 15h30.

(Cela montre au moins que, si la procédure est "pointilliste", la police est pointilleuse.)

Ou bien fait-elle référence au second cafouillage, qu'elle annonce comme un "coup de théâtre" ?

Une demande de changement de composition du tribunal a en effet été déposée, à l'initiative de la défense de l'un des prévenus, Moïse Diakité, qui "a reconnu dans la présidente de la 16ème chambre du tribunal correctionnel une juge [d'instruction, à l'époque] qui s'était prononcée sur son placement en détention dans un autre dossier, en 2005".

Maître Mylène Stambouli, son avocate, a donc signalé: "Mon client me dit, du fait de ce passé, ne pas avoir confiance dans l'impartialité du tribunal. Il n'est pas possible de juger ce dossier dans la composition actuelle du celui-ci."

(On voit que le théâtre judiciaire n'est pas à l'abri d'une erreur de casting.)

Entrée des artistes.
(Photo AFP)

Le second acte, mardi dernier, a duré cinq minutes, ainsi résumées par Sophie Makris:

La présidente de la 16e chambre correctionnelle, Nathalie Dutartre, a annoncé au début de cette seconde demi-journée d'audience qu'elle refusait de se destituer, comme le demandait la défense de l'un des prévenus.

(...)

Face à ce refus, l'avocate du prévenu, Mylène Stambouli, soutenue par l'ensemble de la défense, a annoncé qu'elle déposait une demande de récusation de Mme Dutartre auprès du premier président de la cour d'appel ainsi qu'une demande d'ajournement du procès.

L'audience a donc été suspendue, en attendant la réponse...

Le public a été évacué par les forces de l'ordre, dans les formes en usage: brutalement. Il est vrai qu'il était surtout venu exprimer son soutien aux inculpés, et qu'il faisait ainsi preuve d'une insupportable partialité. Devant le palais, une personne a été arrêtée.

Le lendemain, la présidente du tribunal a pu ouvrir l'audience en annonçant le rejet, par le premier président de la cour d'appel, du changement de composition du tribunal réclamé par la défense, et lancer les débats.

Enfin ! disent certaines dépêches.

La parole étant donnée aux avocat(e)s de la défense, Maître Irène Terrel, en dénonçant une instruction "caricaturale" et "attentatoire aux droits de la défense et à la justice elle-même", a demandé un supplément d'information: "On ne va pas accepter des sous-droits avec des sous-mis en examen pour une sous-justice".

D'après une dépêche citée par NouvelObs.com:

Elle a demandé une expertise technique concernant l'incendie, une enquête sur la personnalité des prévenus, un transport sur les lieux et le visionnage de la trentaine d'heures de vidéosurveillance, l'un des principaux éléments à charge de l'ordonnance de renvoi.

La présidente a retenu le visionnage mais a refusé les autres demandes, comme requis par le procureur Gilbert Flam pour qui "le fond du dossier ne nécessite pas une autre instruction".


S'il le dit...

Ce procès exemplaire reprendra lundi 1er février, à 13h 30. Un nouveau calendrier des audiences devrait être fixé.

Le public n'est pas toujours le bienvenu, mais il est admis.

Les mauvais esprits qui ne pensent qu'à ça, mais pas à ce que vous pensez, auront sans doute noté que, par coïncidence de calendrier, les services de communication de la police (les fameuses "sources policières") ont tenu à nous informer de ceci:

La section antiterroriste (SAT) de la Brigade criminelle a été saisie d'une enquête préliminaire portant sur une quarantaine de dégradations de distributeurs automatiques de billets (DAB) à Paris attribuées à des militants de "l'ultra gauche".

Et l'on précise, pour que l'on comprenne bien:

Les policiers pensent avoir affaire à un groupe organisé de militants de l'extrême gauche, en raison des slogans portés sur les distributeurs sabotés, qui reprochent aux deux banques concernées d'avoir dénoncé des étrangers sans papiers titulaires de comptes.

"BNP, balance de sans-papiers aux flics", "À bas les collabos", pouvait-on lire sur les distributeurs. Il est aussi fait référence au procès, en cours à Paris, des incendiaires présumés d'un centre de rétention en 2008 à Paris: "Liberté pour les inculpés de Vincennes".

Un petit air de pipeau pour agrémenter le spectacle ?

Edouard Manet, Le Fifre (1866)
Huile sur toile © Musée d'Orsay Paris

6 commentaires:

JBB a dit…

M'étonnerait pas que ce soye (si, si…) la même cellule anarcho-autonome d'ultra-gauche qui ait saboté les voies TGV, mis le feu au centre de rétention et détruit ces distributeurs. Sont partout, ces bougres…

Mais quand même : c'est cool de voir qu'ils y en a qui se bougent.

Guy M. a dit…

L'ultra-gauche, mon pauvre môssieu, c'est une nébuleuse.

Mais la police se bouge, oui !

Lémi a dit…

"la police se bouge" : alors comment se fait-il que ces salopards courent encore, égorgeant nos femmes et nos distributeurs automatiques ? M'étonnerait pas qu'ils soient infiltrés jusque dans les plus hauts rangs de l'État.

Guy M. a dit…

Voilà que tu deviens conspirationniste !

Et puis, ils ne font que violer nos femmes et nos dabs (on dit dab, c'est joli, non ?)

Bozo a dit…

Comme il se doit JBB, and co, en bon gauchiste ne salue pas l'acte des désesperados sans papier, il salue l'acte d'autres gauchistes, ainsi va l'imaginaire gauchiste, aveugle qu'il est à l'auto-émancipation des "bronzés"...

Guy M. a dit…

Ton commentaire, au nom d'une préconception de "l'imaginaire gauchiste", me semble faire peu de cas de ce qui est publié par "JBB, and co", sur Article XI.