dimanche 17 avril 2011

Une Goutte d'Or acidulée

Les images les plus connues du photographe britannique Martin Parr sont presque toutes identifiables à sa manière très personnelle de pousser les couleurs vers l'acide. Ajouté à la futilité des sujets qu'il aborde généralement, ce maniérisme peut faire penser à certaines tentatives assez vaines de l'hyperréalisme pictural. Cependant, en rester à cette première impression de surface, qui n'est pas nécessairement la bonne, serait une erreur, empêchant de voir, sous la surface glacée de ses grands tirages d'une netteté redoutable, le très discret (and so british) humour qui pétille dans l'œil du photographe, que cela soit à l'instant de déclencher son obturateur, ou au moment de choisir le cliché à exposer...

C'était, malgré tout, une idée originale et curieuse, peut-être un peu risquée, de l'inviter à passer une semaine dans le quartier de la Goutte d'Or pour y pratiquer son art.

Ce projet a été conçu, mis en œuvre, et mené à bien en janvier dernier, par Véronique Rieffel qui assure la direction de l'Institut des Cultures d'Islam, installé depuis 2006 rue Léon, en attente de bâtiments définitifs promis pour 2013.

Martin Parr travaille assez peu en France, car, selon The Independent, il trouve les Français un peu paranos quand il s'agit de se faire tirer le portrait ("he finds that the French are "paranoid" about having their photographs taken"). Il a pourtant accepté de venir promener son regard de "piéton anglais" dans ce "quartier de Paris trop souvent pointé du doigt". Inutile de rappeler que la Goutte d'Or est devenu, depuis quelque temps, pour certains de nos compatriotes, le paradigme même du quartier où le souchien ne se sent plus chez lui parce qu'il y aurait trop de musulmans.

Au cas où l'avis d'un photographe britannique pourrait intéresser l'identitaire parisien malcontent, citons la fin de l'article de The Independent :

In that and other respects, he says, he found that French Muslims are "much more similar to other French people than French people are to Britons".

[Le monsieur, il dit que sur ce point (la fameuse paranoïa française sur le droit à son image) ainsi que sur d'autres, il a trouvé que les "French Muslims" ont beaucoup plus de ressemblances avec les autres Français que les Français n'en ont avec les Britanniques.]

L’exposition The Goutte d’Or ! – L’Institut des Cultures d’Islam invite Martin Parr présente, jusqu'au 2 juillet, le travail réalisé au cours de cette résidence. Pour l'annoncer sur les murs de la capitale, le photographe a choisi le portrait qu'il a fait d'une charmante vieille dame, pensionnaire d'une maison de retraite du quartier. Peut-être avait-elle, pour l'occasion, revêtu ses plus beaux vêtements. Assise sur le bord de son lit, elle pose et semble attendre que la photo soit prise pour continuer la conversation. Elle a le regard un peu perdu de toutes les mamies du monde qui, malgré cette grande fatigue que l'âge a logée aux fond de leur corps, chercheront toujours et encore à vous accueillir en faisant bonne figure.



Le hasard, cet auxiliaire essentiel de l'art photographique, a malicieusement voulu que cette exposition s'ouvre au public au lendemain du "débat" vaseux recyclé en "convention" UMP sur la laïcité.

L'accrochage, rue Léon, d'une trentaine de tirages en grand format, ne prend évidemment aucune part à ce débat, mais le recoupe largement, et d'une certaine manière lui coupe un peu la parole.

Ce qui ne constitue pas un drame en soi, on en conviendra.

Deux images, notamment, ont eu les honneurs de la presse.

La première est un portrait de commerçant posant dans sa boutique, "genre" que Martin Parr aime pratiquer. Les inconditionnels du saucisson-pinard pourront retrouver aisément son adresse :

Éric, charcutier au "Cochon d'Or" depuis 17 ans.

Quant à la seconde, elle illustre une fois de plus à quel point le hasard objectif peut servir la photographie :

Musulmans en prière : produits exotiques ?

Ces images, où Martin Parr déploie toute sa virtuosité chromatique, sont à savourer sur place.

Il faut les déguster comme on déguste une pochette de bonbons acidulés, en prenant son temps, pour faire durer le plaisir.

Certains s'en trouveront les gencives agacées.

Pas grave ! Ils avaient déjà envie de mordre...




PS : L'exposition est installée jusqu'au 2 juillet 2011 à l'Institut des Cultures d'Islam, 18-23 rue Léon (Paris XVIIIe, métro Château-Rouge). Entrée gratuite du mercredi au dimanche, de 15h à 20h, avec rallonge le samedi, de 10h à 20h. Voir aussi le programme des animations.

2 commentaires:

emcee a dit…

Merci pour ces informations intéressantes. Je suis loin de Paris, mais si j'ai l'occasion, j'irai certainement y faire un tour.
Je ne connaissais pas Martin Parr, mais j'aime beaucoup ce qu'il fait.
J'aime, en général, les portraits de gens "ordinaires".

Et leur site est très joli et bien fait. Ce qui ne gâche rien ;-)

Guy M. a dit…

Cela vaut vraiment le déplacement.

J'avoue que je n'aime pas toujours les choix esthétiques de Martin Parr... Mais cette série est une réussite espatouflante.