mercredi 27 avril 2011

Des frontières partout

Qu'ils soient 200, ou 500, ou encore 20 000, pour la presse ils seront "plus de" 200, "plus de" 500 ou "plus de" 20 000. Et si, avec ça, vous ne comprenez pas qu'ils sont innombrables, c'est que vous ne savez pas compter...

Il n'est pas impossible que leur présence (de plus en plus) abondante ait alimenté les disertes conversations d'avant dessert, lors de la dévoration œcuménique et familiale du traditionnel gigot d'agneau pascal. On y aura évoqué, avec le plus grand sérieux, la possibilité de suspendre la convention de Schengen et de rétablir (enfin !) de "vrais" contrôles aux frontières. Des spécialistes hors spécialité auront soulevé quelques difficultés juridiques, d'autres auront proposé un bel assortiment de mesures expéditives. Et l'on aura terminé, avec le sourire égrillard en coin qui s'impose, en disant deux mots des retrouvailles de Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi, prévues pour le surlendemain.

Bonne transition pour en venir aux histoires de fesses de l'impayable beau-frère...

Une bien belle rencontre, hein !

Peut-être en sous effectifs, ou trop occupés par les révélations à faire sur le quintuple meurtre de Nantes, les médias sont restés relativement discrets sur le sort des migrants, "majoritairement des Tunisiens, mais aussi notamment des Égyptiens, des Libyens et des Algériens", parvenus sur le sol français.

Une dépêche de l'AFP, signée de Ludovic Luppino, donnait pourtant, le 24 avril, quelques indications sur la qualité de l'accueil qui leur a été réservé, non par les autorités, mais par les associations.

Dans un square du XIXe arrondissement, en bordure du périphérique parisien, des immigrés tunisiens font la queue pour recevoir des vivres de la part de bénévoles: un rituel quotidien depuis deux semaines.

(...)

"Ils se sont retrouvés là parce qu'ils ont pour la plupart de la famille ou des amis en Seine-Saint-Denis. Tout ce qu'ils veulent, ce sont des papiers pour pouvoir s'installer librement", explique Abdel Zran, membre d'une association franco-tunisienne d'Aubervilliers, une ville voisine.

(...)

Chaque jour, vers 19h00, entre la Porte de la Villette et Pantin (Seine-Saint-Denis), M. Zran se relaie avec des habitants du quartier et d'autres représentants d'associations pour distribuer sandwiches, pâtes, riz et bouteilles d'eau à ces hommes qui ont fui le Maghreb par bateau.

Mais il a fallu attendre le 26 avril pour que d'autres reportages viennent compléter celui-ci.

(Voir, par exemple, celui qu'a réalisé Jean-Baptiste François, pour La Croix.)

Est-ce pour secouer cette apathie médiatique que fut organisée, hier, une manifestation
dans un square proche de la porte de la Villette ?

L'AFP y était :

Les manifestants, dont seule une petite minorité maîtrisait le français, ont brandi des feuilles apportées par l'organisatrice de la manifestation, l'avocate Samia Maktouf, avec les mots "Liberté", "Dignité", "Droits de l'homme", "Solidarité". D'autres avaient écrit des slogans en arabe sur des cartons. Beaucoup ont refusé d'être filmés ou photographiés.

(...)

"Après la révolution tunisienne, beaucoup s'attendaient à être accueillis comme des héros en France et il sont déçus de l'accueil" a dit Me Maktouf.


(Si l'on peut déjà s'interroger sur l'opportunité de cette manifestation, cette déclaration, évidemment reprise par la presse, amène à se poser des questions sur le sens de la communication de maître Samia Maktouf, dont les compétences semblent assez éloignées de ce domaine...)

Quelques manifestants, photographiés par la presse britannique.

Dans le même temps, monsieur Bertrand Delanoë, maire de Paris, faisait publier un communiqué pour annoncer que la Ville allait mettre "en place des dispositifs de soutien et d'accompagnement social et sanitaire".

Texte généraliste :

Je tiens à exprimer l’émotion et l’inquiétude que m’inspire l’attitude de l’Europe, et de la France en particulier, face à l’arrivée d’un peu plus de 20 000 immigrés tunisiens en Italie.

Il est particulièrement alarmant de voir les autorités françaises se limiter, sur ce sujet majeur et qui concerne collectivement l’Union européenne, à des pourparlers bilatéraux aux conclusions étroites et aux arrière-pensées évidemment électoralistes. Cela n’est ni à la hauteur de la situation, ni à la mesure de l’Histoire.

Et pratique :

En ce qui concerne les 200 immigrés tunisiens qui se trouvent aujourd’hui sur le territoire parisien, dans un état de grande précarité, notre municipalité, confrontée à l’indifférence de l’État, fera tout pour leur apporter des réponses adaptées à l’urgence. La Ville de Paris a donc décidé de missionner, aujourd’hui même, les associations « France Terre d’asile » et Emmaüs, pour mettre en place des dispositifs de soutien et d’accompagnement social et sanitaire, mais aussi d’accès à des hébergements hôteliers. Par ailleurs, la Ville renforcera son soutien aux associations, comme « la Chorba », qui assurent depuis plusieurs jours une aide alimentaire. Une première enveloppe de 100 000 euros sera consacrée à ces mesures d’urgence.

(Je vous laisse imaginer de quels commentaires peuvent être suivies ces précisions dans les journaux en ligne qui les publient... Le plus difficile à trouver, c'est à quel endroit placer les fautes d'orthographe.)


Cohabitation de sans-abris.

Hier soir et, semble-t-il, pendant une bonne partie de la nuit, des "contrôles" ont été effectués dans l'Est parisien, surtout aux alentours des squares des Xe, XVIIIe, XIXe, XXe arrondissements de Paris, ainsi qu'à Pantin.

D'après la préfecture de police de Paris, l'opération, qui a épargné un site rue du Chemin de Fer (XIXe) où des distributions de repas sont organisées par des associations, a permis d'établir que toutes ces personnes ne sont "pas sédentarisées": "aucun campement n'a pu être identifié".

Au total, et selon les sources policières, 70 personnes auraient fait l'objet de contrôles et une soixantaine aurait été placée en garde à vue à Paris et en Seine-Saint-Denis "pour infraction à la législation sur le séjour".

"Leur situation administrative est en cours d'examen", a-t-on indiqué de même source, en soulignant que l'opération policière avait pour "visée d'établir un diagnostic de (leur) situation".

Monsieur Bertrand Delanoë, a demandé à l’État "de cesser ces opérations de police qui ne sont pas à la hauteur de la situation et de nous appuyer dans la mise en œuvre avec les associations de solutions plus en phase avec le droit international et le respect de la dignité des personnes".

Aucun doute qu'il ne sera pas entendu.

( A l'heure où je boucle ce billet, on signale des arrestations avenue Corentin Cariou et avenue de Flandres, dans le XIXe...)



PS : Les photos ont été empruntées à un article très rafraîchissant de MailOnline, qui, pratiquement, voit tous les migrants prendre d'assaut l'Eurostar pour gagner le Royaume-Uni.

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